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Nouveaux mercenaires en Suisse

Publie le mardi 31 janvier 2006 par Open-Publishing
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D’anciens militaires italiens ont créé une entreprise de sécurité à Chiasso pour intervenir à l’étranger. La société, qui travaille actuellement en Irak, a choisi la Suisse pour sa neutralité. La Suisse et le CICR veulent réglementer l’engagement de privés dans des conflits armés.

de Denis Masmejan

Le Temps Mardi 31 janvier 2006

Un bâtiment administratif quelconque, à Chiasso. Rien ne laisse penser que le 89, Corso San Gottardo abrite une entreprise d’un genre très particulier. Ronin Security Group - c’est son nom - possède son siège à cette adresse. Mais c’est en Irak, finalement, que nous avons pu joindre son directeur exécutif, Paolo Belligi. Ressortissant italien comme la plupart des employés de la société, Paolo Belligi est un ancien membre des carabinieri, la gendarmerie de la Péninsule.

Ronin Security Group (RSG) est une entreprise privée de sécurité qui, à partir de la Suisse, offre ses services dans des zones de conflit. Elle fait partie de ces sociétés qui, depuis quelques années, préoccupent la communauté internationale, en raison des risques qu’une privatisation de la sécurité militaire représente pour le respect des droits de l’homme et du droit international humanitaire.

En décembre dernier, le Conseil fédéral a publié un rapport sur la question, suite à une série d’interventions parlementaires*. Le gouvernement y soulignait la volonté de la Suisse, en tant qu’Etat dépositaire des Conventions de Genève, de s’engager en faveur d’une réglementation internationale du problème.

« Nous voulons opérer avec toutes les garanties possibles dans ce secteur délicat », explique Paolo Belligi. Les entreprises de ce type se sont multipliées, en particulier dans le conflit irakien, et le responsable de la société tessinoise l’admet : le métier peut attirer des gens pas toujours recommandables. En Irak, RSG est chargée actuellement, indique Paolo Belligi, de protéger des personnes et des convois « dans le domaine opérationnel et logistique », en collaboration avec une entreprise « bien connue » de sécurité.

Ronin Security Group a été créé il y a une année. L’administrateur unique suisse inscrit au registre du commerce, Luigi Barattolo, est en réalité un pur fiduciaire, comme il nous l’a indiqué. C’est la neutralité de la Suisse et sa fiabilité qui ont poussé les fondateurs italiens de RSG à implanter le siège de la société en Suisse. « Nous avons choisi la Suisse pour être en mesure d’offrir les meilleurs services possible, à l’abri des influences politiques ou religieuses, de manière à éviter tout soupçon de ce côté-là », déclare Paolo Belligi.

Le site internet de Ronin Security Group (http://roninsecurgroup.com) donne une petite idée des activités la société : conseils en matière de protection d’ambassades, de sociétés privées ou d’organisations non gouvernementales, cours avancés sur des thèmes tels que « guérilla » et « contre-guérilla », « sabotage » ou, plus préoccupant, « snipers ».

Ses employés, la plupart anciens membres des services spéciaux de l’armée italienne, ont une expérience de plusieurs années dans le domaine militaire, affirme le site internet de RSG. Ils ont notamment participé à des opérations en Irak, en Afghanistan, en Somalie, en Sierra Leone, au Guatemala, en Bosnie, au Kosovo et en Albanie.

La présence de telles entreprises sur le sol d’un Etat neutre et dépositaire des Conventions de Genève pose évidemment plusieurs questions. D’autant que le phénomène, même s’il est encore « marginal » aujourd’hui, « pourrait prendre de l’ampleur à l’avenir », constatait le Conseil fédéral dans son rapport de décembre dernier.

Ronin Security Group n’est pas, en effet, la seule entreprise de ce genre en Suisse. Dans son rapport, le Conseil fédéral fait état - en plus d’une entreprise établie au Tessin qu’il ne nommait pas mais qui est en réalité RSG - de trois entreprises dans le canton de Bâle-Campagne opérant « dans des zones de guerre ou de troubles et qui sont au bénéfice d’une autorisation ». Les autorités de Liestal, précise le rapport, dénombrent 12 autres entreprises qui « ont déclaré que dans le futur elles pourraient opérer dans des zones à risque. »

A Bâle-Campagne comme au Tessin, les autorités cantonales confirment qu’elles ont connaissance de ces sociétés, mais observent que leurs activités à l’étranger, même dans des zones de conflit, ne tombent pas sous le coup des dispositions cantonales réglementant les entreprises de sécurité. « C’est l’affaire de la Confédération, non des cantons, de savoir si elle veut légiférer sur des activités de ce type dans des zones de conflit à l’étranger », soulignent de concert Claudio Portavecchia, chef de l’office des autorisations au Département tessinois des institutions, et Barbara Umiker, porte-parole du Département de la justice, de la sécurité et des affaires militaires de Bâle-Campagne.

Les activités de Ronin Security Group n’ont ainsi rien d’illégal en Suisse, alors que « la législation italienne est plutôt plus stricte », relève Paolo Belligi. La Suisse, comme la plupart des Etats, ne réglemente pas l’engagement d’entreprises de sécurité dans des zones de conflit à l’étranger. Seuls les Etats-Unis, l’Afrique du Sud, l’Australie, la Sierra Leone et l’Irak ont adopté des normes ces dernières années. « Mais les observateurs estiment que la plupart de celles-ci sont (encore) insuffisantes ou peu efficaces », note le rapport du Conseil fédéral.

En été 2005, Ronin Security Group a approché le Département fédéral des affaires étrangères pour lui proposer ses services. La sécurité de la mission suisse à Bagdad, assurée dans un premier temps par la société sud-africaine MTS, à la réputation controversée, donnait lieu à ce moment-là à diverses supputations. L’envoi de soldats suisses était même évoqué. Aujourd’hui, RSG n’a toutefois aucun contrat avec le DFAE, indique Paolo Belligi. L’entreprise de Chiasso reste pourtant intéressée « en tant que société suisse », à coopérer avec les autorités helvétiques, souligne Paolo Belligi.

* Rapport du Conseil fédéral sur les entreprises de sécurité et les entreprises militaires privées (donnant suite au postulat Stähelin 04.3267 du 1.6.04).

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