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Proche-Orient : la deuxième mort d’Oslo

Publie le dimanche 18 avril 2004 par Open-Publishing

Le 14 avril, le cycle politique ouvert par la signature des accords d’Oslo, le 13 septembre 1993, s’est refermé.

Un malentendu a été dissipé, dans la fureur, qui a empoisonné une décennie de difficiles relations entre deux adversaires aux histoires exclusives et aux mots surchargés de sens. Lorsque l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) reconnaît officiellement Israël, au cours de l’échange de lettres qui précède la signature à Washington de cet accord tant espéré, cette reconnaissance parachève une évolution engagée près de deux décennies auparavant. Il s’agit d’accepter, avec 43 ans de retard, le principe du partage proposé par les Nations unies en 1947. Un partage bien moins favorable qu’à l’époque qui ne laisse espérer à l’OLP qu’environ 22 % de l’ancienne Palestine mandataire pour y fonder son Etat.

Pour les Palestiniens qui les ont acceptées sur le tard, en 1988 à Alger, les résolutions 242 et 338 adoptées par les Nations unies après la guerre de 1967 tracent le cadre de la négociation à venir : leur Etat sera fondé sur les territoires soumis par la force par Israël en 1967, soit Gaza, la Cisjordanie avec Jérusalem-Est pour capitale. La litanie de ces numéros de résolution prendra rapidement un caractère quasi religieux dans les discours des responsables palestiniens. A cette époque, la colonisation massive des territoires occupés commence tout juste. A l’exclusion de ceux de Jérusalem, le nombre des colons de Cisjordanie et de Gaza triple entre 1983 et 1988 (23 000 à 66 000). Il double presque dans les cinq années suivantes pour atteindre 114 000 à la veille de la signature des accords d’Oslo.

Cette colonisation de territoires occupés, proscrite par le droit international, constitue cependant un lourd handicap pour Israël à l’époque et a valu de sérieux démêlés au premier ministre du Likoud Itzhak Shamir avec l’administration américaine dirigée par George Bush Sr. Elle est unanimement condamnée, et à chaque création ou extension de colonie, les présidents américains, qu’ils soient démocrates et républicains, rappellent qu’elles sont "un obstacle à la paix". Les gouvernements israéliens, qu’ils soient travaillistes ou nationalistes, ont cependant une autre lecture de la situation. Lorsqu’ils s’engagent dans l’expérience d’Oslo, la négociation est pour eux totalement ouverte. Le pas que les Palestiniens estiment avoir accompli n’est pas pris en compte. Les menaces posées par les colonies sont minorées. Pour les Israéliens, les compteurs ont été en quelque sorte remis à zéro.

Cette divergence de vues fondamentale va pourrir le processus de paix. D’autant que les retards s’accumulent et que chaque partie reproche à l’autre de ne pas se conformer aux accords prévus. Portés par l’administration Clinton, les accords d’Oslo tiennent sur la durée aux yeux du monde par la magie de l’événement fondateur qu’a constitué la poignée de main entre Itzhak Rabin et Yasser Arafat. Le fossé ne cesse pourtant de s’élargir entre leur perception à l’étranger et leur réalité sur le terrain. D’autant que la colonisation et son cortège d’annexions et de confiscations ne cessent pas non plus. A la veille des accords de Wye, en 1998, entre M. Arafat et Benyamin Nétanyahou, du Likoud, le nombre de colons, hors Jérusalem, grimpe à 170 000. Il dépassera les 200 000 avec l’arrivée au poste de premier ministre du travailliste Ehoud Barak en 1999. Le principe de l’échange de terres apparaît.

LES ANTI-OSLO TRIOMPHENT

Pour la partie palestinienne, l’essentiel semble pourtant préservé : les sujets cruciaux, le tracé des frontières de l’Etat palestinien à venir, le sort de Jérusalem et celui des réfugiés, évoqué par un autre mantra, la résolution 194, restent renvoyés à des négociations ultérieures, toujours bilatérales. Les responsables israéliens de gauche pour qui la colonisation n’a pas pour objectif, comme le professe ouvertement la droite, de rendre impossible un Etat palestinien, considèrent au mieux que la multiplication des colonies permet de disposer de monnaies d’échange supplémentaires dans la perspective d’un règlement final du contentieux israélo-palestinien.

Le sommet précipité de Camp David, en 2000, où Israéliens et Américains prétendent trouver en trois semaines la réponse à toutes les questions sans un véritable travail préparatoire, puis la fureur de l’intifada dont M. Arafat espère une meilleure prise en compte des préoccupations palestiniennes jettent à bas le fragile édifice. Après un long silence américain, un plan de paix international, la "feuille de route", endossée par George Bush se propose de ranimer Oslo en conservant le principe de l’examen en bout d’exercice des questions les plus délicates, de manière bilatérale, tout en s’efforçant d’apporter des corrections au processus de 1993 : un arbitre chargé d’examiner les engagements des uns et des autres, et un calendrier contraignant. Mais ces correctifs disparaîtront rapidement.

Avec le discours de George Bush, le 14 avril, reconnaissant à la fois la légitimité des faits accomplis territoriaux en Cisjordanie et limitant d’autorité le retour des réfugiés à l’éventuel Etat palestinien à venir, la direction palestinienne essuie un revers historique. Oslo est définitivement enterré par l’un de ses plus grands contempteurs, Ariel Sharon.

Le principe récurrent de "la terre contre la paix" avancé à Madrid en 1991 est réduit à Gaza, cauchemar trentenaire d’Israël, et sacrifié en Cisjordanie au profit de celui de "la paix contre la paix", ou de "la terre palestinienne contre la terre palestinienne". Survenant au terme d’une décennie marquée par son incapacité à faire émerger un embryon d’Etat à la fois démocratique et efficace, il retire toute espèce d’utilité à une entité revêtue d’oripeaux étatiques, l’Autorité palestinienne, qui vit de fait sous le régime des permis. Un règne de faux semblants imposé par Israël et accepté par la communauté internationale, où le premier ministre palestinien doit quémander des autorisations à l’occupant pour réunir son gouvernement, où le président du Conseil législatif est réduit à recourir à des documents d’identité des Nations unies pour franchir les barrages, pour ne pas parler de la réclusion d’un président élu à la régulière.

Plus de dix ans après Oslo, après une débâcle dont elle a naturellement sa part de responsabilité, mais sa part seulement, la direction palestinienne a perdu son pari. Le compte à rebours de sa disparition est désormais enclenché qui coïncide avec la fin de la génération fondatrice du nationalisme palestinien. Pour l’administration américaine qui souhaite publiquement son remplacement depuis près de deux ans, cet échec risque cependant d’aller à l’encontre des objectifs avancés encore mercredi par George Bush. On imagine mal une alternative politique émerger au sein des Palestiniens sur la base de discussion choisi par l’administration américaine. La direction "réaliste" dont elle rêve n’existe pas. Au contraire, le "camp du refus" d’Oslo triomphe, pour une partie de ses composantes à titre posthume. Car depuis la déliquescence des partis post-marxistes, ne comptent aujourd’hui que les partis islamistes, au premier rang duquel le Mouvement de la résistance islamique (Hamas) qui voit ses thèses sur la vanité de la négociation validées.

Le 14 avril, la perspective de l’Etat palestinien s’est éloignée.

L’intégration régionale d’Israël n’a pas avancé d’un pouce, bien au contraire. Le nouveau Proche- Orient imaginé par l’administration américaine est devenu une chimère.

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