Accueil > REFORME DE LA PROCEDURE PENALE "Le fond de cette réforme pour Sarkosy est (...)

REFORME DE LA PROCEDURE PENALE "Le fond de cette réforme pour Sarkosy est de protéger les siens"

Publie le mardi 1er septembre 2009 par Open-Publishing

Interview de Serge Portelli (vice-président au tribunal de Paris, président de la 12e Chambre correctionnelle et membre du syndicat de la magistrature) par Sibylle Laurent

Le rapport Léger sur la réforme de la procédure pénale est critiqué avant tout car il préconise la suppression du juge d’instruction. Cette suppression serait-elle mieux passée si elle avait été doublée d’une plus grande indépendance du Parquet ?


  Une plus grande indépendance du parquet n’a jamais été à l’ordre du jour. Seulement l’an dernier, lorsque la commission Léger a été installée, il était uniquement question de réformer la procédure pénale. La question du juge d’instruction n’était même pas évoquée. C’est lors de son discours en janvier 2009 que Nicolas Sarkozy a évoqué le sujet : la suppression du juge d’instruction. Dans ce projet de réforme, c’est lui qui a imposé le sujet et les conclusions. C’est pour cela qu’un certain nombre de gens ont quitté le comité Léger. Celui-ci n’a aucune légitimité. Il s’est réuni, et a fait ce qu’on lui a dit de faire.

L’indépendance du Parquet, demandée par beaucoup, n’est donc pas envisageable ?


  Cette indépendance n’a jamais été évoquée. On ne l’aura jamais. Nicolas Sarkozy ne souhaite absolument pas l’indépendance du procureur de la République. Il laissera peut-être filer quelques miettes pour se montrer rassurant, mais cette indépendance est exclue. Il se passe même l’inverse. Le parquet n’a jamais été aussi soumis à l’exécutif que depuis 2007.

Y-avait-il un moyen de conduire ce projet de réforme autrement ? Et non d’articuler toute la réforme autour de la suppression du juge d’instruction ?


  Faire autrement, il n’y avait rien de plus facile. Il aurait fallu réunir des gens compétents, représentatifs, leur donner les moyens de travailler et surtout le temps. Cela n’a rien à voir avec cette commande ferme, qui avait de plus un délai – avant la fin de l’année. Ce n’est pas comme cela qu’on envisage une réforme sur un sujet de cette importance.
La procédure pénale va soit dans le sens de garantir, soit dans celui de détruire les libertés. Aujourd’hui, on va clairement dans le sens d’une atteinte fondamentale à l’équilibre des pouvoirs. Pour garantir les libertés, ils doivent être indépendants. Or, on va donner tous les pouvoirs au procureur de la république, et ceux-ci ne sont clairement pas indépendants. C’est une catastrophe.

Quelles sont les conséquences pour le justiciable ?



  La suppression du juge d’instruction va faire du parquet l’unique autorité dirigeant les enquêtes pénales. Et celui-ci est hiérarchiquement subordonné au pouvoir exécutif. Le justiciable veut que la machine judiciaire garantisse ses libertés. Cette garantie n’existe plus à partir du moment où l’on met au sein de l’appareil judiciaire des gens qui ne sont pas des magistrats et ont la majorité des pouvoirs.

Le juge Gilbert Thiel estime que cette réforme "fait de l’accusateur public l’homme le plus puissant de France"…

  Le procureur de la République est plus que tout puissant. Il aura du pouvoir dans tous les sens. C’est lui qui mène l’enquête, qui accuse, et qui aura encore plus de pouvoirs devant le tribunal – car un projet, peu évoqué, vise aussi à supprimer aux présidents de tribunaux leur droit d’interrogatoire. Ce qui les cantonnerait au rôle d’arbitre. Le procureur est partout. C’est exactement le contraire qu’il faudrait faire. Il faudrait réduire de façon drastique le pouvoir des juges du parquet.

Mais le juge d’instruction serait remplacé par un "juge de l’enquête et des libertés", qui certes cèderait au procureur la direction des investigations mais à qui il reviendrait de décider des actes "les plus intrusifs"…



  "Juge de l’enquête et des libertés", c’est un juge potiche. Il ne sera saisi que si on le lui demande. Or le parquet peut très bien mener son enquête tout seul, sans perquisition ou mise sur écoute des suspects, comme cela se fait souvent. Bref, ce juge des libertés sera une vraie marionnette que l’on sort de son tiroir lorsque l’on en a besoin.

Pour lancer cette suppression du juge d’instruction, Nicolas Sarkozy s’est abrité derrière les erreurs d’Outreau. Mais n’est-ce pas avant tout politique ?


  Cette suppression, c’est uniquement une façon pour Nicolas Sarkozy et les siens d’écarter un gêneur. Car le juge d’instruction est souvent quelqu’un qui dérange, qui peut mettre à mal des carrières d’hommes politiques ou de chefs d’entreprises. Le président de la République veut une justice soumise, et cela passe par la mort du juge d’instruction.

C’est donc la fin des grandes affaires politico-financières ?

  C’est évident. Tout du moins, c’est la fin des grandes affaires qui gêneraient le pouvoir en place. Parce que lorsque l’exécutif a un opposant politique dans le collimateur, c’est aussi un moyen de le faire taire. Pour n’en citer qu’une, l’affaire Dray, manipulée de manière exemplaire.

Une réforme de la procédure pénale, notamment sur la place du juge d’instruction, doit cependant se faire. Quelle autre piste proposeriez-vous ?


  Un vrai changement aurait été de traiter cette réforme de façon sérieuse et non de cette manière hyper-politisée comme ça l’a été.
Mais c’est plus qu’une piste que je propose, c’est la simple mise en application d’une loi. En juin 2006, la commission d’enquête sur l’affaire Outreau avait présenté des propositions pour réformer la justice, notamment le remplacement du juge d’instruction solitaire par trois magistrats. Une instruction collégiale, donc. Les parlementaires de droite et de gauche ont voté cette loi, instituant trois juges d’instruction. Cette loi devait entrer en vigueur en 2010. Une vraie piste aurait été de laisser cette loi entrer en vigueur et de voir ce que donnait la collégialité de l’instruction.

Quel est l’intérêt pour Nicolas Sarkozy d’avoir bousculé le calendrier et hâté cette réforme ?

  Les intérêts de Nicolas Sarkozy ? Bien évidemment de protéger les siens. Le président de la République est proche de chefs d’entreprise très puissants. En supprimant ainsi le juge d’instruction, il évite que des investigations ne soient menées à l’encontre de ces grands patrons et de ses proches. Le fond de cette réforme, c’est de protéger les siens.

Vous parlez d’une réforme "catastrophique" et régressive. Quels moyens d’actions peuvent empêcher sa mise en place ?



  Un moyen très clair : convaincre l’opinion publique que c’est une atteinte aux libertés.

5% seulement des affaires traitées en justice sont suivies par le juge d’instruction. Cela ne concerne pas la majorité des justiciables…


  Je ne pense pas que l’opinion publique soit indifférente aux grandes affaires politiques, comme les diamants de Bokassa sous Giscard d’Estaing, ou encore bien d’autres sous Mitterrand. Au contraire. Il est certain que personne ne va descendre dans la rue pour défendre le juge d’instruction. Et il n’y aura pas de changements, sauf si les parlementaires font leur travail, si des élus de la majorité se lèvent et s’opposent à cette réforme. Cela commence d’ailleurs déjà.

Dans ce rapport, les critiques pointent surtout la suppression du juge d’instruction. Y a-t-il d’autres projets de réforme qui prêtent le flanc à la critique ?

  Bien entendu. L’introduction du plaider coupable à la Cour d’assises est, elle aussi, très dangereuse. [La procédure existe déjà en France pour les petits délits et serait appliquée au crime. Elle permettrait au prévenu d’alléger sa peine maximale encourue s’il reconnaît les faits pendant l’instruction, ndlr] L’aveu doit avoir une place subsidiaire dans le système pénal. La recherche de l’aveu ne doit pas être la finalité de l’appareil judiciaire. C’est même négligeable. L’enquête doit au contraire se focaliser sur la recherche de preuves, de faits.

Interview de Serge Portelli par Sibylle Laurent
(le mardi 1er septembre 2009)

http://tempsreel.nouvelobs.com/actu...