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Premier concert, à Philadelphie, de la tournée anti-Bush

Publie le samedi 2 octobre 2004 par Open-Publishing
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La manifestation Vote for Change, qui s’est tenue en Pennsylvanie, l’un des Etats
les plus disputés pour l’élection présidentielle du 2 novembre, a surtout mis
en valeur le chanteur Bruce Springsteen.

de Corine Lesnes

C’est simple. Les gens en T-shirts rouges vont au base-ball. Les autres, qui
ont des T-shirts pleins d’inscriptions, vont au concert. A l’affiche, côté base-ball
 : les Phillies contre les Marlins de Floride. De l’autre côté de l’avenue, Bruce
Springsteen et ses amis, qui donnent un concert anti-Bush. Entre les deux, un
parking, où sont installés les barbecues. On entend de la musique. La voix, le
soleil couchant sur l’asphalte : on dirait du Springsteen. Erreur : elle vient
du stade de base-ball. A part les T-shirts, les deux publics sont étonnamment
semblables. Les revendeurs de tickets de dernière minute passent d’un trottoir à l’autre sans discernement.

Ce vendredi soir 1er octobre marque le lancement de la tournée Vote for Change initiée par Bruce Springsteen en août. Cinq concerts ont lieu simultanément en Pennsylvanie, l’un des Etats les plus disputés pour l’élection présidentielle du 2 novembre, et dont la configuration ressemble à la carte nationale : démocrate dans les villes, à la périphérie, républicain au centre. L’affiche la plus marquante réunit à Philadelphie Bruce Springsteen, son E-Street Band, John Fogerty, un ancien de Creedence Clearwater Revival, qui vient de ressortir un disque après sept ans d’absence, et le groupe R.E.M. Bruce Springsteen ne s’était jamais engagé aussi clairement pour une élection. "Mais je ne peux pas rester assis à regarder passer celle-ci si je pense vraiment ce que j’écris depuis trente ans", a-t-il confié à l’agence Knight Ridder.

MANIFESTATION PRO-BRUCE

Dans la foule qui vient pour le concert, on voit quelques proclamations (" M. Bush, vous êtes viré") - ou quelques badges (le visage du président barré d’une croix), mais les "B" des T-shirts font plutôt référence à "Bruce". Le public est venu pour la musique au moins autant que pour la politique. "Bruce, on a pratiquement grandi avec lui, explique Arlene Mayeski, une employée de bureau. Il est du New Jersey, tout près d’ici. On est du même monde." "Il se trouve que je suis démocrate, mais je serais venue même si j’avais été républicaine", dit l’amie qui l’accompagne. En entrant dans l’arène qui est habituellement celle des matchs de hockey, les gens s’achètent un hot-dog et une bière aux comptoirs de fast food. Ils vont s’asseoir à leur place avec leur plateau en carton. Pendant tout le concert, le mouvement sera incessant, comme au base-ball.

Des étendards orange sont suspendus aux poutrelles métalliques du plafond, en hommage aux gloires de l’équipe de hockey. Chacun porte un numéro, celui du joueur. Par déférence, on ne l’attribue plus ; il est "à la retraite". Une oriflamme porte le nom de Billy Joel, l’autre de Brice Springsteen. Avec le même numéro : 41. C’est le nombre de leurs sell-out, les salles combles qu’ils ont enregistrées à Philadelphie. De fait, ce premier concert anti-Bush ressemble surtout à une manifestation pro-Bruce. John Kerry ? Qui s’en soucie quand on a Springsteen, le vrai porte-parole de "la classe moyenne qui travaille", comme dit Arlène. Son amie Patricia, qui est l’assistante du patron de l’un des grands hôpitaux de la ville, a quasiment détourné les quatre places dont bénéficie d’office l’hôpital. Elle n’avait jamais assisté à "un concert politique. Pas même à un meeting", dit-elle.

Le concert commence avec les jeunes du groupe Bright Eyes. Ils sont probablement parmi les benjamins de l’Assemblée, si on excepte les enfants qui sont venus avec leurs parents. Conor Oberst, le chanteur, a la mèche tombante. Il est fier, dit-il, de participer à un "mouvement qui va changer le monde". Mais les sifflets lui signalent que le public attend déjà Bruce. "Il est un peu jeune pour être aussi en colère", dit une spectatrice dans la rangée voisine. Elle porte de longs cheveux blonds, et vient du New Jersey, un Etat qui devrait pencher sans faillir pour le candidat démocrate mais qui a enregistré une surprenante remontée républicaine. "C’est très partagé", dit-elle. Il se trouve qu’elle travaille "dans les forces de l’ordre" et qu’elle préfère taire son nom. Elle n’a pas mis de pancartes pour John Kerry sur sa pelouse. Seulement un drapeau. "Clinton, j’avais entendu un de ses discours. Je m’étais levée devant ma télé." Mais pour l’heure elle attend Springsteen : "Vous allez voir ; on va se remuer."

Dans l’intervalle, des proclamations de foi sur le circuit vidéo intérieur expliquent pourquoi les artistes ont monté cette "coalition informelle" : "pour changer la direction prise par ce pays". "Et voilà déjà Springsteen qui fait une apparition dans le dernier morceau de R.E.M." "Qui a regardé le débat hier soir ?", lance Michael Stipe. Les mains se lèvent. "Alors ?" Alors, rien, sinon quelques sifflets, et Stipe préfère ne pas en dire plus lui non plus. Il est là pour l’action ("Notre nom est R.E.M et voici ce que nous savons faire"). Et, boum, c’est parti. Il est tout en blanc, vêtu d’une demi-redingote qui virevolte. Il se détend comme un diable qui sort de sa boîte, avant de tomber littéralement à genoux devant Bruce Springsteen...

Le "boss" a décidé de ne pas trop mélanger. "On ne veut pas de discours trop appuyés sur scène, a-t-il dit dans son interview de présentation de la tournée. Mais les mêmes mots prennent un sens différent à cause du moment. Je pense qu’il va y avoir plus de clarté dans certaines chansons, un éclairage plus puissant." Pendant le concert, il parlera quand même, en rappelant les termes de son texte du mois d’août : "Nous voulons un gouvernement ouvert, rationnel, progressif et humain. Et nous voulons être écoutés."

Mais quand il ouvre sa prestation en jouant sa version électrique de l’hymne national américain, et qu’il poursuit classiquement par Born in the USA, le patriotisme, même revu, pèse un peu lourd. Rapidement il enchaîne les morceaux. Lonesome day, No surrender. Pas une seconde d’arrêt. Il est de nouveau dans la musique. Il a échangé son T-shirt noir du début pour une chemise noire elle aussi bien sûr, mais avec quelques paillettes de jais.

Dernier invité, John Fogerty, un "grand grand ami depuis très très longtemps", une figure des années 1960-1970, un revenant. Tous les deux donnent Centerfield, l’un des principaux morceaux de Fogerty. Au final, quand Michael Stipe revient sur scène, cette fois avec un T-shirt d’où émerge le nom de John Kerry, les deux artistes entonnent un vieux tube, le Because the Night de Springsteen et Patti Smith. Pendant le concert, un stand a été installé pour les retardataires qui ne se seraient pas encore inscrits sur les listes électorales. Il y a eu ces derniers jours un afflux important d’inscriptions. Les démocrates espèrent que sortira ce "vote for change" encouragé par les musiciens.

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3246,36-381549,0.html

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