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Mumbai : Pour ou contre le radicalisme ?

Publie le mardi 20 janvier 2004 par Open-Publishing

Mumbai : Pour ou contre le radicalisme ?

Contre des discours jugés trop laxistes à l’égard du capitalisme, un nouveau
forum voit le jour. Insolent, ingrat et forcément dérangeant.

Pour ou contre le radicalisme ? La question n’est pas nouvelle, elle se pose
simplement une fois de plus, et encore plus sérieusement, des deux côtés de la
Western Express Highway, a Goregoan, dans la banlieue de Mumbai. A l’ouest de
cette route à 5, 6 ou 8 voies selon les heures, le désormais célèbre Forum social
mondial. A l’est, son nouveau concurrent et néanmoins critique, "Mumbai Résistance".
La proximité des deux événements, dans l’espace comme dans le temps, ne doit
rien au hasard. Les deux partagent les mêmes critiques du néolibéralisme, les
deux espèrent un monde plus humain, plus "durable" humainement et écologiquement.
Mais si le diagnostic est le même, les suites à lui donner ne le sont pas.

Au FSM, en ce 17 janvier 2004 (et en espérant d’autres impressions dans les heures à venir),
on continue de diagnostiquer. On entend des intellectuels affirmer que le projet
américain est une globalisation nationaliste. Que les organes financiers internationaux
exigent des pays du sud qu’ils entrent dans le jeu, même si cela ne nourrit pas
leurs peuples. On entend un membre éminent du syndicat international des travailleurs,
Joan Somavia, exposer qu’en 13 ans de libéralisation effrénée, l’Amérique latine
a vu son chômage augmenter de 50%, son économie informelle de 50% également et
son pouvoir d’achat baisser, lui, de 25% en moyenne (et de 50% pour neuf des
pays les plus touchés). La suite ? "Ca dépendra de vous", répond le syndicaliste
sans en dire beaucoup plus. Tout au moins rester "local", cultiver une diversité forcement
trop complexe pour le rouleau compresseur néo-libéral qui a besoin d’homogénéité pour
se frayer son violent passage. Mais encore ? "Pour définir notre stratégie d’émancipation,
il faut d’abord préciser le diagnostic", annonce Elisabeth Gauthier. Encore un
diagnostic ? Hé oui.

D’abord dire ce que nous combattons : " Non pas l’internationalisation
des échanges, mais la structuration du monde par des objectifs capitalistes." Un
projet politique, né en Amérique du Nord, soutenu, porté par les gouvernements
européens. Une idéologie au service des pays et des classes riches. Une confiscation
du pouvoir. Solution ? "Reconquérir la souveraineté populaire". La liste serait
longue des déclarations de ce type, entendues ce matin dans le Hall 4, dédié à "Mondialisation,
gouvernance globale et Etat nation". Mais on fatigue, usé par la mauvaise sono,
les interruptions, les défilés bruyants en plein discours d’Aminata Traore et
surtout, surtout (désolé !) un sévère goût de déjà entendu, maintes et maintes
fois.

Réactionnaires ? De l’autre côté de la route qui longe le FSM, le "Mumbai Résistance" paraît
vouloir répondre à cette lassitude. Ce MR qui fustige "l’autre monde possible",
trop angélique pour lui, et lui préfère un "Against imperialist globalisation
and war". L’installation est plus modeste, les visiteurs moins nombreux, peut-être
500 par jour, mais les positions du MR suscitent forcément des questions. Quoiqu’en
disent les organisateurs du FSM, le MR critique ouvertement (et vertement) le
FSM, et il faut entendre ces critiques, même si elles sont partiales, même si
elles sont à leur tour critiquables. On entend ainsi que le FSM est trop doux
a l’égard des institutions, entend trop les "réformer". Formule simpliste mais
redoutablement efficace : le FSM voudrait "donner un visage humain à la globalisation".
Ainsi, pour les intervenants du MR, qui reconnaissent profiter de la vague lancée
par les démonstrations de force qui se succèdent depuis Seattle, le FSM, s’il
a eu hier une légitimité, se paye aujourd’hui de mots, alors que jamais l’urgence
n’a été si grande. Et de citer, contre des discours parfois trop intellectuels
et consensuels, les esclaves du monde moderne, les déportés des barrages indiens,
les suicides de paysans, la déforestation, l’emprisonnement, la torture et l’assassinat
d’activistes. Quelque part, le RM nous demande méchamment si nous croyons éviter
ces périls avec de "simples" forums.

Badruddin Umar, président du Conseil national de Libération du Bangladesh, qui
ouvre le MR explique ainsi qu’aucun changement n’est à espérer sans une force
de résistance organisée, autour d’un programme précis "contre les gouvernements
qui agissent comme les agents de l’impérialisme et des organisations financières
et militaires à caractère impérialiste". Plus tard, l’orateur affirmera que seuls
de vrais partis révolutionnaires peuvent mener à bien une telle lutte, et en
aucun cas des ONG et autres associations de la "société civile" (formule utilisée
avec ironie). Il en appelle aussi aux syndicats, relevant leur grande faiblesse
dans les pays du nord. Badruddin Umar signale encore des cas de noyautage d’ONG,
suspecte la "société civile" d’être déjà infiltrée par les suppôts de l’impérialisme
et l’accuse d’inviter dans ses grandes messes des organisations "pro-impérialistes",
tout en interdisant l’accès aux "vrais" révolutionnaires. Les formules font mal,
l’insulte est facile, mais force est d’y réfléchir à l’heure ou de nombreux militants
européens en appellent aussi à une radicalisation. Que se propose donc le MR
 ? D’interdire l’entrée des transnationales dans "nos" pays, de revenir à une
agriculture douce pour limiter la dépendance aux transnationales, de nouer des
relations fermes avec tous les partis révolutionnaires que compte la planète,
de combattre les transnationales, de soutenir les organisations de libération
de peuples opprimés, d’oppresser à son tour, mais les gouvernements laquais de
l’impérialisme, et encore -sûrement le plus désagréable à entendre - "de dévoiler
et contredire les différents types de réformismes - comme ceux du FSM et autres
formations d’origine impérialiste - qui tendent à égarer et frustrer les forces
révolutionnaires populaires", selon Jose Maria Sison, un des mentors du MR. Chacun
sera juge.

En guise de générique final, deux sensations glanées sur le terrain de Résistance
Mumbai. Un, la cantine est séparée en deux : côté hommes, côté femmes. Inquiétude...
Deux, parmi les nombreux tracts distribués dans ce contre-forum, on trouve celui émanant
de la "gauche indépendantiste basque", qui rappelle les 700 prisonniers politiques
de cette région, les 7000 victimes de dénonciation, mais pas les innombrables
victimes d’attentats aveugles qu’a connues le pays basque. Est-ce que les plus
radicaux du mouvement altermondialiste ont une seule et unique définition du
mot radicalisation ? L’exemple basque, si près de chez nous, fait mouche pour
nous interpeller et débattre (encore)...


Auteur : Xavier

20.01.2004
Collectif Bellaciao