Accueil > Pour en finir avec les dérives autoritaires

Pour en finir avec les dérives autoritaires

Publie le mardi 2 juin 2009 par Open-Publishing

http://calas-fr.net

Depuis 1986, date où la législation antiterroriste a été instaurée en
France, un empilement de lois successives a construit un système pénal
d’exception qui renoue avec les lois scélérates du xixe siècle et
rappelle les périodes les plus sombres de notre histoire.

L’accusation d’ « association de malfaiteurs en vue de commettre une
infraction terroriste », inscrite au Code pénal en 1996, est la clef
de voûte du nouveau régime. Or, ses contours sont particulièrement
flous : il suffit de deux personnes pour constituer un « groupe
terroriste » et il suffit d’un acte préparatoire pour que l’infraction
soit caractérisée. Cet acte préparatoire n’est pas défini dans la loi,
il peut s’agir du simple fait d’entreposer des tracts chez soi.
Surtout, n’importe quel type de relation – même ténue ou lointaine,
voire amoureuse ou amicale – avec l’un des membres constituant le « 
groupe » suffit pour être impliqué à son tour. C’est pourquoi, sur dix
personnes incarcérées pour des infractions « en rapport avec le
terrorisme », neuf le sont sous cette qualification.

De l’aveu même de ses promoteurs, ce droit spécial répond à un
objectif de prévention. À la différence du droit commun qui incrimine
des actes, la pratique antiterroriste se satisfait d’intentions, voire
de simples relations. Suivant le juge Bruguière, cité par Human Rights
Watch, « la particularité de la loi est qu’elle nous permet de
poursuivre des personnes impliquées dans une activité terroriste sans
avoir à établir un lien entre cette activité et un projet terroriste
précis ». C’est dans cette perspective qu’on a vu la possession de
certains livres devenir un élément à charge, car ils constitueraient
des indices sur des opinions ; et de l’opinion à l’intention, il n’y a
qu’un pas.

À ce flou de la loi pénale s’associe une procédure d’une extrême
brutalité. Il suffit que le Parquet choisisse de manière
discrétionnaire d’ouvrir une enquête sur une qualification terroriste
pour que la police reçoive des pouvoirs d’investigation exorbitants :
perquisitions de nuit, « sonorisation » des domiciles, écoutes
téléphoniques et interception de courriers sur tous supports...

De son côté, le délai de garde à vue – période qui précède la
présentation à un juge – passe de 48 heures en droit commun à 96
heures, voire 144, dans la procédure antiterroriste. La personne
gardée à vue doit attendre la 72ème heure pour voir un avocat –
l’entretien est limité à 30 minutes et l’avocat n’a pas eu accès au
dossier. A la suite de cette garde à vue, en attendant un éventuel
procès le présumé innocent pourra passer jusqu’à quatre ans en
détention provisoire.

Par ailleurs, la loi centralise à Paris le traitement des affaires « 
terroristes », confiées à une section du Parquet et à une équipe de
juges d’instruction spécialisés qui travaillent en relation étroite
avec les services de renseignement. Des cours d’assises spéciales ont
également été instaurées, où les jurés populaires sont remplacés par
des magistrats professionnels. Un véritable système parallèle est
ainsi mis en place avec juges d’instruction, procureurs, juges des
libertés et de la détention, cours d’assises et bientôt présidents de
cours d’assises, juges d’application des peines, tous estampillés
antiterroristes.

L’application de plus en plus large des procédures antiterroristes à
des affaires d’État montre que l’antiterrorisme est désormais une
technique de gouvernement, un moyen de contrôle des populations. En
outre – et c’est peut-être le point le plus grave – cette justice
exorbitante contamine le droit commun : la législation antiterroriste
a servi de modèle dans d’autres domaines pour généraliser la notion de
« bande organisée », étendre les pouvoirs des services d’investigation
et centraliser le traitement de certaines instructions.

La Convention européenne des droits de l’homme et le Pacte des Nations
Unies sur les droits civils et politiques, tous deux ratifiés par la
France, garantissent qu’une sanction pénale soit fondée sur une
incrimination intelligible la rendant prévisible. En outre, ces textes
donnent à chacun le droit d’organiser équitablement sa défense – ce
qui passe par la prompte intervention d’un avocat ayant accès au
dossier. La procédure, « sœur jumelle de la liberté », doit être
contrôlée par un tiers impartial, ce qui est impossible avec une
filière spécialisée fonctionnant en vase clos, dans une logique de
combat idéologique incompatible avec la sérénité de la justice.

Il est illusoire de demander que ce régime procédural soit appliqué de
façon moins large et moins brutale : il est précisément conçu pour
être appliqué comme il l’est. C’est pourquoi nous demandons que les
lois antiterroristes soient purement et simplement abrogées et que la
France respecte en la matière la lettre et l’esprit de la Convention
européenne des droits de l’homme et du Pacte des Nations Unies sur les
droits civils et politiques. Nous invitons tous ceux qui se
préoccupent des libertés à se joindre à notre campagne en ce sens.

Le Comité pour l’abrogation des lois anti-terroristes, CALAS

Giorgio Agamben, Esther Benbassa, Luc Boltanski, Antoine Comte, Eric
Hazan, Gilles Manceron, Karine Parrot, Carlo Santulli, Agnès Tricoire

Pour signer la pétition :

http://calas-fr.net/petition.2009-03-31.7555668522/Petition_signForm