Accueil > Rafah, ville martyre de Palestine ...
Le blindé s’est retiré de quelques centaines de mètres, tout au plus, dans ce coin du camp de réfugiés de Brazil, qui se fond avec la ville de Rafah. Posté à un petit carrefour, il prend en enfilade la rue qui mène vers l’une des artères principales du camp. OAS_AD(’Middle’) ; La tourelle pivote et les rafales claquent.
Hier encore, la famille Kochta partageait le sort des gens terrés dans les immeubles de cette zone, toujours contrôlée par l’armée israélienne. Ce vendredi 21 mai, les blindés ont reculé, mais la maison des Kochta n’existe plus. Un bloc entier d’habitations a été fauché par les lames des bulldozers. Une bonne douzaine de maisons ont été rasées ou sérieusement endommagées.
Des amas de parpaings et de ferrailles recouvrent le sol sablonneux. Partout, on fouille les décombres dans l’espoir de récupérer ce qui aurait échappé au désastre, en tentant de se frayer un chemin parmi les cahiers d’écolier, les téléviseurs concassés ou les meubles en charpie. Un vieux taxi Mercedes défoncé a été posé comme un trophée sur des gravats, d’où émerge le haut d’un réfrigérateur.
L’un des fils Kochta arrache de ces ruines des matelas de mousse et des couvertures bon marché qu’il dépose sur une petite remorque tirée par un âne. Les Kochta dormiront ailleurs ce soir. Où ? Ils ne le savent pas encore. La mère, âgée d’une quarantaine d’années, tient du bout des doigts, abasourdie, les restes de manuels d’écolier. Elle raconte avec peine la journée noire de la veille, jusqu’à l’arrivée des bulldozers et les coups de boutoir portés contre sa maison. Elle assure que le bâtiment a été détruit par l’armée sans que ses occupants aient été prévenus et qu’ils n’ont dû leur salut qu’à la fuite, au dernier moment.
"Ils ne nous ont rien dit, rien, un peu plus et nous finissions sous les murs", affirme-t-elle. Un voisin, Nabil Hassan, 52 ans, montre un monticule de sable. "Ma maison était là, il n’en reste strictement rien. Je n’ai pas de travail, une famille à nourrir. Je vais faire comment si en plus nous n’avons plus de logement ?"
Un adolescent montre du doigt le quartier où les blindés campent toujours : "La frontière avec l’Egypte est de ce côté, à au moins un kilomètre et demi, et ils veulent nous faire croire qu’ils cherchaient ici des tunnels, comme ils disent. Rien du tout, ils ont voulu venger les morts de la semaine dernière."
Le 12 mai, un transport de troupes avait explosé dans le no man’s land contrôlé par Israël le long de la frontière avec l’Egypte, au lendemain d’un incident similaire dans un quartier de Gaza. Cinq soldats ont alors péri à Rafah, auxquels se sont ajoutées deux nouvelles pertes, deux jours plus tard. Personne à Brazil ne veut trouver une autre explication au déchaînement de violence qui a accompagné l’offensive lancée le 17 mai, sur une zone pourtant déjà éprouvée par d’incessantes incursions ponctuées de démolitions de maisons, officiellement pour prévenir les trafics d’armes par le biais de tunnels creusés dans un sol particulièrement meuble.
Les mêmes scènes se répètent dans le camp de Salam qui jouxte celui de Brazil. "Ici, il n’y a pas de résistance ni de personnes recherchées. Au contraire, il y a beaucoup d’hommes qui ont des permis de travail en Israël, ce qui signifie que les Israéliens ne les considèrent pas comme des dangers. Alors pourquoi avoir fait ça ? Il n’y a pas d’autres raisons que l’esprit de vengeance", assure Ahmed.
Il faut traverser la maison pour découvrir l’ampleur des dégâts. Négligeant les rues principales, les engins de terrassement israéliens ont tracé des raccourcis dans la chair du quartier. Le pâté de maisons compte au moins dix édifices rasés ou gravement endommagés. Une ébauche de sablière a vu le jour entre deux monceaux de gravats. Comme à Brazil, les destructions semblent échapper à la logique. "On est trop loin de la frontière, Si quelqu’un veut vraiment creuser un tunnel, il ne partira pas d’ici", affirme-t-il.
Les services municipaux s’efforcent de rafistoler ce qui peut l’être des conduites d’eau éventrées, suppléées pour l’instant par des camions-citernes. On pare au plus pressé sans certitudes pour l’avenir. "Ils peuvent tout aussi bien revenir demain, enrage Ahmed. S’ils se sont un peu retirés cette nuit, c’est uniquement parce qu’ils l’avaient décidé et certainement pas sous la pression de qui que ce soit. Personne n’a tapé du poing sur la table, tout le monde laisse faire."
Les tirs sporadiques et les survols incessants d’hélicoptères de combat montrent que l’opération semble se poursuivre. Des blindés continuent de contrôler l’entrée de Tal Sultan, le premier quartier investi en début de semaine par les militaires.
Une partie de la presse israélienne a jugé sévèrement, vendredi, le bilan provisoire de ces opérations. Un seul tunnel découvert, selon l’armée, pas de stocks d’armes, plus de 40 Palestiniens tués et près de 70 maisons détruites, selon l’organisation israélienne B’tselem, qui s’ajoutent aux 88 de la semaine précédente, soit près de 2 000 nouvelles personnes sans abri.
Gilles Paris
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