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Pourquoi la France refuse le capitalisme
Publie le jeudi 15 juin 2006 par Open-Publishing3 commentaires
C’est le nouveau Satan !
de Doan Bui
Des patrons qui empochent des millions d’euros, des géants du CAC 40 qui délocalisent malgré leurs profits... les Français ne comprennent plus la mondialisation et rejettent l’économie de marché. Enquête sur un divorce inquiétant qui fait de la France une exception parmi les pays développés
C’est un sondage qui en dit beaucoup sur notre pays. L’institut américain GlobeScan et l’université du Maryland ont posé dans 20 pays cette question apparemment anodine : le système de l’économie de marché et de la libre entreprise est-il le meilleur mode de fonctionnement pour le monde ? Pour la grande majorité des sondés, 61% en moyenne, la réponse était oui. La seule surprise provenait de... la France, qui, en queue de peloton, était la seule à ne pas être d’accord, avec seulement 36% des Français adhérant à l’économie de marché. Loin derrière le premier du classement, la Chine, en pleine euphorie (74% des petits-enfants de Mao sont de fervents supporteurs du capitalisme) ou des Etats-Unis (71%), mais aussi de nos voisins européens, que ce soit l’Angleterre (66%) ou l’Allemagne (65%), voire même, plus inattendu, de pays comme le Nigeria ou la Turquie.
A bas le capitalisme ! Voilà la rumeur qui semble enfler et gronder au sein de notre pays. Les Français (voir portraits) ont trouvé leur nouveau Satan. Il s’appelle Libéralisme, Mondialisation, Economie de marché... C’est un démon qu’ils ont voulu conjurer en votant non au référendum l’année dernière. Lui encore dont le spectre planait au printemps pendant la grande révolte du CPE. Face à cet épouvantail sans visage, les Don Quichotte de tout poil sont devenus de nouveaux héros : c’est Michael Moore, couronné à Cannes en 2004 et fêté à chacun de ses passages en France (l’anticapitaliste apprécie les suites du Royal Monceau à 1 000 euros la nuit...), c’est José Bové, désormais icône indéboulonnable grâce au démontage d’un McDonald’s, ou encore le député UDF Jean Lassalle, avec ses trente et un jours de grève de la faim pour empêcher la « délocalisation » d’une entreprise à 50 kilomètres de sa circonscription. « Cela montre vraiment notre rapport schizophrène par rapport à la mondialisation. En France, on préfère les postures rebelles et héroïques, au détriment du réformisme », constate Zaki Laïdi, politologue et enseignant à Science-Po.
Le rejet du capitalisme, voire quelquefois de l’entreprise, commence à inquiéter. A Bercy, on est catégorique : la raison du malentendu viendrait de « l’inculture économique importante de notre pays », selon les termes même de Thierry Breton. A tel point que le ministère des Finances monte une commission pour réfléchir sur l’enseignement de l’économie. « De toute façon, l’économie, qui traite des faits et de chiffres, n’a jamais été une science noble en France. Et on mélange sciences sociales et économie, alors que ces deux disciplines n’ont rien à voir », explique l’économiste Daniel Cohen. Ce n’est pas pour rien qu’au lycée les élèves suivent des cours de SES, sciences économiques et sociales. L’anticapitalisme commence-t-il dès l’école ? Dans un manuel de SES, on pouvait lire, il y a cinq ans, que « la croissance, génératrice de pauvreté et de chômage », est un moyen « pour que les plus riches puissent s’inventer de nouveaux luxes et que les moins riches et les pas trop pauvres puissent satisfaire de nouveaux besoins ».
Radical ! L’entreprise, elle, est souvent vue comme lieu d’aliénation. Notamment parmi les professeurs. Comme Nicolas, 32 ans, qui a laissé tomber son école d’ingénieurs pour devenir professeur de mathématiques : « Je ne supporterais pas de travailler dans une entreprise. Et je me demande même si j’aurais pu vivre avec quelqu’un travaillant dans une banque ou dans un cabinet de conseil, aux prises quotidiennement avec une logique de profit. » Les professeurs allergiques aux entreprises ? Au Medef, qui organise des semaines de découverte des entreprises, on avoue avoir du mal à impliquer les enseignants du secondaire, comme si fricoter avec l’univers capitaliste c’était déjà signer un pacte avec le diable.
Mais il n’y a pas que chez les professeurs que l’entreprise est mal vue ! Des cadres dégoûtés se précipitant vers les concours de la fonction publique pour devenir instituteurs ou professeurs, des trentenaires lassés d’enchaîner les contrats précaires qui, une fois obtenu le CDI tant rêvé, décident de lever le pied... Jamais l’entreprise n’a suscité un tel rejet, comme l’a montré le succès surprise l’année dernière du pamphlet « Bonjour paresse », de Corinne Maier, une cadre d’EDF. « C’est vrai, on a du mal à faire passer une image positive, regrette Véronique Morali, directrice générale à Fimalac et chargée au Medef de la commission « perception de l’entreprise ». Il y a toujours l’idée que le public, c’est bien, et le privé, c’est mal. » Pour redorer son blason, le Medef risque en tout cas de s’agiter dans le vide pendant pas mal de temps ! « En France, la parole des patrons n’a aucun poids.
Ce n’est pas du tout le cas en Italie par exemple, où les patrons sont partie prenante du débat public », juge l’essayiste et consultant Alain Minc. Peut-être parce que le pays manque cruellement d’entrepreneurs à la Bill Gates, héros positif aux Etats-Unis : sur les 40 entreprises du CAC 40, la moitié sont dirigées par des pantouflards, avec le traditionnel passage dans les cabinets ministériels et le parcours classique Polytechnique, ENA, voire les deux, et six sont des héritiers ! Le patron reste dans notre imaginaire collectif lié aux frasques d’un Bernard Tapie, dans les années 1980, aux folies d’un Jean-Marie Messier à la fin des années 1990.
Et puis l’argent reste peut-être chez nous encore tabou. L’héritage de notre culture catholique ? Le sociologue allemand Max Weber a démontré au début du xxe siècle de façon limpide comment le protestantisme - et particulièrement le calvinisme - avaient été le socle de l’émergence du capitalisme. Pour les calvinistes, en effet, les hommes sont prédestinés, soit au salut, soit à l’enfer. Et l’accumulation des richesses est loin d’être dénigrée, puisqu’elle est tout bonnement un moyen d’affirmer, et même de confirmer, ce statut d’élu. « C’est une conception profondément inégalitaire. Qu’on retrouve encore aujourd’hui dans les pays anglo-saxons, qui acceptent beaucoup plus les inégalités engendrées par l’économie de marché. Ce n’est pas le cas de la France qui reste une société viscéralement égalitaire », juge l’anthropologue Emmanuel Todd. Une France qui, comme le célèbre gangster de Chicago Al Capone, n’est pas loin de penser que « le capitalisme, c’est le racket légitime organisé par la classe dominante »...
Surtout qu’au plus haut de l’Etat le président lui-même, de droite pourtant, affirme haut et fort que « le libéralisme est pire que le communisme » ! Les vrais supporteurs d’Olivier Besancenot et d’Attac ne sont pas ceux qu’on croit... Car c’est peut-être à droite, bizarrement, qu’on a eu le plus de mal à se faire aux idées libérales, tant la tradition étatiste et colbertiste reste forte. « On a un président qui rêve de se positionner entre Chavez et Morales. En fait, le seul quia tenté de convertir les Français à l’économie de marché, c’est Mitterrand en 1983 », ironise Alain Minc. Même si aujourd’hui, poussée par la frange Attac-LCR, la tentation devient de plus en plus forte au PS de surfer sur un anticapitalisme musclé.
Surfer, seulement... Les rodomontades sur le patriotisme économique, lors du projet de fusion Suez-GDF, il y a quelques mois, présenté par Thierry Breton lui-même, entouré des deux PDG, qui avaient l’air de petits garçons, nous ont attiré une réputation d’indécrottables protectionnistes en Europe. Gare pourtant ! On peut avoir des surprises. Car si, en Allemagne ou au Japon, on ne parle pas de patriotisme économique, on ne se gêne pourtant pas pour protéger en coulisses ses entreprises et ses industries de façon outrancière. Profondément antilibéral et anticapitaliste dans le discours, notre pays a en fait très largement entamé - et peut-être encore plus que les autres - sa conversion à l’économie de marché. L’Etat ? Il cède année après année les entreprises publiques (France Télécom, Air France...). La France protectionniste ? Nos grandes entreprises se sont jetées avec enthousiasme dans le grand bain de la mondialisation. Sur la planète du CAC 40, on ne s’intéresse ainsi plus trop au microscopique village qu’est la France et pour cause.
Chez Total ou L’Oréal, l’essentiel du chiffre d’affaires se fait en dehors de l’Hexagone. Quant à la production, elle est souvent délocalisée en Chine ou en Europe de l’Est. Leur capital ? Il est détenu à 46,4% par des fonds d’investissement étrangers, et tant pis pour le patriotisme économique. La crise ? Connais pas. Alignant les profits record, les grandes entreprises du CAC 40 n’ont jamais autant prospéré. Et les salaires de leurs dirigeants aussi, qui peuvent se comparer sans complexes avec leurs homologues étrangers. Quitte à perdre le sens commun comme Antoine Zacharias, patron de Vinci, qui vient de se faire destituer après que ses exigences financières folles ont été étalées sur la place publique.
Il faut dire que, non content d’être déjà l’un des dirigeants les plus grassement payés, notre homme s’était piqué de réclamer un super-bonus de 8 millions d’euros pour... le rachat des Autoroutes du Sud de la France, privatisées par le gouvernement. Un zakouski venant se rajouter à un patrimoine de... 250 millions d’euros que s’est constitué ce manager, efficace, certes, mais simple manager tout de même, en une poignée d’années. De quoi rajouter une saveur particulière à la définition que le grand économiste John Maynard Keynes a donné du capitalisme : « C’est la croyance stupéfiante selon laquelle les pires hommes vont faire les pires choses pour le plus grand bien de tout le monde. »
Messages
1. > Pourquoi la France refuse le capitalisme, 15 juin 2006, 17:47
Et oui ont comprends bien pourquoi les choix politique ne sont plus orientés par la démocratie mais plutôt par l’économie !!
le vrai libéralisme "Européen" était a la base l’assurance de droit fondamentaux (liberté,égalité,etc.) indépendamment de la religion et des lois de l’état
Maintenant le "néolibéralisme" s’applique aux entreprises et uniquement aux entreprises au mépris des populations !!
petite réflexion:environ 6 milliard d’habitants sur la planète
Combien sont il réellement a décider de l’avenir ,1 milliard (les personne les plus riches de la planète ceux qui économiquement parlant peuvent influencer les choix politique) ???
il faut prendre conscience que ces gens qui décident des lois pour nous n’ont dans la plupart des cas jamais vécus comme la majorité de la population en gros il décident des lois pour eux.. Afin de se maintenir en place de continuer a s’enrichir et de garder un certain pouvoir par l’économie et les 5 AUTRES MILLIARDS de personne suivent ces lois et continus de s’appauvrir !!!
Le Capitalisme a t’il seulement diminuer le "fossé" qui s’élargis et se creuse entre les riches et les pauvres ???? Tout le monde connaît la réponse
le capitalisme et un model qui permet d’assurer le maintien et l’enrichissement de certaine personnes ou groupe de personnes (déjà en place) au détriment des réels aspiration du peuple (ex avec le CPE on a pus voir le désir des français en terme de sécurité de l’emplois face a se que l’ont nous propose pour notre soit disant bien ,comme si ces gens qui n’ont jamais vécus comme nous savaient se que nous voulons ....qu’elle démocratie !!!!)
2007 ou comment réunir 2 réalité
– la réalité économique mondial avec un capitalisme cherchant ou il le trouve des coûts de production et de main d’oeuvre toujours plus bas (on comprends que pour ces gens un pays pauvres est beaucoup plus rentable qu’un pays riche en terme de main d’oeuvre et donc de coup de production.....alors pourquoi donc déveloper ces pays pauvre !!???)En sachant que dans ces pays le salaire perçus et souvent insuffisant pour vivre de manière correct même dans un pays pauvre !!
– la réalité social qui se résument au désire de vivre dignement sans avoir forcement a avoir peur du lendemain et de la manière ou l’on va devoir s’en sortir pour "vivre se nourrir se loger et s’habiller et s’eduquer"
Mon analyse n’est peut être pas bonne ou en pas en accord avec la réalité mais il y as une chose de sur : je sais mieux ce dont j’ai besoin que ces personnes qui décident pour nous (surtout quand ils sont actionnaires ou PDG) !!!!!!
2. > Pourquoi la France refuse le capitalisme, 15 juin 2006, 23:50
Si la France est vue par les autres comme un pays à part, c’est peut-être parce qu’elle a un sens plus aigu du partage des richesses. Elle a conscience d’enrichir les entreprises grâce à son savoir, qu’elle tient d’une éducation nationale performante et enviée dans le monde entier. Mais ces richesses sont détournées au profit des patrons et des actionnaires. C’est cette confiscation, cette spoliation qui pose problème. Le libéralisme, la mondialisation n’arrangent guère les choses, car ils laissent sur le pavé beaucoup de personnes. Enfin quoi, regardez autour de vous, dans les rues, les quartiers, les magasins, c’est édifiant : les gens sont devenus pauvres, faiblement payés, voire exclus du travail. On se croirait à l’époque de la guerre.
Là-dessus, on vient nous dire que ça viendrait probablement d’une "inculture économique". Qu’il faudra donc y remédier à l’école. En termes clairs, on veut faire un néttoyage de cerveau de nos jeunes, même principe que pour la religion. A quand le "baptême économique" ? ça durera le temps des cerises, car à vouloir chasser le naturel, il revient au galop.
Le capitalisme n’est donc pas une solution valable pour rendre les gens heureux. D’autres systèmes existent, plus justes et plus équitables pouvant intégrer tout le monde dans l’espace travail, car si les patrons, le MEDEF, ont besoin des salariés pour vivre ; les salariés n’ont pas forcément besoin des patrons pour faire tourner les entreprises.
1. > Pourquoi la France refuse le capitalisme, 28 juin 2006, 00:27
Bravo. Je suis entièrement d’accord avec vous, mais je ne sais pas quoi faire, et ça me déprime !