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OBAMANIE, QUAND TU NOUS TIENS !

Publie le vendredi 22 mai 2009 par Open-Publishing

OBAMANIE, QUAND TU NOUS TIENS !

Jacques-François Bonaldi

J’imagine que dans toute bonne école de journalisme, on apprend aux élèves à différencier texte de contexte et surtout, à « contextualiser », pour employer un mot à la mode, les événements, afin qu’une fois devenus des professionnels, ils sachent donner aux nouvelles qu’ils écrivent l’environnement qui est le leur et sans lequel elles sont souvent incompréhensibles. C’est là un savoir que les journalistes semblent toutefois oublier quand il s’agit d’aborder certains domaines où intervient l’ « idéologie ». Je n’en veux pour preuve que les récents comptes rendus des déclarations de Raúl Castro, le 16 avril 2009, à Cumaná (Venezuela) à l’occasion du Cinquième Sommet extraordinaire de l’Alternative bolivarienne pour les Amériques (ALBA).

Ainsi, The New York Times informe, le 18 avril, sous la plume de Sheryl Gay Stolberg et d’Alexei Barrionuevo :

« PORT OF SPAIN, Trinité-et-Tobago — Le président Obama, cherchant à introduire le dégel dans les relations longtemps glaciales avec Cuba, a dit vendredi à une réunion de dirigeants du continent américain que « les États-Unis cherchaient un nouveau départ avec Cuba » et que son administration cherchait à s’engager avec le gouvernement castriste sur une large série de questions.

Les remarques d’Obama, fait à la cérémonie inaugurale du Sommet des Amériques, sont le signe le plus clair durant des décennies que les États-Unis sont disposés à changer de cap dans leurs relations avec Cuba et couronnent une série d’événements vertigineuse intervenue cette semaine, dont les paroles étonnamment chaleureuses entre Raúl Castro, le dirigeant cubain, et la secrétaire d’Etat Hillary Rodham Clinton. »

Là, j’avoue que c’est moi qui suis étonné ! Il est évident que les deux journalistes n’ont pas fait le moindre effort pour aller voir dans quel « contexte » Raúl avait dit être prêt à parler de tout avec les USA. Et quand on le fait, on constate aussitôt que le ton est rien moins que « chaleureux ».

Je fournis donc le contexte. C’est presque au début de l’ouverture du Sommet de l’ALBA. Hugo Chávez, hôte de la réunion, a la parole, en présentant les raisons d’être. Soudain, un adjoint lui passe un papier. Il s’interrompt et informe les présents des déclarations faites à Saint-Domingue par Hillary Clinton (il est trois heures de l’après-midi) selon laquelle elle a, entre autres choses, « pressé instamment Cuba de libérer les prisonniers politiques, de permettre le libre flux d’information et la liberté de réunion ». Je glose le commentaire de Chávez : eh bien, si c’est là le nouveau discours de l’administration Obama, c’est mal barré… Il passe la dépêche à Raúl, qui est assis à ses côtés et qui se plonge aussitôt dans sa lecture. Chávez reprend le fil de son discours. Différents présidents interviennent, tandis que la caméra de télévision se braque de temps à autre sur Raúl, toujours dans sa lecture.

À un moment donné de la réunion, Raúl se lève pour abandonner, semble-t-il, la salle. Mais il ne part pas, s’approche de Daniel Ortega, lui passe la main du cou, lui demande quelque chose, puis prend finalement la parole, debout, toujours le bras posé sur les épaules d’Ortega. Et là, alors, on se rend compte qu’il est furieux, énervé. Le ton est dur, sec. Il refuse de parler de l’OEA, mais en parle de fait, pour dire qu’elle suinte le sang depuis sa naissance. Il rappelle que ce 16 avril marque le quarante-huitième anniversaire du jour où Fidel affirme que la Révolution est socialiste, durant l’enterrement des victimes de bombardements de la veille, prélude de l’invasion qui débutera le 17 avril 1961. Il rappelle que l’OEA a approuvé toutes les atrocités de l’Empire, dont l’invasion du Guatemala en 1954 pour renverser Jacobo Arbenz. Il se demande pourquoi et par qui Cuba a été attaquée. Il évoque que le terrorisme d’État des États-Unis contre la Révolution cubaine a fait plus de 5 500 victimes, entre morts et mutilés, dans la population. Il évoque l’épidémie de dengue hémorragique introduite par des terroristes et qui a coûté la vie à plus de cent personnes, la plupart des enfants. Il rappelle les morts de Playa Girón, les combats, avec la flotte étasunienne, dont un porte-avions, à la limite des eaux territoriales (trois milles). Il évoque ce qu’il se serait passé si les États-Unis avaient envahi le pays en 1962, comme tous les documents déclassifiés prouvent qu’ils allaient le faire pour venger l’humiliante défaite de Playa Girón et liquider une fois cette Révolution cubaine qui leur résistait, la présence des fusées soviétiques ayant répondu à cette menace tout à fait précise.

Et c’est presque à la fin de cette philippique contre les États-Unis, contre ce qu’ils représentent comme pire ennemi de la nation cubaine depuis deux cents ans et de la Révolution cubaine depuis cinquante, alors qu’il n’a pas décoléré depuis le début de son intervention, qu’il lâche la fameuse phrase que la presse internationale, d’un même élan, a mis en exergue, comme s’il n’avait dit que ça. En fait, il répond exactement aux déclarations d’Hillary Clinton qu’il a lues un peu plus tôt.

« Et puis aussi, comme Evo et d’autres compagnons en ont parlé ici, la démocratie, la liberté, les droits de l’homme… Eh bien, nous avons fait dire au gouvernement étasunien, en privé et en public, que les droits sont là pour qu’on en discute, tous les droits : les droits de l’homme, la liberté de la presse, les prisonniers politiques, tout, tout, tout. Tout ce qu’ils veulent discuter, mais sur un pied d’égalité, sans la moindre ombre à notre souveraineté, sans la moindre violation du droit du peuple cubain à l’autodétermination ! (Applaudissements.) »

Et là, malheureusement, la traduction sur papier ne donne rien du ton de l’orateur, et des gestes. Il est furieux, il est excédé d’entendre une fois et encore le même langage, la même ritournelle. Il se prend la tête dans les mains, il supplie presque : le ton est : mais quand aurez-vous fini de nous juger ? Y’en marre ! Et quand il dit que Cuba est prête à discuter « des droits de l’homme, de la liberté de la presse, des prisonniers politiques, tout, tout, tout », le ton veut exactement dire, contrairement à ce que pense la presse internationale qui y voit là un début de « sagesse », non de ces droits à Cuba, mais de ces droits chez vous aussi, parce que votre liberté de la presse est douteuse, parce que vous avez des prisonniers politiques, parce que vos droits de l’homme sont sacrément violés… Ce n’est pas pour rien qu’il rappelle qu’il n’y a qu’un seul parti aux USA. Que la liberté de la presse y est celle des patrons.

Et ce n’est pas pour rien, non plus, qu’il affirme que, après avoir fait le petit pas si porté aux nues (levée des restrictions aux voyages et aux envois de fonds, mais uniquement pour les Cubano-Américains, la Maison-Blanche se croit en droit de poser des conditions :

« Mais, et je vais conclure là-dessus, il est évident que maintenant ils se doivent de créer un climat, et à peine vous différez sur quelque chose, aussitôt ils vous sortent : et la démocratie ? Et la liberté ? Et les prisonniers ? »

Et ce premier geste, « minime », selon le qualificatif de Fidel, semble de toute évidence si suffisant pour la Maison-Blanche qu’Hillary Clinton et tous les porte-parole ne se cachent pas pour dire que la balle est maintenant dans le camp de Cuba, je n’en veux pour preuve que ces déclarations de samedi (tiré du Temps de Lausanne) :

« Le porte-parole de M. Obama, Robert Gibbs, a dit que certaines déclarations de M. Castro avaient particulièrement retenu l’attention, à commencer par celles dans lesquelles il reconnaissait que les dirigeants cubains n’étaient que des "êtres humains" et qu’ils avaient pu se tromper par le passé.

« "C’est un changement de rhétorique de leur part comme nous n’en avons pas vu depuis un moment et qui mérite certainement que nous l’examinions plus profondément", a commenté M. Gibbs.

« Mais à la presse qui lui demandait si la balle était toujours dans le camp de Cuba malgré ce que la secrétaire d’État Hillary Clinton a salué comme une ouverture de la part de M. Castro, il a répondu : "Elle l’a toujours été".
« "Il est très juste de dire" que M. Obama attend à présent des mesures de réciprocité, a-t-il ajouté.

« Il a fait valoir que M. Obama avait manifesté concrètement cette semaine sa volonté de changer la nature des relations en levant toutes les restrictions sur les voyages et les transferts d’argent des Cubains des États-Unis vers leur île d’origine.

« "Les sourires et les poignées de mains, et le souhait d’un dirigeant qui dit vouloir être l’ami du président, tout cela c’est une chance magnifique de joindre les actes à la parole. Et le président et d’autres dans son administration attendent avec impatience ces nouveaux gestes", a expliqué M. Gibbs, sans qu’il apparaisse clairement s’il parlait de M. Castro ou peut-être de son allié vénézuélien Hugo Chavez. Ce dernier, bête noire du gouvernement de George W. Bush, a offert vendredi son amitié à M. Obama.

« Un haut responsable de la Maison Blanche a cependant reconnu que maints dirigeants d’Amérique latine réunis avec M. Obama samedi matin lui avaient à nouveau demandé de lever l’embargo.

« M. Obama leur a répondu qu’il comprenait l’importance de la question pour eux. Mais dans un appel voilé à se joindre aux pressions américaines, il a ajouté qu’eux aussi, tous démocratiquement élus, devaient se préoccuper de démocratie à Cuba, a expliqué ce responsable sous couvert de l’anonymat. »

Si Obama, son Hillary Clinton et son département d’État pensent qu’un petit geste peut biffer cinquante ans de forfaitures contre la Révolution cubaine, et des milliers de victimes, ou s’ils pensent qu’il suffit de dire qu’il faut, du passé, faire table rase pour que le contentieux disparaisse comme par enchantement, ou s’ils croient que les fleurs de rhétorique (« laissons de côté l’idéologie », a-t-il dit à ses pairs latino-américains) peuvent noyer des siècles d’intervention et des centaines de milliers de victimes, s’ils pensent qu’il suffit de se justifier en disant qu’il n’est pas responsable, eh bien, alors, les choses n’avanceront guère, ni avec l’Amérique latine, ni, à plus forte raison, avec la Révolution cubaine !
Et si c’est vrai qu’il s’estime non responsable des actions de ses prédécesseurs, alors qu’il se démarque concrètement de leurs faits et gestes. Un seul exemple, mais ils fourmillent : dire que la Doctrine Bush vis-à-vis de Cuba n’est plus valable, démanteler la Commission présidentielle pour la transition démocratique à Cuba, parce que, que je sache, c’est là un document officiel de la Maison-Blanche qu’hérite le nouveau locataire (Raúl a rappelé que l’invasion de Playa Giron a été peaufinée par Eisenhower, mais que c’est Kennedy qui l’a matérialisée…). C’est tout bête. Ou alors, demander pardon à Cuba pour toutes les victimes qu’ont causées ses prédécesseurs.

Quant aux gros dossiers, ils ne manquent pas non plus. Au hasard, et sans ordre ni préférence : la base de Guantánamo usurpée et illégale au vu du droit international ; la loi d’ajustement cubain ; la mise sous séquestre des fonds cubains, utilisés pour payer des indemnisations à des contre-révolutionnaires ; la mise sous séquestre des fonds en rapport avec les communications téléphoniques ; l’annulation du vol des marques commerciales cubaines aux USA, etc. Sans parler des Cinq qu’il lui suffirait de gracier pour empêcher la continuation d’une injustice flagrante, ou alors ordonner à son département d’Etat de délivrer des visas aux deux épouses qui n’ont plus vu leur maris emprisonnés depuis dix ans. Ou alors indemniser les victimes des attentats terroristes. Ou juger les terroristes cubano-américains que ses prédécesseur n’ont jamais jugés, ou alors les extrader au Venezuela ou au Panama qui les réclament, ou alors directement à Cuba…

Bref, des gestes, Obama en a tant à faire qu’il ressemblera très vite à un moulin à vent en pleine tempête. Avant que l’équilibre soit atteint sur ce plan entre les deux pays, il va devoir user nombre de ces fameux stylos-plumes de la Maison-Blanche dont le président fait ensuite cadeau aux invités.

Parce que, que je sache, l’agresseur a été toujours et toujours la Maison-Blanche et ses dépendances. Comment ose-t-on demander à la victime de faire amende honorable !

Car le fond, le vrai fond, reste le même, indépendamment des locataires dormant dans les draps de la Maison-Blanche : cette volonté inébranlable des gouvernements étasuniens, depuis maintenant cinquante ans, de contraindre Cuba à renoncer à son système politique, économique et social, si celle-ci veut avoir des relations normales avec les États-Unis. Au nom de quel droit ? Du plus fort, de l’arrogant, du tout-puissant. Quand le Costa Rica a tout récemment renoué les relations avec Cuba – et Dieu sait si son président est un ennemi juré de la Révolution ! – il n’a pas demandé en échange à Cuba de renoncer à son système politique. Pourquoi les USA n’en feraient-ils pas autant et ne renoueraient-ils pas les relations sans rien demander en échange ou imposer des conditions ?
Devant les prises de position officielles aux USA, on comprend l’irritation de Raúl. Non, de chaleureux, je n’ai vu trace dans son intervention… De sorte que les déclarations de samedi remettent les pendules à l’heure et les choses en place. C’est une bonne chose. Rien n’est pire que l’aveuglement.

Heureusement, la Révolution cubaine est toujours aussi lucide, et l’Amérique latine voit de plus en plus clair. Une vrai Opération Miracle ! A laquelle il faudrait soumettre Obama et Cie.