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Pierre Mériaux, inspecteur du travail : "On devine qu’il y a des charters à remplir"

Publie le mercredi 14 septembre 2005 par Open-Publishing

Pierre Mériaux, inspecteur du travail et membre du syndicat SNU travail-emploi-formation :

Par Nicolas de la CASINIERE

Pierre Mériaux, membre du bureau national du syndicat SNU travail-emploi-formation et inspecteur du travail à Grenoble, réagit à l’injonction du ministre de l’Emploi.

Par le biais du travail au noir, le ministre de l’Intérieur vous demande de poursuivre les sans-papiers sur les lieux de travail. En quoi êtes-vous choqué ?

Cette circulaire bafoue les traditions républicaines les plus établies et les conventions internationales protégeant les inspecteurs du travail. Des deniers, faut-il le rappeler, dépendent de la convention 81 de l’Organisation internationale du travail, et non pas des préfets. Nous maintenons que les salariés sont les victimes qu’il faut protéger. De plus, il est choquant de voir associer immigration clandestine et travail illégal. Car c’est une contre-vérité flagrante, détournant la réalité constatée par les services officiels. Selon les dernières statistiques de la Dilti (Délégation interministérielle à la lutte contre le travail illégal), seules 7,1 % des infractions pour travail illégal ont concerné des étrangers sans titre en 2001. Et même la PAF (police aux frontières), pourtant spécialisée, ne relève ce délit que dans un quart de ses procédures.

Vous considérez cette circulaire comme une attaque à votre indépendance ?

Régulièrement, le ministre de l’Intérieur tente d’accaparer la lutte contre le travail illégal en la traitant comme une délinquance semblable aux autres. Il est hors de question d’accepter de se voir transformer en force annexe de la Place Beauvau. Avant l’été, on a déjà pointé cette dérive lors de la création de l’Office central de lutte contre le travail illégal, rattaché à la police judiciaire et à la gendarmerie, avec le risque d’atteinte aux droits des salariés par la tentation de « faire du crâne », comme on dit en argot policier lorsque l’on chasse les fumeurs de shit et petits dealers plutôt que les gros trafiquants.

La circulaire évoque des opérations coups de poing...

On devine qu’il y a des charters à remplir. C’est contraire à l’esprit et à la déontologie de notre métier. Les réactions de nos collègues vont être assez vigoureuses. Selon le texte de l’Organisation internationale du travail qui définit nos missions, nous devons rester « maîtres de l’appréciation des suites réservées à nos contrôles ». Et nous devons rester « à l’abri des pressions extérieures indues », y compris politiques ou dictées par des intérêts personnels de dirigeants politiques. Le but est idéologique : faire croire que nos malheurs viennent des étrangers. Sarkozy a obtenu 300 postes pour sa sous-police de contrôle de l’immigration clandestine, alors qu’au même moment, l’inspection du travail n’a décroché que 30 postes, et encore aucun poste de terrain.

Vous serez quand même obligés d’obéir ?

On n’acceptera pas de participer à des opérations de contrôle purement policier et au faciès. Il y aura peut-être des poursuites disciplinaires, mais on n’ira pas. C’est le gouvernement qui franchit la ligne jaune des principes républicains du respect de l’indépendance fonctionnelle de l’inspection du travail. On est là pour faire appliquer le droit du travail. Pas pour cibler une catégorie d’étrangers et jouer les supplétifs de la PAF. On travaille déjà régulièrement avec d’autres services, Urssaf, impôts...

http://www.liberation.fr/page.php?Article=323201