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Nous avons lu l’exposé Guillot, par la Coordination des intermittents et précaires
Publie le jeudi 27 octobre 2005 par Open-PublishingCe texte est notre analyse de l’exposé que Jean-Paul Guillot a présenté aux partenaires "sociaux" lors des réunions du 29 septembre et 11 octobre, avant de rédiger son rapport final.
Nous sommes en train de lire son rapport. Cette analyse reprend néanmoins l’essentiel des éléments qu’il y développe, parfois avec plus de précisions et souvent pour le pire...
Nous avons lu l’exposé Guillot
Le 30 juin 2003, Jean-Jacques Aillagon affirmait que le protocole du 26 juin 2003 comportait des « avancées considérables » et que les « protestataires l’[avaient] mal lu ». Les faits l’ont depuis démontré : nous l’avions bien lu.
Le 18 février 2004, il déclarait : « Dans ce pays, il y a trop de compagnies, trop d’artistes et trop d’intermittents qui produisent parfois des spectacles médiocres. Tout cela coûte très cher ». Ces deux phrases avaient provoqué en leur temps une indignation et une consternation légitimes qui participèrent à sa chute.
Depuis, un autre ministre, amateur de culture, plus discret sur ses vrais talents de communication, a pris sa place. Il a nommé un « ingénieur en négociations », Jean-Paul Guillot président du Bureau d’Information et de Prévision Economique (BIPE), pour que celui -ci consulte les partenaires « sociaux » et diverses structures du secteur ainsi que la Coordination des Intermittents et Précaires en vue de préparer la prochaine négociation du régime d’assurance chômage des annexes VIII et X.
Nous avons lu son exposé intitulé « Analyses et propositions des partenaires sociaux du secteur sur l’emploi dans le spectacle ».
Jean-Paul Guillot ne dit pas : « il y a trop d’intermittents » mais « le nombre des intermittents a évolué plus vite que l’activité ».
Il ne dit pas : « il y a trop d’artistes » mais « le nombre d’entrée [dans les annexes VIII et X] constaté depuis quelques années atteste d’une croissance non maîtrisée. »Il ne parle pas de « spectacles médiocres » mais dit que « le nombre d’entrée est incompatible avec une professionnalisation réelle » et qu’il faut « développer une politique de formation professionnelle de qualité ».
Il n’affirme pas : « tout cela coûte très cher » mais « l’Unedic n’a pas à assurer le financement de la politique culturelle de ce pays. »
Ces analyses viennent faire écho aux propos de Donnedieu de Vabres lors du CNPS du 1er décembre 2004 : « Il faut passer d’un protocole d’accord contesté entre les partenaires sociaux interprofessionnels, portant seulement sur l’assurance chômage, à un protocole d’accord portant sur l’emploi culturel (une sorte d’Accords de Valois) impliquant l’Etat, les collectivités territoriales, les organisations du secteur et les confédérations, où chacun doit prendre les engagements correspondants à ses responsabilités, et où l’assurance chômage sera progressivement ramenée à son vrai rôle. »
Nous y voilà à ces « Accords de Valois ».
Il suffit à tout lecteur de consulter les graphiques accompagnant l’exposé de Jean-Paul Guillot pour le constater : la réunion interministérielle du 29 septembre avec les partenaires « sociaux », à laquelle des dizaines de manifestants se sont invités en passant par la fenêtre pour exiger la présence de l’ensemble des concernés à toutes les phases de la négociation, et qui s’est poursuivie le 11 octobre, était une opération de communication. Il s’agissait pour le gouvernement d’inviter les partenaires « sociaux » à noyer le poisson du régime d’assurance-chômage dans l’océan de la politique de l’emploi culturel.
Quelles sont les différentes formes d’intervention proposées ? (ou l’océan de la politique de l’emploi culturel, théâtre d’un naufrage)
A. La réglementation stricte du recours aux CDD d’usage.
B. La restructuration du secteur culturel en assujettissant l’octroi de subventions au volume d’emploi
C. La limitation à la formation
A. La réglementation stricte du recours aux CDD d’usage.
Fin 2006, les partenaires sociaux devront avoir signé des conventions collectives étendues à tout le secteur culturel. De 22 elles seront ramenées à 8 :
. spectacle vivant subventionné,
. spectacle vivant privé,
. production audiovisuelle,
. production cinématographique,
. entreprises de prestations techniques (pour lesquelles le recours aux CDD d’usage et à l’intermittence devrait être l’exception),
. édition phonographique,
. personnels non permanents des radios,
. personnels non permanents de la télédiffusion.
Elles seront ensuite ramenées à six, après la fusion des conventions collectives du spectacle vivant subventionné et privé et de celles des productions audiovisuelles et cinématographiques.
Evidemment, l’élaboration de conventions collectives est une nécessité. C’est un outil permettant de faire valoir les droits des salariés en matière de rémunérations, de conditions de travail, etc.
Cependant.
Alors que le gouvernement répète depuis deux ans qu’il est impossible d’abroger le protocole Unédic, ou de forcer les partenaires sociaux à renégocier, il veut aujourd’hui les amener à adopter des conventions collectives en un an, sur des secteurs d’activités (ou branches) très vastes, qui comportent des structures fortement différenciées.
Comment aligner les rémunérations et les conditions de travail pour tous les employeurs, qu’ils dirigent un Centre Dramatique National ou président une petite association, ou bien encore, dirigent un grand groupe audiovisuel côté en bourse ou une petite SARL de production documentaire ? Comment seront constituées les commissions mixtes paritaires chargées d’établir ces conventions collectives ? Quelles organisations représenteront les petites structures et quelle place auront-elles dans ces commissions ?
Par ailleurs, ce sont les salariés qui sont censés faire respecter les conventions collectives par leurs employeurs. Nous savons bien qu’il est très difficile pour la majorité des intermittents de risquer des procédures juridiques en raison de la flexibilité de leurs emplois.
Que signifie cette volonté d’aboutir à des conventions collectives, en si peu de temps ? Il suffit pour le comprendre d’écouter Gérard Larcher, ministre délégué à l’emploi :
« Il importera en priorité aux partenaires sociaux de traiter la question fondamentale du champ du CDD d’usage. [...] La liste des cas de recours devra être réduite par rapport à la situation actuelle [...]. Je le répète, c’est un point fondamental et soyez sûrs que nous y serons extrêmement vigilants. »
Gérard Larcher dit, comme les partenaires sociaux, qu’il faut restreindre par ce biais le champ d’application. Il leur propose ainsi d’ajouter un filtre supplémentaire, en limitant le recours aux CDD d’usage à certains métiers dans chacun des huit secteurs définis. Les intermittents exclus de ce périmètre ne pourront être employés qu’en CDD de droit commun ou ne plus être employés du tout.
B. Conditionnement de l’octroi de subventions au volume d’emploi
Lors de cette réunion, Jean-Paul Guillot a repris des éléments du rapport Auclaire intitulé « Le financement public et l’emploi dans le spectacle », dont la préconisation majeure est que les financeurs publics conditionnent leurs aides à la création d’emplois permanents (CDI ou consolidation de CDD) afin de restructurer le marché de l’emploi dans le spectacle vivant subventionné.
Il serait ainsi presque impossible, demain, d’obtenir la plus petite subvention des collectivités territoriales, de la DRAC, du CNC, etc., pour amorcer un projet de structure de production ou d’organisation d’un festival par exemple, sans attester d’un volume global de financement suffisant pour salarier des permanents. Seuls les projets de grandes compagnies ou de grands festivals verraient le jour, portés par ceux qui ont déjà accès aux réseaux qui permettent de trouver beaucoup d’argent.
C. La limitation à la formation
L’exposé précise que les formations doivent être « professionnelles de qualité » et adaptées (en terme de contenu et d’effectifs) au marché de l’emploi.
Surtout, il insiste sur la nécessité d’une coopération entre le ministère de la Culture et l’Education Nationale pour définir une carte nationale des formations adaptées aux besoins du marché. Cela signifie, à terme, la suppression des formations universitaires qui n’offrent pas de débouchés immédiats à leurs étudiants. Cette logique est déjà à l’œuvre dans les dernières réformes de l’université.
On régule donc à la naissance et on décide très tôt qui pourra être intermittent, qui ne pourra pas l’être.
La limitation des formations va faire disparaître toutes celles qui permettent d’aborder autrement nos disciplines, de continuer à les enrichir et de nourrir les différentes pratiques. Les intermittents entrant dans les prochaines années seront presque tous passés par les mêmes écoles spécialisées et normatives, qui en feront des professionnels de qualité, labellisés, compétitifs sur le marché culturel.
Les formations continues sont également dans le collimateur et devront prouver, elles aussi, qu’elles sont adaptées au marché.
Le régime d’assurance-chômage (ou le petit poisson noyé dans l’océan)
Une fois cette politique de l’emploi culturel définie, Jean-Paul Guillot présente les axes d’un protocole d’assurance-chômage mieux adapté à sa fonction.
Et là, il faut reconnaître certaines avancées par rapport à nos propositions.
En premier lieu, il évoque le retour à une période de référence de 12 mois pour l’ouverture des droits.
En second lieu, il défend « une formule qui valorise clairement, dans le calcul de l’allocation journalière, à la fois toute la rémunération annuelle et la totalité du temps de travail ». Il introduit, comme préalable à l’élaboration d’une telle formule, l’abandon du Salaire Journalier de Référence.
Par contre, il n’évoque à aucun moment la possibilité de remettre en question le système de capitalisation et la nécessité de revenir à une date anniversaire fixe, avec une indemnisation sur 12 mois.
Quoi qu’il en soit, ces avancées n’auront de sens que pour les survivants de la politique de l’emploi culturel : aux multiples restrictions du périmètre, à l’octroi de subventions subordonné à la masse salariale et à la limitation sévère des entrants par les formations...
La bonne foi du ministre (ou le capitaine est-il un fou furieux ?)
On peut penser que le ministre de la Culture ne peut conduire aussi loin une telle politique de l’emploi culturel sans compromettre gravement l’activité du secteur. Si toutes ces propositions étaient appliquées, la grande majorité des films produits actuellement et des compagnies disparaîtraient, ne serait-ce que parce que le budget de la Culture ne suivra pas (il devrait être au minimum multiplié par trois). On voit mal le ministre acter un tel naufrage.
Mais il ne faut pas non plus douter d’une réelle volonté politique de faire un grand ménage, de manière diffuse et progressive.
Dans son discours, le ministre l’a rappelé : « Je ne vous cache pas, en effet, qu’il s’agit, pour mon ministère, comme pour beaucoup d’autres administrations, d’un véritable changement de culture (sic). La dimension de l’emploi est un aspect que [les conseillers des DRAC] ne savent pas bien appréhender - et, à vrai dire, ils n’imaginaient pas que leur Ministre et que le milieu attendaient cela de leur part ! »
Nous en voulons également pour preuve le constat quotidien que cette politique a déjà commencé, soit par effets de zèle des institutions publiques en charge de la culture, soit par directives ministérielles :
Trois exemples dans le spectacle vivant :
. certaines DRAC ont déjà rajouté une ligne dans les formulaires de demande de subventions : combien votre structure emploie-t-elle de permanents ?
. la lecture de la présentation des nouvelles affectations du budget de la culture est édifiante. Le ministre n’y parle que d’emplois (CDI et consolidation de CDD), jamais de création.
. en région PACA, 337 compagnies (contre 215 sur le reste du territoire) se sont vus refuser le renouvellement de leur licence d’entrepreneur du spectacle en 2004. La DRAC PACA souhaite maintenant une harmonisation nationale des décisions prises par les Commissions Régionales Consultatives.
Perspectives (ou les vigies sont bien réveillées)
Ici ou là des résistances s’organiseront. Mais la plupart des petites structures (compagnies de théâtre, sociétés de production audiovisuelle ou cinématographique) risquent de disparaître petit à petit. Que deviendront les intermittents qu’elles emploient ?
Ce que dessine cette politique de l’emploi culturel, c’est l’impossibilité de travailler autrement que dans des grands groupes privés aux mains d’actionnaires ou dans des institutions publiques sous le contrôle de l’Etat, le secteur public étant déjà en voie de privatisation. D’un côté « la captation du temps de cerveau humain disponible », de l’autre côté le « supplément d’âme ».
L’Etat et l’Unédic brandissent un déficit calculé en soustrayant les allocations versées aux intermittents indemnisés des seules recettes de leurs cotisations. Mais il est évident, les grèves de l’été 2003 l’ont démontré, que la richesse et l’hétérogénéité du secteur culturel, qui s’exprime notamment dans l’effervescence des festivals, ont des impacts financiers importants sur l’ensemble de l’économie. Faudra-t-il le leur rappeler ?
Il est indispensable d’élargir les modalités de financement de l’assurance-chômage au-delà des seules cotisations (par exemple : taxation des flux de communications).
L’enquête menée par la Coordination Nationale des Intermittents et Précaire en collaboration avec le laboratoire de recherche Matisse-Isys (UMR Paris I / CNRS) a mis en évidence l’existence de temps invisibles de l’activité laquelle ne se réduit pas uniquement au temps d’emploi. Ces temps dont dépendent la richesse et l’hétérogénéité du secteur ne peuvent avoir lieu sans un régime d’assurance-chômage mutualiste et redistributif, portant sur un périmètre réaliste au regard des pratiques d’emploi. Le secteur culturel n’est pas une exception, il est une industrie en expansion qui a besoin de main d’œuvre. Nous exigeons en retour des droits sociaux collectifs.
Cela passe par l’élargissement du financement de l’Unedic, l’élaboration d’un protocole réellement adapté à nos pratiques et l’arrêt de cette politique de l’emploi culturel.
Les négociations n’auront pas lieu sans l’ensemble des concernés.
Coordination des Intermittents et Précaires d’Île-de-France
www.cip-idf.org
14 quai de Charente, 75019 Paris (M° Corentin Cariou) / 01 40 34 59 74
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