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Proche-Orient - A qui profite la dramatisation nationale du départ forcé des colons ?
Publie le jeudi 18 août 2005 par Open-PublishingRetrait de Gaza : derrière l’émotion, les calculs
de Serge Ronen
Une Israélienne s’asperge d’essence devant un barrage de police et y met le feu. Cette tentative de s’immoler, expliquera-t-elle ensuite, est un geste de protestation désespéré contre l’évacuation par la force des colonies de Gaza, déclenchée hier comme prévu. Elle est originaire de la ville de Netivot, dans le Neguev (sud du pays). On ne lui connaissait pas d’activités politiques.
Spectaculaire, cette forme de réaction passionnelle reste heureusement très rare. Cependant, hier encore, un colon est monté sur le toit de sa maison, tenant dans les mains son bébé, et a menacé de se lancer dans le vide.
Il aura fallu aux policiers beaucoup d’efforts pour lui faire entendre raison. Impossible, cela dit, de toujours éviter le pire. Ainsi, un fanatique israélien a tiré à l’arme automatique sur des ouvriers palestiniens à l’entrée de la colonie de Shilo en Cisjordanie. Bilan : trois morts, deux blessés.
Sur les petits écrans israéliens, ces épisodes tragiques viennent dramatiser encore les images d’enfants et de femmes enceintes contraints de monter de force dans les autocars de l’armée. Un décor médiatique qui semble mettre en scène un traumatisme national. Une dramatisation, en tout cas, à laquelle contribue activement le premier ministre.
« Les images télévisées de l’évacuation de Gaza me font monter les larmes aux yeux », confiait Ariel Sharon aux journalistes. Puis, dans le même souffle, il faisait part de sa détermination de renforcer les grands blocs de colonies de Cisjordanie. Les paroles de Sharon semblaient participer à la mise en scène de l’émotion, une manière d’en tirer profit à des fins de popularité personnelle. Un moyen de manipulation politique.
Sur le plan international, notamment. Car le départ forcé des colons de Gaza est doublement payant pour Sharon. Bush parle de lui comme d’un grand homme d’Etat, Blair lui a dressé un message d’amitié et même le premier ministre turc - ardent défenseur de la cause palestinienne - se fait un de ses laudateurs.
Mais les scènes pénibles d’évacuation des colons de la bande de Gaza, Ariel Sharon les utilisera sans doute un jour pour persuader les dirigeants occidentaux, surtout européens, « de l’impossibilité de les répéter en Cisjordanie sans susciter une guerre civile en Israël ».
Mais les « larmes » de Sharon sont d’abord tournées vers l’opinion publique israélienne. Le premier ministre pense sans doute capitaliser les sentiments d’une grande partie de ses concitoyens. Ou du moins faire passer la pilule. Sans succès. Les colons, surtout ceux dont les implantations se situent au-delà du tracé du mur, ainsi que la plupart des membres du comité exécutif du Likoud, son propre parti, disent n’avoir plus confiance en lui.
Pire : ses adversaires politiques se serviront des images traumatisantes pour réclamer son éviction de la présidence du Likoud. En particulier son principal rival, Benjamin Netanyahou. Si le retrait de la bande de Gaza n’assure pas la sécurité des villages et localités du Neguev, la manœuvre de Sharon se retournera contre lui comme un boomerang.
Certes, sur la plage de Tel-Aviv, les baigneurs qui s’adonnent au farniente, paraissent ne pas se soucier outre mesure du sort des colons de Gaza. Mais les apparences peuvent être trompeuses. Nombreux sont ceux qui pressentent les profondes déchirures qui fissurent la société israélienne. Les plus insouciants en viennent à évoquer ce « traumatisme national », même si le départ de Gaza, minuscule territoire palestinien en proie à la démographie galopante, représente simultanément à leurs yeux une « bouffée d’espoir ».
Quant aux leaders de la gauche israélienne, ils ne cachent pas non plus leur émotion. Il est vrai que la colonisation de la bande de Gaza a été voulue et planifiée par le Parti travailliste au pouvoir. C’est l’un de leurs dirigeants, Ygal Allon, qui, dans les années 70, s’était proposé de créer une « ceinture de sécurité israélienne » dans le sud afin de couper Gaza de l’Egypte.
Les leaders travaillistes, dont Shimon Peres, portent une responsabilité majeure dans le projet ubuesque de colonisation de la bande de Gaza. On ne les entend guère exprimer de regrets.
« Eretz Israël » : la fin du rêve
C’est la fin d’un rêve pour les thuriféraires du sionisme religieux de la droite nationaliste qui ont été l’âme de la colonisation des territoires de Cisjordanie et Gaza depuis leur occupation en juin 1967.
Bon nombre d’implantations de la bande de Gaza ont été vidées de leurs habitants hier et seront bientôt rayées de la carte par les bulldozers de Tsahal. Un traumatisme comparable à celui de la gauche après l’assassinat en 1995 du premier ministre travailliste Yitzhak Rabin par un juif fanatique opposé au processus de paix.
Le concept mystique d’« Eretz Israël » (le Grand Israël) a fait long feu. Sharon a beau se dire « ému aux larmes », lui qui fut le porte-drapeau de la colonisation, il n’en démord pas : « Nous devions renoncer à une partie du rêve (du Grand Israël) en raison des changements de situation, afin que la colonisation puisse se poursuive », faisant allusion aux blocs d’implantations regroupant la majorité des 250 000 colons de Cisjordanie, qu’il veut maintenir sous contrôle d’Israël dans le cadre d’un futur règlement avec les Palestiniens.
Sharon compte sur le soutien des Américains et sur le consensus de ses compatriotes. « Pendant trente-huit ans, vous avez imposé vos conditions à la moitié de l’opinion israélienne.
Nous avons envoyé nos enfants vous défendre, et malheureusement nous avons trop à déplorer, y compris vos provocations », écrit à l’adresse des colons le Yédiot Aharonot, principal quotidien d’Israël.
O. D.