Accueil > Où sont passés tous les soldats ?

Où sont passés tous les soldats ?

Publie le mercredi 7 septembre 2005 par Open-Publishing
1 commentaire

"Vous connaissez l’année 1900-c’était il y a 60 ans
quand la mort surgit en hurlant de l’océan
la mort appelle, faut que j’y aille, c’est le moment"
Tom Rush, Wasn’t it a Mighty Storm

par Daniel Patrick Welch traduit par Fabrice Brunon

"Galveston avait une digue, simplement pour maintenir les eaux. Mais la marée monta et la ville fut engloutie sous les flots." L’ouragan le plus meurtrier de l’histoire des Etats-Unis fut responsable de la mort par noyade de près de 6000 personnes à Galveston au Texas, il y a un peu plus de cent ans ; une tragédie humaine immortalisée en 1960, dans la ballade mélancolique de Tom Rush.

Cependant, cet évènement ne fut pas seulement transmis de génération en génération par le folklore, il fut conservé religieusement sous la forme de chartes à travers le pays. Á cette époque, la tragédie en question tira la sonnette d’alarme et le gouvernement réalisa qu’une organisation à grande échelle pourrait bien être d’une aide précieuse en période de crise. Le gouvernement n’était pas simplement là pour mettre de l’huile dans les rouages du « progrès » afin que les Robber Barrons continuent à s’en mettre plein les poches. Le gouvernement serait éventuellement en mesure d’aider la population.

J’imagine que tout ne s’est pas déroulé comme prévu. Un siècle de progrès plus tard et la ballade est malheureusement toujours d’actualité. "Les trains à la gare étaient bondés/Une foule de gens quittant la ville/Les chevalets cédèrent devant la marée/Les trains ont tous déraillé." Tout en lisant ces lignes, imaginez-vous l’image de milliers de malheureux, coincés, nulle part où aller et sans moyen de locomotion, attendant le salut dans le Superdome, pendant que les eaux autour d’eux ne cessaient de monter ; certains, vieillards et infirmes, périssant à cause du manque de nourriture, d’eau, de soins médicaux et d’hygiène.

"La Mort, vos mains sont glaciales comme le fer/Je ne peux rien faire/Vous avez emmené ma mère/Et moi, qu’attendez-vous pour me faire taire ?" J’entends Tom Rush fredonner pendant que j’écris ces mots, mais le chagrin que je ressens à l’égard d’Harvey Jackson alors que la main de sa femme glissa loin de la sienne, n’est nullement soulagé par la mélodie. Comment se fait-il qu’après plus d’un siècle d’enseignement, tant de richesse et d’organisation ne soient pas en mesure d’atténuer la violence d’une telle tragédie ? Pour Harvey Jackson et ses enfants, personne n’aurait pu faire quoi que ce soit et les derniers mots de sa femme, de "prendre soin des enfants" n’en sont pas moins déchirants.

Ceci-dit, les officiels fédéraux furent abondamment critiqués pour la façon dont ils gérèrent le lendemain de la catastrophe et ils le méritent bien. Un de mes plus anciens souvenirs de la Garde Nationale est celui du blizzard de 1978, lorsqu’un détachement fut affecté au bout de notre rue afin d’empêcher la population d’emprunter les routes. On s’en moquait, on n’était même pas encore au lycée et en plus, où qu’on aille, on y allait à pied. Mais aujourd’hui, vu que les forces de la Garde Nationale sont en train de se battre en Iraq pour Bush, le même scénario est impensable. Cela fait deux ans que des rumeurs circulent sur des gouverneurs en colère, se hérissant devant l’effronterie des autorités fédérales, s’appropriant elles-mêmes le commandement des Gardes Nationaux de leur état. Le gouverneur du Connecticut fit appel à la justice pour stopper le redéploiement des avions de la Garde Nationale de son état. Les cyniques et les bellicistes ne voyaient vraiment pas l’usage qu’un gouverneur pouvait avoir d’un équipement si lourd. Pourquoi laisser pourrir ces avions au sol alors qu’ils sont tellement utiles à Bagdad ?

En effet, pourquoi ? La réponse déboula en force dimanche dans la matinée, rasant sur son passage, une grande partie des côtes de l’Alabama, du Mississipi et de Louisiane. Alors que les inondations commencèrent à remplir la cuvette qu’est la Nouvelle Orléans, des histoires émergèrent sur les coupes budgétaires des préparations en cas de catastrophe, sur les avertissements décrivant exactement ce scénario, émis il y a près de cinq ans et enfin, sur les membres de la Garde Nationale, dans l’incapacité de venir aider les sauveteurs, tout simplement parce qu’ils ont été renvoyés en Iraq.

Demandez à Robert Buras, le propriétaire de l’épicerie, Royal Street Grocery, cité dans le journal Times-Picayune : "Il faut que je rationne tout. Les gars de la Garde Nationale qui savent comment gérer les catastrophes comme les ouragans sont tous en Iraq. La vache, je veux qu’on me rende mes soldats !" Maintenant, quelques jours plus tard, trop tard pour sauver Dieu sait combien de personnes, les cyniques gravitant autour de Karl Rove remuent ciel et terre dans le but d’obtenir une aide militaire... et médiatique. Dieu merci, le président vient d’interrompre ses vacances ! Et voilà maintenant que la Garde Nationale jaillit de partout dans la ville submergée ; les fédéraux ont tenu une conférence de presse grincheuse et sur la défensive, afin de rassurer un public blasé : ils font de leur mieux. Bien sûr, il est tout à fait possible qu’ils disent la vérité, vu qu’une grande partie de ce qu’ils peuvent accomplir a été dilapidé dans la débâcle d’un quart de milliard de dollars qui s’appelle l’Iraq.

C’était drôle, quand même - enfin ça l’aurait été si ce n’était pas si exaspérant - de regarder ces voyous essayer de se défendre contre les critiques selon lesquelles, peut-être, le siphonnement illégal de ces milliards rend la gestion des catastrophes ici, au pays, un tantinet plus difficile. Michael Chertoff a regardé la caméra avec sincérité et a dit à la population que, "nous comprenons ce que vous êtes en train de vivre", si vous êtes coincés sur un toit, attendant de l’aide. Quelle connerie ! Ma tête se met à vibrer à l’écoute de ces dissonances cognitives et je me sens obligé d’éructer : "S’ils sont sur un toit à la Nouvelle Orléans, ils ne peuvent sûrement pas te regarder à la télé, pauvre crétin !" Bien sûr, je comprends que ce n’était qu’un stratagème : c’est à moi qu’il parlait, à nous tous, bien conscient que la colère générale est en train de monter, lentement mais sûrement, comme les inondations, les eaux d’égout et le nombre de morts. C’est une astuce vieille comme le monde, avoir l’impression d’éprouver de la sympathie pour ceux qui ne peuvent pas vous entendre, dans le but de gagner la sympathie de ceux qui le peuvent. Toutes ces campagnes de pub risibles, montrant des politiciens républicains en train de serrer des noirs dans leurs bras ? Ils savent parfaitement qu’il gèlera en enfer avant qu’ils obtiennent leurs votes, mais ils font en sorte de rassurer les petites bourgeoises de banlieue pour qu’elles puissent embarquer sur leur croisade politique raciste et cul béni ; tous ces dollars dépensés en conseils de relation publique s’avèrent être un bon placement ! Et ce n’est pas pour rien, n’importe qui ayant vu les séquences filmées sur les côtes ne manquera pas de remarquer que les victimes sont toutes bronzées.

Pendant ce temps là, le grand Manitou de la torture, Alberto Gonzalez, qui se fait également appelé Ministre de la Justice, divague sur le fait qu’il faut faire très attention aux organismes de charité frauduleux, sans parler des gens qui volent des couches et de la nourriture. Je m’attendais à ce qu’il dise que toute personne prise dehors après le couvre-feu serait forcée de se tenir sur une boite pendant deux jours, cagoulée et les partie génitales attachées avec du fil barbelé. Au plan suivant, on passe sur le maire de San Antonio qui propose l’aide de sa ville. Putain, c’est quoi ce délire ? Qu’est ce que le maire de San Antonio fout à la télé, en train de parler de l’Armée du Salut et de la Croix Rouge ? C’est très gentil de sa part de vouloir aider, mais est-ce parce que nous avons le budget fédéral le plus lourd de l’histoire, que les villes en ruine, dont les systèmes d’irrigation, les routes et les ponts sont littéralement en train de crouler sous le poids de la négligence fédérale, peuvent faire le boulot du gouvernement fédéral ? S’il y a un objectif (bien sûr, je ne dis pas qu’il y en a un) à avoir un budget militaire si monstrueux et une armée si immense, n’est-ce pas pour ceci, justement ?

Mais, bien sûr, c’est le programme néoconservateur qui marche à merveille. En affamant la bête, comme on dit, on peut laisser l’inefficace gouvernement fédéral se ratatiner et mourir. Bien sûr, l’infecte hypocrisie de cette idée est révélée par le gavage simultané du Pentagone, devenant obèse, à l’instar du foie malade des oies, élevées pour le foie gras. Aucun problème à ce niveau : c’est du tout bon, si vous pouvez anéantir la bureaucratie peu rentable (sauf le Pentagone) et remplir les poches de vos amis en même temps. La notion de "gâchis" n’est valable que pour les programmes qui n’enrichissent pas ces gens - déjà pourris de fric et qui contribuent généreusement aux campagnes électorales - comme les programmes dont le but est d’aider les populations.

Il y a une autre chanson qui me trotte dans la tête, une qui se lamente sur l’intransigeance fédérale durant l’époque précédent Hoover. "Président Coolidge est arrivé en train/accompagné d’un petit gros, un carnet à la main/Mr le Président a dit : petit gros, c’est pas fou/ce que la rivière a fait à ces pauvres bougres sans le sous." De toute façon, ce sont principalement les gens dans la pauvreté, qui meurent dans les désastres naturels. Mais le vrai petit gros (je n’arrive pas à croire que Karl Rove était bébé quand Randy Newman a couché ces mots sur le papier) est bien conscient que le président ne peut pas donner cette impression de sans cœur. Cependant, les actes (ainsi que les budgets et les priorités) en disent plus long que les mots. Cent ans plus tard, les deux guerres mondiales et le nombre incalculable de tragédies auraient pu nous enseigner des leçons différentes de celles que nous avons apparemment apprises. Un siècle à construire sur des marécages, pendant que les promoteurs se moquaient des écolos. Combien de vies, ces marécages, agissant comme amortisseurs naturels, auraient-ils pu sauver cette semaine ? Au lieu de cela, nous sommes revenus au temps où le rôle du gouvernement était de faciliter le transfert des richesses dans les mains des riches. Et le refrain de la chanson de Newman constitue une coda, sinistre mais parfaitement appropriée à l’introduction de Tom Rush : "Louisiane. Louisiane. On essaye de nous faire disparaître/on essaye de nous faire disparaître.."

Messages

  • je suis en france, au pays de camargue, à lunel, près de montpellier. J’ai pu rouler cet après-midi en centre ville et j’ai vu des maisons menacées par les inondations, avec des planches, des coussins de fortune, et des regards de gosses. encore ceux qui déjà souffrent, puis-je leur parler de ce qui s passe aux états unis où on laisse des gens mourir ; simplement parcequ’ils ne sont pas utiles dans l’économie de bush ? j’ai mal au coeur. pour les jeunes soldats qui ne se sentent plus utiles en irak, et pour ceux qui crient en attendant la mort..