Accueil > Nouvelles de Birmanie numéro 15
Les Nouvelles de Birmanie numéro 15
Décembre 2006
L’Edito
L’actualité récente en Birmanie a été marquée par des événements importants, au nombre desquels figure la mort du général Bo Mya, dirigeant de la KNU, et la libération des leaders étudiants de la génération 88 Min Ko Naing, Ko Ko Kyi, Htay Kywe, Min Zaya et Pyone Cho. Au nombre de ces événements figure également le double veto opposé par la Chine et la Russie à un projet de résolution du Conseil de sécurité sur la Birmanie (sur lequel nous reviendrons lors de notre prochaine lettre d’information consacrée à l’actualité du mois de janvier). Une déception d’autant plus grande que le Parlement Européen avait soutenu, lors de sa dernière position adoptée le 21 décembre 2006, le projet d’une résolution du Conseil de sécurité sur la Birmanie. Desmond Tutu et Amartya Sen ayant en outre, dans une déclaration également datée du 21 décembre, rappelé l’urgence à adopter une telle résolution.
Pour les opposants au texte, les problèmes de la Birmanie ne représentent pas une menace sur la paix et la sécurité internationales, en conséquence de quoi le Conseil de sécurité n’a pas à être saisi. Si l’usage du veto par les Chinois et les Russes ne surprend pas, la position de l’Afrique du Sud est plus décevante. En effet, l’argument avancé par les sud-africains, selon lequel la résolution aurait compromis les négociations du Secrétaire général des Nations unies et de son chargé des affaires politiques avec Rangoon, ne tient pas lorsqu’on connaît la façon dont les généraux birmans appréhendent le principe même de négociation. Pour eux négocier c’est faire preuve de faiblesse. Les généraux birmans n’ont jamais lâché du lest, aux moments opportuns, que pour pouvoir conserver leur mainmise sur le pays.
Mais cet échec ne doit pas décourager tous ceux qui espèrent la restauration d’un régime démocratique en Birmanie. L’inscription de la Birmanie à l’ordre du jour du Conseil de sécurité le 15 septembre 2006 a constitué un pas important pour une meilleure prise en compte du problème birman au niveau international. Il importe aujourd’hui de poursuivre nos efforts en nous appuyant sur les acquis du mouvement pour l’adoption d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies sur la Birmanie.
Info Birmanie.
Au fil de l’actualité
Sources : Irrawady, AFP, AP, BBC, RFI, BurmaNet news
Le 24 décembre : Mort de Bo Mya, dirigeant et image de l’insurrection karen
Bo Mya, dirigeant de la lutte armée karen pour l’indépendance, est décédé dans un hôpital de la ville-frontière thaïlandaise de Mae Sot, a annoncé une porte-parole de l’Union nationale karen. Récemment nommé ministre de la Défense du groupe, il s’est éteint des complications liées à une variété des maladies comprenant l’hypertension et le diabète, à l’âge de 79 ans. Il laisse derrière lui sa femme, Lah Po, ses sept enfants et ses vingt petits-enfants.
Né le 20 janvier 1927 dans la ville karen de Papun (nord-est de l’actuelle Birmanie), Bo Mya a mené l’Union de la Nation Karen (KNU) pendant trois décennies, avant de se retirer en 2004.
Plus de 10 000 personnes, dont des officiers de l’armée thaïlandaise et un représentant de l’armée gouvernementale birmane, ont assisté à ses funérailles, tenues le 26 décembre en territoire birman, à proximité de la frontière, dans son dernier bastion de jungle, Mu Aye Pu (auquel son nom fut donné).
Le 24 décembre : L’ONU condamne de nouveau les violations des droits de l’homme en Birmanie
L’Assemblée générale des Nations unies a adopté une résolution exprimant sa "grave inquiétude" quant aux violations persistantes des droits de l’homme en Birmanie, particulièrement à l’encontre des minorités.
Une résolution élaborée à la suite d’un rapport rendu par un envoyé spécial de l’ONU. Elle appelle la Birmanie à mettre fin aux atrocités perpétrées dans le cadre des efforts pour supprimer l’insurrection dans la province karen. La résolution demande au gouvernement de "prendre des mesures urgentes pour mettre un terme aux opérations militaires visant des civils dans les zones ethniques", et aux violations qui en découlent, notamment le recrutement d’enfants soldats et l’usage de la torture.
L’Assemblée générale de l’ONU avait déjà adopté une résolution similaire il y a un an.
La situation sur la frontière entre la Birmanie et la Thaïlande s’est aggravée ces derniers mois, forçant 82.000 personnes à fuir cette année. Depuis 1996, plus de 3.000 villages ont été détruits ou abandonnés dans l’est de la Birmanie, et plus d’un million de personnes ont été déplacées, selon le plus récent rapport du Consortium de la frontière Thaïlande-Birmanie.
Le 1er décembre : Journée mondiale de lutte contre le sida en Birmanie
Les militants birmans ont célébré la journée mondiale contre le sida en distribuant aux passants préservatifs et pamphlets sensibilisant a l’épidémie et aux moyens pour se protéger.
A Rangoun, la journée a été marquée par une réunion au quartier général de la NLD de ses membres, du groupe Génération Etudiants 88 et autres militants. Etaient également présents plus d’une centaine de malades du sida dont des enfants. Plus de 40000 pamphlets ont été distribués.
A Mae Sot, le long de la frontière birmano-thaïe, une centaine de personnes, dont des médecins, des infirmières, des travailleurs migrants birmans, des militants et des membres d’ONG, ont défilé de l’hôpital municipal a la clinique Mae Tao.
A Laiza, ville située le long de la frontière entre la Chine et la Birmanie, environ 2000 personnes ont participé à cette journée de mobilisation au travers d’expositions, d’un concours de poèmes et d’activités sportives.
Toutes ces manifestations se sont tenues alors que la veille la junte au pouvoir avait déclaré que le pays avait gagné la guerre contre le sida, en s’appuyant sur la baisse du pourcentage total de birmans infectés, qui est passé en 5 ans de 1,5% a 1,3%. Le ministre de la santé, le Dr Kyaw Myint, a annoncé cette victoire lors d’une conférence de presse a Naypyidaw. Il a profite de cette occasion pour remettre en cause à nouveau l’argument des Etats-Unis qui déclarent que l’épidémie du sida en Birmanie constitue une menace pour la paix et sécurité internationale.
En dépit de ses déclarations optimistes, le régime birman semble en privé demeurer particulièrement préoccupé par la propagation de l’épidémie du sida dans le pays. Le Premier ministre Soe Win a ainsi indiqué à son homologue thaïlandais Surayud Chulanont lors d’une rencontre ce mois-ci a Naypyidaw que le VIH en Birmanie poursuivait son expansion et que le pays manquait d’experts nationaux sur la question pour résoudre le problème.
De son cote, l’Onu a récemment publié une étude sur le sida où elle note en Birmanie les premiers signes d’un ralentissement de l’épidémie du sida tout en ajoutant que cette dernière restait très sérieuse dans ce pays. Le rapport précise que les 1.3% de taux de pénétration du sida parmi la population birmane cités par le gouvernement birman ne prennent en compte que les personnes âgées de plus de 24 ans. Pour les jeunes de 15 a 24 ans, l’Onu estime que le taux de pénétration de la maladie s’élève a 2.2%, un taux décrit comme très préoccupant. Par ailleurs, environ 43% des personnes usagers de drogues par injection et 32% des travailleurs du sexe sont séropositifs en 2005. Une proportion qui est restée relativement stable depuis 2000.
Le rapport observe que des progrès dans la lutte contre le sida existent bien en Birmanie. Par exemple le taux d’infection des femmes enceintes a baissé de 2.2% en 2000 a 1.3% en 2005. La Birmanie a également récemment introduit des programmes qui selon l’Onu aideront a lutter contre l’épidémie. Le programme de substitution Methadone contre héroïne a été lancée en février 2006 a Rangoon, Mandalay, Lashio et Myitkina. Simultanément, un programme de sensibilisation à un usage unique des seringues est offert pour la première fois aux toxicomanes birmans avec le soutien d’une ONG : 1,1 million de seringues jetables ont été distribuées en 2005.
En décrivant la Birmanie comme « l’un des pays les plus touches par l’épidémie du Sida en Asie », l’étude de l’Onu met en lumière le manque de moyens financiers et humains alloués à la lutte contre la maladie, notamment dans les zones urbaines, ainsi que le dénuement des centres de santé qui ne sont même pas suffisamment fournis en électricité...
Par ailleurs lors d’une conférence régionale qui s’est tenue le 24 novembre dans la ville thaïlandaise de Chiang Mai, les travailleurs birmans du secteur de la santé ont appelé les medias birmans a couvrir davantage et mieux l’épidémie du sida. En effet, ils considèrent que les professionnels des medias ont un grand rôle à jouer dans la prise de conscience de la population birmane face a la menace que représente le virus. Le docteur Myat Htoo Razak, physicien birman et chercheur spécialisé, a ainsi demandé aux journalistes présents, qu’ils travaillent a l’intérieur du pays ou qu’ils soient en exil, de réaliser davantage de reportages sur la maladie et de relayer les informations concernant l’évolution de la recherche et le développement de nouveaux traitements. Ces sujets peu traités a l’heure actuelle devraient a ses yeux intéresser davantage les lecteurs, et permettront d’autre part d’éduquer la population à la maladie aussi bien dans le domaine de la prévention que du traitement.
Ils se mobilisent, ils en parlent
.Rapport « Birmanie : nouvelles menaces sur l’aide humanitaire »
Synthèse publiée sur le site Internet d’International Crisis Group, le 8 décembre 06
L’aide humanitaire en Birmanie doit faire face à de nouvelles menaces. Après une période d’expansion de l’espace humanitaire, les organisations humanitaires sont soumises à la pression renouvelée du gouvernement militaire birman ainsi que de militants pro-démocratie à l’étranger qui cherchent à réduire les programmes d’assistance ou à en prendre le contrôle. Les restrictions imposées par le régime militaire se sont aggravées ; celui-ci continue à refuser d’autoriser une activité politique d’opposition significative et il a pris des mesures répressives contre les Karen. La décision du Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme de se retirer du pays en 2005 fut un grave recul qui a mis en danger des milliers de vies humaines, encore que ce retrait ait été partiellement compensé par la création d’un nouveau fonds international pour lutter contre ces trois maladies (3D Fund). Il faut dépasser les débats sur le système politique fortement répressif du pays. Si l’on n’arrive pas à empêcher la Birmanie de tomber dans une crise humanitaire, la stabilité sociale pourrait être rompue et aucun gouvernement quel qu’il soit ne serait plus en mesure de trouver de solutions à la crise.
Au début des années 2000, il semblait que l’élite politique de tout bord était prête à coopérer en matière d’affaires humanitaires. Les militaires au pouvoir se sont montrés disposés à travailler avec la communauté internationale et les groupes d’opposition ont cessé d’appeler à l’isolement du régime. Certains bailleurs de fonds, sous la houlette de l’Australie, du Royaume-Uni et de l’Union européenne (UE) ont accru aide humanitaire et soutien social. Certaines agences ont lancé des programmes innovants consacrés à des sujets sensibles comme la lutte contre le VIH/SIDA et destinés à des régions reculées qui ont longtemps souffert des conflits tout en étant négligées par les autorités. Ces dernières années, ces programmes ont été mis en péril par la détérioration de l’environnement politique, par l’intensification de la répression et par le climat de suspicion et les nouveaux affrontements qui opposent le gouvernement militaire et leurs détracteurs étrangers.
Depuis les purges de la fin 2004 qui ont entraîné le départ du général Khin Nyunt et d’autres officiels de premier plan, le gouvernement militaire a adopté une position nationaliste plus agressive envers les agences internationales, y compris les organisations d’aide humanitaire. Ses tentatives envahissantes de contrôler les programmes d’aide et forcer les agences internationales à travailler avec des organisations liées au gouvernement ont été aggravées par la grande confusion qui règne au sein du gouvernement même, ce qui a compliqué plus encore l’action des organismes d’aide. Bien que les conditions soient généralement meilleures que dans les années 1990 et que l’impact des changements récents varie selon les agences et les programmes, on constate une certaine frustration dans le milieu de l’aide humanitaire et même chez certains au gouvernement.
La situation est encore compliquée du fait de la pression exercée par les détracteurs étrangers envers le régime. Alors que l’opposition démocratique se prononce de plus en plus en faveur de l’assistance internationale, certains parlementaires et groupes de plaidoyer à l’étranger ont intensifié leurs efforts pour restreindre les flux d’aide et en contrôler la micro-gestion. Ce fut flagrant avec le Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme (le FMLSTP), qui a mis fin en août 2005 à un programme de 98 millions de dollars en Birmanie après que la pression d’organisations installées aux États-Unis eut compromis les négociations sensibles menées avec le gouvernement sur les conditions de son activité.
Jusqu’à présent, l’engagement naissant des bailleurs de fonds pour apporter une aide à des millions de ménages birmans, qui doivent subir des conflits et un gouvernement rigoureux et difficile en plus d’un isolement sur la scène internationale, semble solide. Les gouvernements de l’UE en particulier ont agi rapidement pour remplacer le FMLSTP, s’opposant ouvertement à la position des États-Unis. Dans les mois et années à venir, le milieu de l’aide en Birmanie devra répondre aux mesures prises par le gouvernement militaire pour limiter l’accès aux populations vulnérables et exploiter les programmes humanitaires à des fins politiques. Pour cela, il faudra que bailleurs de fonds, les organisations d’aide et les détracteurs du régime dialoguent avec les autorités sur le terrain afin de rétablir des relations de confiance et se concentrent sur les véritables besoins du pays.
Le présent briefing présente une mise à jour de la seule situation humanitaire en Birmanie, sujet sur lequel Crisis Group a abondamment écrit par le passé. Un rapport plus complet devrait en plus tenir compte des efforts continus des militaires au pouvoir pour conserver leur autorité à la fois en refusant à l’opposition démocratique de jouer un rôle légitime et en menant une répression rigoureuse contre les groupes ethniques. Les entraves à l’aide humanitaire qui viennent de tous les horizons non seulement vont à l’encontre des principes humanitaires internationaux mais pourraient également relancer un nouveau cycle de conflit et d’urgences humanitaires, qui éloignerait plus encore la perspective de changements politiques positifs.
. « Les fragiles avancées birmanes »
L’Humanité – interview de Françoise Sivignon et Béatrice Stambul de Médecins du monde, parue dans l’édition du 23 décembre 06
L’Humanité : Comment prévenir le sida chez les usagers de drogue, ici et là-bas ?
Il est toujours un peu périlleux de solliciter l’intérêt de l’opinion publique sur l’épidémie de VIH lorsqu’il s’agit d’un pays lointain et oublié, la Birmanie ou Myanmar, et d’une population exclue et stigmatisée, les usagers de drogue.
Dès 1989, Médecins du monde se positionne en France comme un acteur majeur et incontournable de la réduction des risques infectieux (VIH et hépatites virales), liés à l’injection intraveineuse de drogues. Le premier programme d’échange de seringues auprès des toxicomanes fonctionnera en unité fixe puis grâce aux bus, qui vont à la rencontre des usagers des rues, en facilitant l’accès au matériel d’injection et en informant sur les pratiques d’injection aseptique. Ces actions participent à une démarche de réduction des risques, ensemble de mesures s’adressant aux usagers de drogue, quel que soit le stade de leur parcours, qui apporte prévention, accompagnement et soins sans jugement ni stigmatisation. L’accès à la substitution aux opiacés par la méthadone fait partie de ce dispositif. Ces programmes s’appuient sur des professionnels sanitaires et des « pairs », personnes issues du milieu, et vont à la rencontre des usagers qu’ils cherchent à rendre acteurs de leur propre santé.
Les résultats en France ont été éclatants en termes de déclin de la propagation du VIH chez les usagers de drogue et ont fait taire les détracteurs de ces méthodes étiquetées « laxistes » et censées encourager la consommation.
Ce déclin de l’épidémie n’est pas à l’ordre du jour en Birmanie, deuxième producteur mondial d’héroïne. Pays d’importantes migrations internes et transfrontalières, il cumule les facteurs favorisant une progression rapide du sida. Une grande pauvreté, un régime autoritaire et répressif et un manque cruel d’infrastructures sanitaires aggravent le problème, faisant inexorablement glisser l’épidémie des personnes à risque vers la population générale. La prévalence du VIH est l’une des plus élevées au monde parmi les consommateurs de drogues injectables, atteignant 77 % selon l’ONUSIDA. En 2006, il n’ y a toujours aucune réponse nationale significative à cette catastrophe sanitaire et soixante mille malades sont toujours en attente d’un traitement antirétroviral.
Présentes depuis quatorze ans dans le pays, les équipes locales et expatriées de Médecins du monde interviennent dans quatre sites de l’État du Kachin auprès des toxicomanes injecteurs d’héroïne. Nos équipes interviennent sous la menace constante de restriction d’accès à ces populations illégales harcelées par les autorités militaires. La prise en charge globale médicale et psychosociale et le programme de réduction des risques s’effectuent dans des centres d’accueil mais aussi dans des maisons d’injection. Nos activités s’inscrivent dans le système sanitaire local en collaboration avec les centres de désintoxication et font largement intervenir les acteurs locaux, éducateurs pairs et soignants. Le démarrage récent d’un programme innovant de traitement de substitution à la méthadone chez des usagers de drogue sous traitement antirétroviral devrait constituer pour Médecins du monde un nouvel axe de plaidoyer auprès des autorités birmanes. Comme nous l’avons fait en France, nous voulons démontrer que, pour des populations marginalisées et exclues des soins, l’accès aux antirétroviraux et à la substitution par la méthadone constitue un succès thérapeutique.
Dans ce pays où, dans un passé récent, on ne pouvait explicitement évoquer les termes de sida et de réduction des risques, les avancées sont fragiles mais elles existent et la voix des organisations commence à résonner comme un timide souffle d’espoir. Cependant, dans ce pays où les droits de la personne sont systématiquement violés, il reste encore un long chemin pour faire sortir de l’ombre la crise sanitaire liée au sida.
Au-delà de l’exemple birman, continuons à dénoncer le caractère criminel d’absence d’accès aux traitements pour les usagers de drogue injectable, grands oubliés des politiques de santé en Asie, en Asie centrale et dans l’ancienne Union soviétique. Notre travail de proximité, même modeste au regard des besoins, est indispensable pour dénoncer les politiques de santé inadaptées. L’utopie d’un monde sans drogues doit maintenant faire place au pragmatisme scientifiquement démontré d’une politique de santé publique qui marche ici et là-bas.
« L’affaire Total aux oubliettes ? »
Le Soir - Article de Joan Condijtis, paru dans l’édition du 8 décembre 06
Il ne manque que le feu vert du gouvernement belge pour que la plainte introduite par des réfugiés birmans contre le pétrolier français aboutisse. Or, le dossier dort. Et le 11 janvier, il sera trop tard...
L e 12 janvier 2007, le dossier Total sera soit enterré définitivement, soit exhumé. Deux hommes disposent du pouvoir de jouer les saints ou les fossoyeurs. L’avocat général auprès de la Cour de cassation, Raymond Loop, et le ministre de la Défense, André Flahaut (PS). Deux hommes qui mettront un terme à quatre années de procédure judiciaire. Ou permettront à la Justice de se plonger dans une affaire née dans la boue de la jungle birmane...
En avril 2002, quatre Birmans introduisaient en Belgique, sur base de la loi de compétence universelle, une plainte avec constitution de partie civile contre Total, son patron, Thierry Desmarest, ainsi qu’Hervé Madeo, dirigeant de la filiale birmane de la société française. Objet : complicité de crimes contre l’humanité.
Victimes de violences de la junte militaire au pouvoir à Rangoon, les plaignants estimaient, en effet, que la compagnie pétrolière avait apporté un soutien moral, financier et logistique aux bataillons birmans, notamment responsables, selon eux, d’actes de travail forcé lors de la construction d’un gazoduc dans le sud du pays - des installations que Total continue d’exploiter aujourd’hui.
Le juge d’instruction Damien Vandermeersch était chargé du dossier. En août 2003, confronté à des pressions diplomatiques, le législateur édulcorait, cependant, le texte, introduisant des critères de rattachement à la Belgique.
Conséquence : les plaintes devaient être relues à la lumière de ces modifications. Un exercice confié à la Cour de cassation.
Les plaignants doivent être de nationalité belge, y requérait l’avocat général. Les défenseurs des plaignants estimaient que le texte législatif s’opposait à la Convention de Genève relative aux statuts des réfugiés, dont l’article 16 stipule que « tout réfugié jouira du même traitement qu’un ressortissant en ce qui concerne l’accès aux tribunaux ». Une question préjudicielle était posée à la Cour d’arbitrage.
En avril 2005, la gardienne de la Constitution approuvait l’argumentation des plaignants birmans. Mais, deux mois plus tard, les avocats du pétrolier français convainquaient l’avocat général de demander un dessaisissement de la justice belge. Leurs arguments ? La Cour de cassation est obligée d’appliquer une loi anticonstitutionnelle car il n’appartient pas au pouvoir judiciaire de combler une lacune législative. Au mépris de l’avis de la Cour d’arbitrage, les conseillers suivaient l’argumentation de la défense.
En juin 2006, saisis par les avocats des Birmans, les gardiens de la Constitution répliquaient, nettoyant la loi et confirmant le viol de la Convention de Genève. Conséquence : « Le ministère public peut demander à la Cour de cassation de réexaminer l’affaire puisqu’elle a statué sur base d’une loi dont une disposition n’existe plus », expliquait Francis Delpérée, professeur de droit constitutionnel (UCL). « Cet arrêt devrait conduire à la reprise de l’instruction : il incombe à l’avocat général fédéral d’introduire la procédure en rétractation dans les six mois après la publication au Moniteur », se réjouissait Alexis Deswaef, défenseur des plaignants.
L’arrêt a été publié au Moniteur le 12 juillet 2006. Et Alexis Deswaef ne se réjouit plus.
« Nous avons l’impression qu’il y a clairement une absence de volonté de la part de l’avocat général de demander la rétractation », confie-t-il. Hier, l’avocat général n’a pas pu être joint par les services de la Cour de cassation afin de nous livrer son commentaire.
Si ce dernier ne demande pas la « rétractation », la ministre de la Justice peut l’y contraindre en vertu de son droit d’injonction positif. Le fera-t-elle ? Non.
Un refus conjugal. Laurette Onkelinx (PS) a épousé Marc Uyttendaele, constitutionnaliste (ULB), qui a rejoint l’équipe de défense des Birmans l’an dernier. Le conflit d’intérêt manifeste a contraint la ministre de la Justice à se récuser. Aussi, en vertu de l’arrêté royal du 21 juillet 2003, qui stipule, en son article 2, qu’« en cas d’empêchement légal de la ministre de la Justice, ses compétences sont exercées (...) pour ce qui concerne les dossiers francophones, par le ministre de la Défense », André Flahaut hérite-t-il du dossier birman.
Que décidera-t-il ? Interrogé hier soir, le ministre de la Défense a indiqué qu’il trancherait en temps utile. Soit dans trente-cinq jours. Le 12 janvier, la quatrième compagnie pétrolière de la planète saura si la Justice belge la lavera un jour des accusations portées contre elle ou les confirmera. Le 12 janvier, les plaignants birmans sauront si la loi de compétence universelle adoptée par le parlement belge est appliquée en Belgique.
Résolution du Parlement européen sur la situation en Birmanie
(21 décembre 2006)
Le Parlement européen ,
– vu le rapport de M. Pinheiro, rapporteur spécial des
Nations unies, sur la situation des droits de l’homme en Birmanie, du
21 septembre 2006,
– vu la décision prise par le Conseil de sécurité des Nations
unies, le 15 septembre 2006, d’inscrire la Birmanie à son ordre du
jour officiel, ainsi que la visite effectuée en Birmanie par Ibrahim
Gambari,
Sous-secrétaire général des Nations unies aux affaires politiques, du 9 au
12 novembre 2006, et le compte rendu qu’il en a fait au Conseil de
sécurité,
– vu ses résolutions précédentes sur la Birmanie, en particulier
celle du 17 novembre 2005
(1) ,
– vu le règlement du Conseil (CE) no
817/2006 du 29 mai 2006 renouvelant les mesures restrictives
instituées à l’encontre de la Birmanie/du Myanmar
(2) ,
– vu la déclaration de la présidence du sixième sommet du Dialogue
Asie-Europe qui s’est tenu à Helsinki les 10 et 11 septembre 2006,
– vu l’article 115, paragraphe 5, de son règlement,
A. considérant que le Conseil national pour la paix et le
développement (SPDC) continue d’infliger au peuple de Birmanie d’effroyables
violations des droits de l’homme, telles que le travail forcé, les
persécutions
contre des dissidents, l’enrôlement d’enfants soldats et les déplacements
forcés,
B. considérant que la convention nationale, réunie pour la
première fois en 1993 afin d’établir un projet de constitution et suspendue
à plusieurs reprises depuis lors, a repris ses travaux le 10 octobre 2006,
mais qu’elle est toujours dépourvue de toute crédibilité, en raison de
l’absence
de représentants démocratiquement élus, en particulier de la Ligue nationale
pour la démocratie, ainsi que de membres de groupes ethniques,
C. considérant que Aung San Suu Kyi, dirigeante de la
Ligue nationale pour la démocratie, lauréate du prix Nobel de la paix et du
prix
Sakharov, a passé dix des seize dernières années en assignation à résidence,
mesure illégale que la junte militaire proroge chaque année,
D. considérant que les voisins de la Birmanie doivent prendre plus
fermement position contre les abus du régime militaire dans ce pays et
exiger
que la Birmanie améliore sa conduite en matière de droits de l’homme et
accepte
la démocratie,
E. considérant que plus de 30 % des enfants âgés de moins de cinq
ans souffrent de malnutrition, que les taux de mortalité liés au paludisme
et à
la tuberculose demeurent très élevés, que l’épidémie de VIH/sida s’est
répandue
dans l’ensemble de la population et que près de la moitié des enfants en âge
d’être scolarisés ne sont jamais inscrits à l’école,
F. considérant que le gouvernement de la Birmanie a récemment
ordonné au Comité international de la Croix-Rouge (CICR) de fermer les cinq
bureaux locaux qu’il possédait dans le pays, empêchant ainsi dans les faits
cette organisation de mener la plupart de ses missions d’assistance et de
protection au bénéfice de civils vivant dans des conditions difficiles dans
des
zones frontalières,
G. considérant que, selon le rapport stratégique pour 2006 sur le
contrôle international des drogues, la Birmanie est le deuxième producteur
mondial d’opium illicite et représente plus de 90 % de la production
d’héroïne
en Asie du Sud-Est,
1. condamne le SPDC pour la répression impitoyable qu’il exerce
contre le peuple birman depuis quarante ans et pour son échec total à
accomplir
des progrès significatifs vers la démocratie ;
2. se refuse à reconnaître la légitimité de toute proposition
constitutionnelle présentée par la convention nationale aussi longtemps
qu’elle
n’inclura pas la Ligue nationale pour la démocratie et les autres partis
politiques ; invite instamment la convention nationale à présenter une
feuille de
route pour l’accès à la démocratie qui reflète véritablement les souhaits du
peuple birman, au lieu de consolider la mainmise de l’armée sur le pouvoir ;
3. demande la libération immédiate et inconditionnelle de
Aung San Suu Kyi et de tous les autres prisonniers politiques - dont le
nombre est estimé à plus de 1 100 - détenus par le SPDC ;
4. déplore la fermeture récente, par le gouvernement de Birmanie,
de cinq bureaux locaux du CICR (à Mandalay, Mawlamyine, Hpa-an, Taunggyi et
Kyaing Tong), ce qui empêche dans les faits cette organisation d’accomplir
son travail humanitaire, ainsi que d’autres mesures visant à intimider les
organisations non gouvernementales (ONG) d’aide humanitaire ; invite le
gouvernement de Birmanie à autoriser ces organisations à agir sans subir
d’ingérence et de restrictions ;
5. condamne fermement les mesures de répression brutales prises
par le régime contre plusieurs grands groupes ethniques, dont les Karen de
l’est
de la Birmanie, qui ont entraîné des souffrances et des déplacements
internes à
grande échelle, environ 82 000 personnes ayant été contraintes de quitter
leur foyer dans l’est de la Birmanie en 2006, ce qui porte le nombre des
personnes déplacées à l’intérieur de la Birmanie à 500 000 au moins ;
6. se félicite de la visite d’inspection effectuée en 2006 en
Birmanie par le ministre malaisien des Affaires étrangères,
Syed Hamid Albar, à la suite de la position adoptée l’année dernière
par le onzième sommet de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est
(ANASE),
et espère qu’elle se traduira à présent par des mesures plus fermes des pays
membres de l’ANASE contre la junte militaire en Birmanie ;
7. se félicite de la décision de l’Organisation internationale du
travail d’exposer ses préoccupations concernant l’odieux recours du SPDC au
travail forcé devant le Conseil de sécurité des Nations unies et la Cour
internationale de justice, et espère que cette ligne de conduite plus ferme
incitera le SPDC à mettre fin à cette pratique ;
8. reconnaît que les sanctions ciblées de l’Union européenne n’ont
pas été centrées sur les secteurs économiques qui procurent au régime
d’importantes recettes et qu’elles ont pour cette raison échoué jusqu’à
présent
à avoir l’effet souhaité sur les responsables directs des souffrances du
peuple
birman ; invite le Conseil à veiller à ce que tous les États membres
appliquent
rigoureusement les mesures restrictives existantes ;
9. invite le Conseil à étendre le champ des sanctions et à élargir
la liste des personnes visées, de manière à y inclure tous les ministres,
députés, membres, partisans et employés du SPDC, ainsi que les membres de
leur
famille, et les hommes d’affaires et autres personnes en vue associées au
régime ;
10. invite instamment la Chine, l’Inde et les autres pays qui
continuent de fournir du matériel de guerre et d’autres formes de soutien à
la
junte militaire à cesser de le faire et à se joindre aux efforts de la
communauté internationale pour apporter des améliorations en Birmanie ;
11. se félicite de la décision de procureurs sud-coréens
d’inculper quatorze personnes travaillant pour sept sociétés sud-coréennes,
qui
auraient fourni une aide technologique et des équipements pour aider le
régime
birman à construire une usine d’armement à Pyay, au centre de la Birmanie ;
12. se félicite de l’ouverture récente, par les Nations unies, du
premier de sept centres d’assistance juridique, situé au camp Ban Mae Nai
Soi, au nord-ouest de la Thaïlande, pour les réfugiés birmans vivant en
Thaïlande, pays voisin, et attend que les Nations unies prennent
prochainement
d’autres mesures vigoureuses contre le SPDC ;
13. insiste sur le fait que toute l’aide allouée à la Birmanie
doit être fournie par l’intermédiaire de véritables ONG et parvenir aux
personnes à qui elle est destinée, avec le moins de participation possible
du
SPDC ;
14. invite le Conseil de sécurité des Nations unies à adopter une
résolution contraignante demandant la restauration de la démocratie en
Birmanie
et la libération de tous les prisonniers politiques, notamment Aung San Suu
Kyi ;
15. charge son Président de transmettre la présente résolution au
Conseil, à la Commission, aux gouvernements des États membres, aux
gouvernements
des pays membres de l’ANASE, à la Ligue nationale pour la démocratie, au
Conseil
national pour la paix et le développement ainsi qu’au Secrétaire général des
Nations unies.
(1)
JO C 280 E du 18.11.2006, p. 473.
(2)
JO L 148 du 2.6.2006, p.
1.
Messages
1. Nouvelles de Birmanie numéro 15, 22 janvier 2007, 19:22
Merci pour ce flot important d’informations.
Nous continuons la lutte, pour la liberation de tous les prisonniers politiques, et c’est extremement important !
A lire : "Aung San Suu Kyi, détenue pour évasion fiscale. En rire ou en pleurer ?"
http://www.changer-le-ps.com/article-5299289.html