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Putains de littérature : réflexion sur la question des prostituées

Publie le mardi 8 février 2005 par Open-Publishing

de Marc Alpozzo

L’héroïne de Zola, Nana, jouant le rôle de Vénus au théâtre des Variété, remporte un grand succès dans les dernières années du Second Empire. Un succès qu’elle doit moins à son talent d’actrice, bien médiocre, qu’à la séduction de son corps nu, voilé d’un simple gaze. C’est le fameux le thème romanesque de la courtisane, femme galante ou prostituée de haut vol, splendeur et misère de toutes les courtisanes, misère des femmes réduites presque systématiquement à leur plastique, femmes-objets, instrumentalisées par le désir de l’homme, puis par le système social qui n’a guère trouvé mieux, pour museler définitivement la femme, que de la réduire à sa dimension sexuelle...

Nana est la prostituée la plus célèbre de la littérature française. Créée au XIXème siècle par Emile Zola, ce personnage des Rougon-Macquart est censé symboliser la prostitution de haut luxe qui envahit, selon l’auteur, la scène et les coulisses des théâtres. Pour Zola, les filles comme Nana sont révélatrices de la déchéance d’un art réduit au plaisir du divertissement, un divertissement équivoque. Ce qui n’est d’ailleurs pas un détail chez Zola qui avait déjà, dans La Tribune, fustigé cette fin de l’Empire ruiné par les vices d’une société corrompue par le plaisir et l’argent. Et Nana d’être prétexte pour le romancier à peindre toute une société décadente dont il tire une satire cinglante, où les hautes sphères sont perverties de manière irréversible par les fêtes, et la ruine des valeurs.

En suivant une lecture assidue et attentive, nous nous reconnaissons dans ce dix-neuvième volume des Rougon-Macquart, roman qui dépeint une société focalisée sur le charme féminin, le luxe et la luxure, la paresse et la dépense...
La prostitution sous la plume de Zola est une prostitution volontaire, prostitution de haute volée, encouragée par le goût de la réussite. Nana est une femme arriviste qui sait user de ses charmes pour parvenir à ses fins : « Nana ne se montra pas surprise, ennuyée seulement de la rage de Muffat après elle. Il fallait être sérieuse dans la vie, n’est-ce pas ? C’était trop bête d’aimer, ça ne menait à rien. Puis, elle avait des scrupules, à cause du jeune âge de Zizi ; vrai, elle s’était conduite d’une façon pas honnête. Ma foi ! elle rentrait dans le bon chemin, elle prenait un vieux. (...) Et elle coucha avec Muffat, mais sans plaisir. », Nana, chapitre VI. La personnalité dissoute et dissolue de Nana dont l’écroulement final est en symbiose avec le déclin de l’Empire, est la parfaite métaphore d’une « Vénus » décomposée, société désorganisée, où le vice s’étant infiltré, craque et s’effondre.

Ce qui est alors mis en question dans cette œuvre de Zola, traitant de la prostitution, c’est la question du choix. En apparence, Nana, la prostituée (de luxe !), a choisi son camp. Celui de la luxure et de la débauche...
Parions que le problème est bien plus compliqué que cela.

Bien souvent la prostitution n’est pas un choix. Elle résulte d’une violence faite aux femmes. Une violence physique, mais également sociale ; violence latente qui s’exprime très insidieusement quand il s’agit de traiter de la prostitution elle-même : en effet, lorsqu’il s’agit de caractériser cette « situation », la première barrière rencontrée est bien celle du non-dit, l’incapacité de bien dire, pour ne pas carrément parler du silence. Tous ces blocages, cette autocensure relèvent d’abord d’une terminologie : celle de « prostituée ». Quand la littérature s’empare de la prostitution, elle le fait en mettant en scène une femme, qui plus est, une femme cupide, sans talents, mais malgré tout, prête à tout pour réussir. Cette dévalorisation systématique de la « morale », de l’éthique même de la femme en général, représentée par ce type de personnage, vient se rajouter au vocabulaire employé, lorsqu’on parle de la prostituée : on fait tout à coup face à une complaisance quasi générale par des formules toutes faites, et sans substances, types : « c’est le plus vieux métier du monde » ou « de toute façon, les femmes sont là pour ça de toute éternité. »
Le problème semble donc découler d’abord, de la conception violente, dogmatique, que la société se fait de la femme depuis des siècles ; une représentation de celle-ci qui trouve une réelle résonance dans la littérature fin XXème :

Par exemple, l’un des romans les plus importants des années 90, devenu rapidement culte pour un bon nombre de lecteurs, propose l’incipit suivant : « Vendredi soir, j’étais invité à une soirée chez un collègue de travail. On était une bonne trentaine, rien que des cadres moyens âgés de vingt-cinq à quarante ans. À un moment donné il y a une connasse qui a commencé à se déshabiller. Elle a ôté son T-shirt, puis son soutien-gorge, puis sa jupe, tout ça en faisant des mines incroyables. Elle a encore tournoyé en petite culotte pendant quelques secondes, et puis elle a commencé à se resaper, ne voyant plus quoi faire d’autre. D’ailleurs c’est une fille qui ne couche avec personne. Ce qui souligne bien l’absurdité de son comportement », Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte.

Quand la littérature s’empare de la sexualité et de la femme, elle ne semble pouvoir décrire autrement le sexe féminin, qu’en le dominant, le dévalorisant, le détruisant. A cette littérature que l’on aurait pu presque qualifiée de machiste, si elle ne recouvrait pas un certain second degré, destiné à faire découvrir ce regard sur les femmes, d’hommes hargneux et frustrés, on pourrait opposer la littérature féminine suivante : « J’avais pris horreur de ce métier et j’étais dégoûtée de tous ces cochons qu’il faut sucer, branler, à qui il faut faire tant de trucs pour qu’ils jouissent. C’est vrai que l’on gagne plus qu’à l’usine, mais du pognon il n’en reste pas beaucoup quand même, et en plus, tous les emmerdements que l’on a avec les médecins, les flics, les maquereaux, les taulières... ». Celle qui écrit ces lignes est Marie-Thérèse, une ex-prostituée durant la Seconde Guerre mondiale, auteure de Vie d’une prostituée, paru à quatre reprises entre 1947 et 1964 et condamné six fois. Par ces quelques phrases d’une violence égale à celle d’un Houellebecq, on note bien la ligne de séparation que l’on retrouve en filigrane entre les deux sexes. Cette ligne de séparation est pourtant toute apparente, Elisabeth Badinter le souligne d’ailleurs à raison : « La différence des sexes est un fait, mais elle ne prédestine pas aux rôles et aux fonctions. Il n’y a pas une psychologie masculine et une psychologie féminine imperméables l’une à l’autre, ni deux identités sexuelles fixées dans le marbre. Une fois acquis le sentiment de son identité, chaque adulte en fait ce qu’il veut ou ce qu’il peut », Fausse route. Cette différence en fait, si mal cernée, conduit les rapports homme-femme à terriblement se dégrader, à opposer les sexes au point de les empêcher de se rencontrer, d’abord dans la relation purement sexuelle, mais également sur le plan affectif.

Et pour illustrer cette idée, reprenons l’exemple de Michel Houellebecq, dans son dernier roman, Plateforme : l’écrivain dépeint le cheminement initiatique d’un homme à Bangkok, qui s’abandonne aux plaisirs du body massage, avant de décider, avec son amie Valérie, rencontrée là-bas, de proposer un club « où les gens puissent baiser. » Certes, pas entre eux. Non ! Michel le personnage principal, ne pense pas à un club échangiste, si répandu ces dernières années en Occident. Pourquoi ? Et bien tout simplement parce que selon l’anti-héro houellebecquien, « il doit certainement se passer quelque chose, pour que les Occidentaux n’arrivent plus à coucher ensemble. » La vision de cette dégradation des rapports est parfaitement vu par le personnage de Houellebecq, et la raison peut-être trouvée, là encore, dans le dernier ouvrage d’Elisabeth Badinter : « Il est vrai que les stéréotypes de jadis, pudiquement appelés « nos repères », nous enfermaient mais nous rassuraient. Aujourd’hui, leur éclatement en trouble plus d’un. Bien des hommes y voient la raison de la chute de leur empire et le font payer aux femmes. Nombre d’entre elles sont tentées de répliquer par l’instauration d’un nouvel ordre moral qui suppose le rétablissement des frontières. C’est le piège où ne pas tomber sous peine d’y perdre notre liberté, de freiner la marche vers l’égalité et de renouer avec le séparatisme. Cette tentation est celle du discours dominant qui se fait entendre depuis dix ou quinze ans. Contrairement à ses espérances, il est peu probable qu’il fasse progresser la condition des femmes. Il est même à craindre que leurs relations avec les hommes se détériorent. C’est ce qu’on appelle faire fausse route », Fausse route.

Voilà pourquoi Michel veut en réalité, leur proposer des autochtones : parce que celles-ci « n’ont plus rien à vendre que leur corps, et leur sexualité intacte ». Pas de lutte des sexes, pas de hargne, seul le bon rapport avec le partenaire compte. N’est-ce pas Houellebecq qui encensa les thaïlandaises, à la sortie de son roman, faisant valoir leur savoir-faire en matière sexuelle, les considérant comme des femmes, à l’inverse des occidentales, qui savent réellement donner de l’amour et du plaisir aux hommes ? Certes, contrairement aux mauvaises lectures qui ont été faites de ce roman, il ne faut bien entendu pas y voir une apologie du tourisme sexuel, mais la dénonciation de la déliquescence du monde occidental, causée par l’ultralibéralisme, que Houellebecq avait déjà entamé avec Les Particules élémentaires.

On est donc bien loin de tous ces débats stériles sur la pornographie, les thèses ultra-réactionnaires, douteuses qui animent les bistrots littéraires autour de l’œuvre de Houellebecq. Le problème que pose ce roman, tout comme le roman Nana d’Emile Zola, peut se retrouver dans l’ouvrage de Marie-Thérèse qui, s’ennuyant au foyer, devient infirmière, avant de découvrir les joies du lesbianisme avec des collègues et de rencontrer celui qui devient son proxénète. Prostituée en France et en Allemagne, elle reprendra finalement son travail d’infirmière qu’elle rapprochera curieusement du métier de la prostitution. On retrouve donc cette idée (développée par Zola et Houellebecq) que, dans la prostitution, il s’agit, avant tout, de prendre soin d’autrui. Une conception de la prostitution presque archaïque, quand on observe les réalités quotidiennes de ce métier, puisque cette représentation de Marie-Thérèse est bien loin des tours de passe-passe de quelques minutes, opérées dans des coins déserts, soit dans le fond de la voiture du client, soit dans un hall d’immeuble.
Mais ce qui est plus fortement intéressant dans son livre, c’est la vision de la prostitution qui en ressort, et qui peut servir notre débat : dans la prostitution, la prostituée fait à l’homme ce qu’il lui demande en fonction d’un « contrat » verbal. Les prostituées deviennent par ce contrat des femmes parfaitement disponibles aux désirs et aux fantasmes de l’homme. Ce qui les oppose aux femmes rencontrées dans la vie courante.

Ainsi donc, la prostituée n’est pas une femme ordinaire. C’est un substitut. Elle palie un manque que la femme en général ne peut donner à l’homme. Principalement, selon Houston, elle remplace cette mère à laquelle l’homme encore petit adressait ce que Nancy Houston qualifie de « demande totale » sans avoir reçu la moindre réponse. La prostituée qui devient cette sexualité non maternelle, viendra remplir alors l’opposition avec la maternité non sexuelle que représentait la maman, et que la femme mariée prolongera. Dès lors, consommer du porno, consommer des prostituées devient la meilleure manière de régler ses comptes avec sa mère, de dominer celle qui l’a autrefois dominée.
Le rapport avec une prostituée redevient sous la plume de Houston un vrai rapport de force. Et ce, malgré ce qu’observe Nancy Houston à propos de Marie-Thérèse, qui ne lui semble pas être une victime malheureuse, bien qu’elle ne soit pas non plus une femme libre ou épanouie.

Toute cette littérature féminine et masculine autour de la prostitution a pour mérite principal de remettre cette grande question de société au centre de la problématique. Car les putains ne sont malheureusement pas de simples sujets de littérature. Hélas ! Il suffit d’observer comment dans notre propre pays sévit une prostitution de plus en plus jeune, nous provenant de l’Est de l’Europe, et organisée par des réseaux solidement implantés en France et à l’étranger. Un nouvel esclavage moderne dont on ne voit pas la fin, malgré la loi du 18 mars 2003 contre le racolage, malgré la chasse faite aux clients. La prostitution semble persister, demeurant un commerce lucratif qui s’opère en toute tranquillité, au sein même de notre République censée défendre les plus démunis, les plus fragiles. Comment est-ce possible ?

Un début de réponse peut être trouvé dans un ouvrage de Malika Nor, intitulé sobrement La prostitution, aux éditions Le cavalier bleu. Elle nous dit la chose suivante : « Il est commun d’évoquer la prostitution comme une réalité universelle, atemporelle, bénigne - sinon normale - comme une fatalité inhérente à l’homme ; ce qui se traduit le plus souvent par l’assertion « c’est le plus vieux métier du monde. » Il s’agit d’une des idées reçues sur la prostitution parmi les plus fausses et les plus dangereuses. Elle sous-tend qu’il est vain de vouloir lutter contre, que c’est un métier comme un autre, que ceux qui le pratiquent n’endurent aucune souffrance. »

Il ne s’agit bien évidemment pas pour cette auteure de prétendre qu’il serait facile de combattre un tel fléau, d’autant qu’il est profondément enraciné dans les mœurs. Il n’en demeure pas moins, selon elle que « la prostitution n’a pas partout ni toujours existé ». Une réflexion qui a d’abord pour mérite de faire éclater toute idée reçue sur la question, d’autant qu’on peut reconnaître une sorte d’admission, de tolérance latente à l’égard de la prostitution, - les seules pétitions signées par des co-propriétaires en vue de l’éradication de la prostitution de rue, vise dans la plupart des cas, à faire cesser le racolage et le tapage nocturne ! Mais cette idée de Malika Nor a également pour mérite de déboulonner les grands dogmes figés à propos d’une prostitution contre laquelle on ne pourrait rien faire. De plus, cela pourrait subtilement nous conduire à penser qu’en terme de prostitution, nous pourrions légitimement plaider pour une pensée « abolitionniste » au final, telles que le font certaines féministes en France, aux Etats-Unis et au Canada. Un abolitionnisme qui entendrait préalablement une refonte de la conception même du métier : ne plus le considérer comme un métier allant de soi, dont la pratique est ancestrale : (« Dans les sociétés dites primitives ou traditionnelles, la prostitution est inconnue. On note seulement, chez certaines d’entre elles, des pratiques d’hospitalité sexuelle. Ainsi, dans l’Europe des premiers siècles, chez les anciens Germains (mais aussi en Égypte, en Chaldée, en Inde, et encore il y a peu, chez les Inuits), il convient rituellement d’offrir la femme ou la fille à l’hôte de passage. Précisons que ce principe d’hospitalité n’a pas de but vénal, que la femme n’est pas exploitée, que le seul bénéfice éventuellement recherché est un métissage génétique », Malika Nor, La prostitution, Le cavalier bleu).

Il s’agit également de comprendre que la prostitution peut probablement se combattre, avant tout sur le terrain de la revalorisation de l’image de la femme : une révision positive de son corps et de son statut, beaucoup trop dégradés, dévalués par la publicité et la société consumériste.

Mais plus encore, il s’agit de sortir de cette stratégie de la tension qui oppose homme-femme, en encourageant, voire en poussant à une évolution positive des mœurs, en valorisant un « droit au plaisir » bilatéral, ce dont les femmes ne jouissent pas encore pleinement, toujours trop étiquetées, quand il s’agit pour elles de se libérer du carcan monothéiste, de « femmes faciles » etc., d’autre part, il s’agit de réhabiliter sérieusement le rang de la femme, ce qu’elle n’a pas encore vraiment gagnée, malgré ce que l’on prétend dans nos sociétés dites « tolérantes » et « égalitaires », en évitant de la réduire presque trop systématiquement à sa seule dimension sexuelle, comme c’est un peu trop le cas aujourd’hui, et de penser une saine politique d’éducation sexuelle de la gente masculine, politique pédagogique qui devrait prévenir celle qu’occupent actuellement les films pornographiques sur Internet et en DVD.

Pour montrer que la prostitution n’est pas une fatalité en soi, je suis une fois encore, la réflexion de Malika Nor : « Dans les civilisations nomades ou guerrières, la prostitution n’a pas de place. Au contraire, l’urbanisation, la monogamie, le patriarcat et la misogynie sont des facteurs propres à encourager la prostitution. D’une façon générale, on note qu’« à partir du moment où la liberté sexuelle est sévèrement réprimée, la prostitution devient une nécessité sociale ». (Le Corps prostitué, Max Chaleil)

Certes, la prostitution nourrit les controverses, se trouve être le sujet de débats réguliers à l’Assemblée nationale et au sein de la communauté européenne ; mais ces débats ne sont pas suffisants, car ils nourrissent et sont nourrit par tous les tabous, les idées reçues qui parasitent la discussion. Qui plus est, ils sont sous-tendus, peut-être très insidieusement, par l’idée que la prostitution est « le » métier le plus vieux du monde, que malgré la violence qu’elle engendre, malgré les destructions psychologiques et sociales qu’elle entraîne, la prostitution est nécessaire pour réguler les comportements sexuels masculins, elle est le dernier rempart contre toutes les dérives. D’où cette « fâcheuse » tendance à toujours vouloir réglementer la prostitution. La France est d’ailleurs pionnière du système réglementariste, puisque la réglementation française de la prostitution date du XIXème siècle et a fait des prostituées une classe à part, stigmatisée et enfermée. Elle a donné du pouvoir aux hommes sur les prostituées, qu’ils soient clients, proxénètes, policiers ou médecins.

Certes, on n’empêchera jamais un certain type de prostitution, celle par exemple de haut rang qui sévit dans certains milieux, et qui permet à quelques un(e)s l’accès à des situations enviées ; il ne s’agit pas non plus d’entrer dans une logique inversée, cherchant à interdire aveuglément la prostitution, en tout cas celle de femmes qui auraient en toute connaissance de cause choisie de vendre leur corps, sans maquereau et sans maquerelle, donc en toute indépendance. Certes, elles ne sont pas très nombreuses, mais s’il en existe, elles doivent pouvoir accéder au commerce de leur chair, sans être victimes d’une répression juridique et sociale qui serait alors vécue comme une injustice par ces dernières ; une tolérance vis-à-vis de la prostitution consentie qui ne saurait être réprouvée au nom de la liberté de disposer de soi-même, c’est-à-dire de son intégrité physique et moral. Non, en réalité, il s’agit de travailler plus intelligemment à l’avenir pour qu’à terme, cette activité cesse, principalement celle qui conduit à l’asservissement, à la violence et à l’exclusion. Il s’agit donc de se battre pour que disparaisse cette prostitution non consentie, annihilante que l’on voit s’étaler actuellement sur le macadam.
Mais il s’agit aussi de penser cet abolitionnisme hors du simple cadre juridique répressif. Toutes les lois qui seront faites pour combattre la prostitution ne lui seront en rien un frein.

Il suffit simplement d’écouter le témoignage d’une travailleuse sociale suédoise, daté d’avril 2003, et publié sur le site www.feministes.net/ , : « Non la loi n’a pas été un succès, c’est de l’hypocrisie », dit Deanne Raucher, travailleuse sociale, auteure et journaliste qui a travaillé jusqu’il y a peu avec des prostituées et des toxicomanes. « Ca a été pire dans un sens. Celles qui vendaient du sexe dans la rue ont été repoussées vers les lieux underground et les hommes sont encore clients. Je connais des chefs de police, des juges et des parlementaires qui sont clients. Le Comité National pour la Prévention du Crime signale qu’il y a moins de 100 hommes par an arrêtés en tant que clients de prostituées. L’inspectrice de police Kajsa Wahlberg, responsable de l’unité luttant contre le trafic des femmes, signale qu’il y avait 2500 prostituées en 1998 et que le nombre n’a guère changé. Le client suédois ne discute pas le prix, qui est établi rapidement et sans violence, m’ont dit des prostituées russes travaillant en Suède », dit Wahlberg. « C’est pourquoi les prostituées ne portent pas plainte contre des hommes. Si elles perdent des clients, d’autres viendront vite. »

Jusqu’ici, tout ce qui a été fait en matière de prostitution n’a pas assez porté ses fruits. La preuve en est, la prostitution sévit toujours autant qu’avant. Probablement parce qu’on a négligé de prendre suffisamment en compte le client lui-même. Non sous l’angle de la répression, réponse purement immédiate que l’on apporte au fléau, mais sous l’angle de la prévention. Le site www.social.gouv.fr/ , le précise avec pertinence : en parallèle du « bus des femmes » pour aider les femmes prostituées, est naît le bus des Hommes. Mais il ne s’agit pas, là encore, d’un bus pour les hommes acheteurs de sexe mais pour les hommes en situation de prostitution : travestis, transsexuels ou non. Ça n’a donc jamais été conçu en direction des « clients ». Pourtant, nous disent les auteurs de ce site : « il est nécessaire de définir la violence à partir des auteurs de violence, du système patriarcal, des exploiteurs et des « acheteurs de services sexuels ». La prostitution reste l’expression la plus banalisée de l’organisation de l’accès au corps des femmes au nom d’une légitimation d’une sexualité masculine archaïque dite « irrépressible ». Le fait que le système de la prostitution soit organisé pour la sexualité des hommes et que les acheteurs demeurent invisibles constitue encore une violence. »

Pour l’instant, le sexe dans la prostitution pour les hommes qui achètent des « services sexuels » n’est encore reconnu autrement que comme une forme de sexualité qui appartiendrait à l’espace privé des hommes. Lors du colloque organisé le 15 novembre 2000 par la Délégation aux Droits des Femmes du Sénat, Claude Boucher, parlant des « clients », précisait : « Je pense qu’il est important de les respecter, je ne me préoccupe pas de leur vie privée. » Et, Robert Badinter, lors du débat qui a eu lieu au Sénat le 7 février 2002 à propos de la pénalisation des « clients » de mineurs, d’exprimer l’idée suivante : « Des vies d’hommes [risquent d’être] brisées pour un instant de faiblesse », ce qui a d’ailleurs été ressentie comme « un scandale » par nombre d’observatrices et d’observateurs, « Je trouve que c’est l’expression extrême d’un androcentrisme qui continue d’ignorer la vie des femmes brisée " s’indigne Brigitte Grésy, chef du service de droits des femmes. »
Voilà donc tout le problème !

Certes, une politique de répression sévit sur le pays, notamment en direction des clients de mineures, malgré cela, on continue de prendre la défense des hommes acheteurs de sexe, les plaçant en situation de victimes, mais sans vraiment travailler sérieusement, ni à les accompagner, ni à les identifier comme étant l’origine même du problème ; et par ricochet on continue d’occulter la violence faite aux femmes, les traitant insidieusement de coupables, les arrêtant sur la voie publique pour racolage, leur confisquant l’argent des passes. Et pourtant, jamais une seule fois ne sera prise en compte toute la dimension réelle du problème qui, avec un peu de bonne volonté, pourrait être progressivement réglé, si l’on mettait en place, avec assez de force et de conviction, une vraie politique sociale et culturelle. Et puisque, malgré les nouvelles mesures, la situation semble bloquée à ce stade, comment ne pas finir sur ces mots si justes, si percutants, écrits par les auteurs du site www.social.gouv.fr/ , : « Cette unitéralité de la sexualité marchande, l’acceptation générale du désir non partagé est paroxystique du rapport inégalitaire dans la prostitution. La phrase libératrice pour le « droit au plaisir » a fait l’impasse sur la première exigence d’une sexualité égalitaire qui est « le droit au désir bilatéral ». Si aujourd’hui l’existence d’une sexualité féminine est acceptée, il n’en reste pas moins que la prostitution est le déni du droit à la sexualité pour les femmes. A ce titre, elle a une portée symbolique pour toutes les femmes et non pas seulement pour les femmes en situation de prostitution. »

Ce que la littérature à venir devrait s’empresser de relayer. Malheureusement, à l’heure actuelle, les putains ne sont pas prêtes d’être de simples sujets de romans...

Bibliographie indicative :

Nancy Houston, Mosaïque de la pornographie, Payot
Malika Nor, La prostitution, Le cavalier bleu
Elisabeth Badinter, L’un est l’autre, Odile Jacob
Elisabeth Badinter, Fausse route, Odile Jacob
Sylviane Agacinski, Politique des sexes, Point

Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte, J’ai lu
Michel Houellebecq, Plateforme, J’ai lu

Liens intéressants :

http://www.social.gouv.fr/femmes/gd...

http://www.feministes.net/prostitut...