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Non à la contre-réforme des 35 heures

Publie le vendredi 4 février 2005 par Open-Publishing

De nombreuses manifestations sont annoncées en province.
Pour l’Ile-de-France, rendez-vous à 14 heures place de la République.

( Parcours : République - Nation )
 RDV Bellaciao : en face de Habitat

Pour les autres départements, contactez votre Union Départementale CGT

de Giulio Palermo, économiste.

Il n’est pas si difficile de créer une armée de personnes prêtes à tout pour un morceau de pain. La concurrence, dont les fanatiques du « libre » marché sont si orgueilleux, remplit ce devoir de façon automatique, alignant vers le bas les conditions des plus humbles. Il est bien plus difficile, en revanche, de faire que ces personnes réduites à la faim soient véritablement « libres » de faire n’importe quoi pour obtenir le morceau de pain dont elles ont besoin. Dans notre système fondé sur le marché, il n’est pas besoin de lois particulières pour réduire à la faim un grand nombre de personnes.

Les chiffres économiques parlent d’eux-mêmes. Selon le dernier rapport de la FAO (Organisation des Nation unies pour l’alimentation et l’agriculture), les personnes sous-alimentées dans le monde sont au nombre de 852 millions. Parmi elles, chaque année 5 millions d’enfants de moins de cinq ans meurent de faim et de malnutrition. Et tout ceci sans la planification d’aucun esprit pervers. Le marché fait tout, tout seul. Mais à quoi servent toutes ces personnes affamées si ensuite de nombreuses contraintes légales viennent les empêcher de vendre librement leur âme sur le marché ?

La loi sur les 35 heures pose une - fichue contrainte sur la liberté du - travailleur de travailler plus. Au contraire de la liberté, valeur première sur laquelle se fonde la République française, cette contrainte doit donc être abolie. Ce sont ces termes qui constituent le discours de la nouvelle droite politique. Termes du discours que la gauche réformiste n’a pas les instruments de contrer, simplement parce que depuis longtemps déjà elle a fait sienne la pensée néolibérale. Malheureusement, cependant, ce sont encore les données économiques qui donnent tort aux idéologues du libre marché. Selon les chiffres du Bureau international du travail (BIT), dans le monde désormais pratiquement entièrement capitaliste, la moitié des travailleurs gagnent moins de deux dollars par jours. Ceci signifie que 1 400 millions d’hommes et de femmes sont, bien que travaillant, sous le seuil de pauvreté fixé par les organisations internationales à deux dollars par jour. Mais ces 1 400 millions de voix sont en grande partie bien lointaines, dans le « sud » du monde, et de fait n’arrivent pas à se faire entendre dans le débat sur les effets des politiques néolibérales imposées par le « nord » du monde. En France, le débat politique est dominé par le choeur unanime des politiques et des patrons, tous enfin unis dans la grande bataille pour la liberté (de faire travailler les autres), dans la tentative absurde d’importer au Nord ce qui a déjà été réalisé au Sud : une société dans laquelle on travaille beaucoup, mais où l’on mange peu. Voilà les hautes valeurs de la - politique française.

Aujourd’hui il s’agit de la liberté de travailler plus. Comme nous l’explique M. Raffarin, c’est le travailleur lui-même qui exprime cette demande. Demain, avec le même raisonnement, ce sera la liberté de vendre un rein, ou un fils. Dans le fond, mieux vaut vivre avec un rein en moins plutôt que mourir de faim (c’est seulement une boutade). À chaque fois qu’un aspect de notre vie se voit marchandisé, la liberté individuelle augmente. Mais qui est donc réellement plus libre ? Le travailleur qui peut enfin vendre une partie plus importante de sa journée de travail (pour obtenir toujours le même sacré morceau de pain) ou le patron qui peut enfin acheter une partie plus importante de la journée de travail du travailleur ? Le malheureux qui peut vendre un rein, ou celui qui peut se l’acheter ? Sur le marché nous sommes loin d’être tous égaux. Il y a toujours un côté fort et un côté faible. Le travailleur a besoin de travailler pour vivre, le patron a besoin de faire travailler pour s’enrichir. L’un veut vivre, l’autre s’enrichir : là est la différence. Qui plus est, c’est cette différence qui écrase les salaires vers le bas. Il ne faut alors pas s’émerveiller de ce que les patrons insistent afin que la négociation sur la durée du travail ait lieu directement entre le patron et le travailleur, et non à un niveau centralisé, parce que c’est ainsi qu’ils pourront le mieux faire valoir l’asymétrie de pouvoir qui existe entre eux et les travailleurs. Évidemment, dans ce cas de figure encore, c’est au nom de la liberté individuelle qu’il faut négocier directement au niveau de l’entreprise, sans la médiation des syndicats qui, on le sait, ne servent pas à contrebalancer (au moins en partie) l’asymétrie de pouvoir entre patrons et travailleurs, mais seulement à restreindre la liberté de ces travailleurs qui veulent (ont besoin de) travailler plus.

On ne devient pas plus libre en se vendant soi-même. Surtout parce que dès qu’une transaction de ce type se trouve généralisée à une grande portion de la population, elle devient immédiatement la condition nécessaire pour obtenir le fameux morceau de pain. Et ceci simplement grâce aux automatismes du marché et de la concurrence. L’important est que le marché puisse opérer sans entrave. Que cela vous plaise ou non, le marché fonctionne selon des lois qui lui sont propres, qui écrasent les faibles et priment les forts. Les dynamiques du marché existent indépendamment de notre volonté (du moins tant que nous accepterons de vivre dans une société régulée par le marché). Laisser de l’espace aux mécanismes impersonnels du marché signifie accepter que les rapports sociaux soient régulés par la loi du plus fort. Le marché du travail est le point vital de tout le système capitaliste, parce que c’est là que se crée la richesse des patrons. Perdre la bataille pour les droits sur le marché du travail signifie ouvrir la voie à une marchandisation débridée de chaque aspect de notre vie. Ce n’est pas en vendant des quantités toujours plus grandes de la journée de travail que le travailleur devient plus libre, mais en s’unissant à d’autres travailleurs, en s’opposant à la concurrence (qui ne fait du bien qu’au patron), en luttant pour l’acquisition de droits universels, inaliénables (c’est-à-dire non sujets à achat et vente sur le marché). Ne pas saisir l’aspect, relevant profondément de la lutte de classes, de cet assaut frontal du gouvernement et des patrons à l’encontre des travailleurs signifie accepter la défaite sans mener la bataille.

Invoquer la marchandisation des personnes au nom de la liberté reste la plus grande contradiction qu’un pays qui se veut libre puisse commettre.

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