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Paul Krugman : " Cette crise a probablement encore des années devant elle. "
Publie le jeudi 9 avril 2009 par Open-PublishingAu début de cette crise financière, les plaisantins s’amusaient de ce que nos échanges commerciaux avec la Chine soient devenus finalement équitables et équilibrés : Elle nous vendait des jouets toxiques et des fruits de mer avariés, nous lui avions vendu des produits financiers frauduleux.
Mais ces jours-ci, les deux parties de ce contrat se dénouent. D’un côté, l’appétit du monde entier pour les produits en provenance de Chine a brutalement baissé. Les exportations du pays ont chuté au cours des derniers mois et sont maintenant inférieures de 26 pour cent à celles de l’année dernière. De l’autre côté, les Chinois deviennent à l’évidence inquiets en ce qui concerne leurs avoirs.
Mais la Chine semble manifester encore des attentes irréalistes. Et c’est un problème pour nous tous.
L’information importante la semaine dernière était le discours de Zhou Xiaochuan, gouverneur de la banque centrale de Chine, appelant à la création d’une nouvelle « super-monnaie de réserve. »
L’aile paranoïaque du Parti républicain a aussitôt mis en garde contre un odieux complot visant à faire abandonner le dollar américain. Mais le discours de M. Zhou signait un aveu de faiblesse. Il revenait a admettre que la Chine était tombée d’elle même dans le piège du dollar, et qu’elle ne pouvait en sortir par ses propres moyens, ni faire évoluer les politiques qui l’y avaient conduite précédemment.
Voilà le contexte : durant les premières années de cette décennie, la Chine a commencé à accumuler de larges excédents commerciaux, tout en attirant également des flux de capitaux étrangers. Si la Chine avait eu un taux de change flottant - comme par exemple le Canada - cela aurait entraîné une augmentation de la valeur de sa devise, ce qui à son tour aurait ralenti la croissance de ses exportations.
Au lieu de cela, elle a choisi de conserver le taux de change du yuan face au dollar plus ou moins fixé. Pour ce faire, elle a dû acheter des dollars au fur et à mesure qu’ils entraient dans le pays. Au fil du temps, ces excédents commerciaux n’ont cessé de croître - et de la même façon les avoirs chinois à l’étranger on eux aussi augmenté.
En fait, la blague à propos de titres frauduleux était injuste. Mis à part quelques peu judicieuses acquisitions d’actions effectuées de façon tardive, lorsque les cours étaient à leur sommet, les chinois ont surtout accumulé des actifs très sûrs, dans lesquels les bons du trésor américains - les T-bills - représentent une grande partie du total. Cependant, alors que les bons du Trésor sont des placements aussi sûrs que quoi que ce soit d’autre sur la planète, ils sont d’un rendement assez faible.
Y avait-il une stratégie réfléchie derrière cette vaste accumulation d’actifs à faible rendement ? Probablement pas. La Chine a rempli sa cassette de 2000 milliards - transformant la République Populaire en République des T-bills - de la même manière la Grande-Bretagne a acquis son empire : sans y penser.
Mais ces derniers jours, il semblerait que les dirigeants chinois viennent de se réveiller et de comprendre qu’il ont un problème.
Le faible rendement des bons du Trésor ne semble pas les déranger beaucoup, même aujourd’hui. Mais ils sont apparemment préoccupés par le fait que près de 70 pour cent de leurs actifs sont libellés en dollars, de sorte que toute baisse future du dollar entrainerait une lourde perte sur ce capital pour la Chine. D’où la proposition de M. Zhou de passer à une nouvelle monnaie de réserve inspirée par les DTS, ou Droits de Tirage Spéciaux, qui sont l’unité de compte utilisée par le Fonds Monétaire International.
Il y a là à la fois moins et plus que ce que la première impression pourrait laisser croire. Les DTS ne sont pas réellement de l’argent. C’est une unité de compte dont la valeur est fixée sur un panier de dollars, d’euros, de yens japonais et de livres sterling. Et rien n’empêche la Chine de diversifier ses réserves, c’est à dire de mettre en place un panier de réserves correspondant à la composition des DTS. Rien, si ce n’est que la Chine détient maintenant un si grand nombre de dollars qu’elle ne peut pas les vendre sans faire baisser la devise américaine, déclenchant par là même cette perte de capital que redoutent ses dirigeants.
Ainsi, la proposition de M. Zhou revient en fait à lancer un appel pour que quelqu’un vienne préserver la Chine des conséquences de ses propres erreurs d’investissement. Cela ne se produira pas.
Et l’appel à une forme de solution magique au problème de l’excès de dollars chinois, suggère autre chose : les dirigeants du pays n’ont pas pris conscience du fait que les règles du jeu avaient changé de façon fondamentale.
Il y a deux ans de cela, nous vivions dans un monde où la Chine pouvait épargner bien plus que ce qu’elle investissait et placer cet excédent d’épargne aux Etats-Unis. Mais ce monde n’existe plus.
Pourtant, le lendemain de ses déclarations sur une nouvelle devise de réserve, M. Zhou a fait un autre discours dans lequel il semble affirmer que le taux d’épargne extrêmement élevé de la Chine est une donnée immuable, résultant du confucianisme qui prône le refus de l’« extravagance, » et que dans le même temps, « ce n’était pas le bon moment » pour les États-Unis pour épargner plus. En d’autres termes, nous allons continuer comme nous le faisions.
Cela non plus ne se produira pas.
Le point essentiel, c’est que la Chine n’a pas encore admis les révisions déchirantes qui seront nécessaires pour faire face à cette crise mondiale. La même chose pourrait bien entendu être dite des Japonais, des Européens - et de nous mêmes.
Cet échec à faire face aux nouvelles réalités est la principale raison pour laquelle, en dépit de quelques bonnes nouvelles - le sommet du G-20 a accompli plus que je ne le croyais possible - cette crise a probablement encore des années devant elle.
Paul Krugman, 2 avril 2009.
Traduction en langue française :
http://contreinfo.info/article.php3?id_article=2642
Article original en langue anglaise :
http://www.nytimes.com/2009/04/03/opinion/03krugman.html?_r=1&partner=rssnyt&emc=rss