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Rapport d’enquête sur les perquisitions de Pavie et de Marciac
Publie le dimanche 17 mai 2009 par Open-PublishingLe rapport d’enquête sur les perquisitions de deux établissements scolaires du Gers (à Pavie et Marciac) par la gendarmerie (gendarmes et chiens) est paru.
Le rapport analyse très précisément la position de la Justice (procureur) et des chefs d’établissement. Il rend compte, évidemment, de la manière dont les adolescents ont été intimidés, humiliés, voire terrorisés.
Rapport enquête CJP Marciac-Pavie 2008/2009 Citoyens - Justice - Police
Commission nationale sur les rapports entre les citoyens et les forces de sécurité, sur le contrôle et le traitement de ces rapports par l’institution judiciaire
Antenne de Toulouse
RAPPORT D’ENQUÊTE
Interventions de la gendarmerie nationale
École des Métiers du Gers de PAVIE (Gers)
17 novembre 2008
Collège de MARCIAC (Gers)
19 novembre 2008
Décembre 2008- mars 2009
Coordination : Ligue des droits de l’Homme Toulouse
1, rue Joutx Aigues, 31000 Toulouse
05 62 26 69 19 (répondeur-enregistreur)
ldh31@wanadoo.fr
1- Présentation de la commission Citoyens-Justice-Police
L’installation, en juillet 2002, de la commission nationale Citoyens-Justice-Police pérennisait la commission constituée début 2002, à l’initiative de la LDH, avec le SAF et le SM, pour enquêter sur le comportement de policiers au cours du mois de décembre 2001, à Châtenay- Malabry (92), à Poissy (78) et dans le 20e arrondissement de Paris. Elle est actuellement composée de la Ligue des droits de l’Homme, du syndicat des Avocats de France et du syndicat de la Magistrature.
Le secrétariat et la coordination sont assurés par la Ligue des droits de l’Homme. Elle a pour objet d’enquêter, d’informer sur les relations entre les citoyens et les forces de sécurité, sur le contrôle et le traitement de ces relations par l’institution judiciaire et d’en faire rapport. Sur des faits dont elle a été saisie par des victimes ou des témoins, la commission peut organiser une mission d’enquête qui donnera lieu à un rapport rendu public.
2- Apparition publique des faits
A la fin du mois de novembre et au début du mois de décembre 2008, les medias de presse, radio et internet faisaient état de l’intervention de personnels de gendarmerie dans le Gers :
- le 17 novembre dans des classes de l’école des Métiers du Gers, à Pavie,
- le 19 novembre dans des classes du collège de Marciac.
Les medias avaient été alertés par :
- la diffusion dans l’émission « Là-bas si j’y suis », sur France Inter, du témoignage oral et non anonyme d’un professeur de l’école des Métiers,
- la diffusion sur internet, à l’initiative de son père, du témoignage écrit d’une élève de troisième du collège de Marciac.
S’ensuivit une multiplication de commentaires et d’interviews. L’émotion qui entoura ces événements suscita des déclarations des ministres de l’Intérieur et de l’Education nationale et une question orale à l’assemblée, posée par le député de la circonscription.
3- Saisine de la commission nationale
Le retentissement de ces faits, leur caractère exceptionnel et leur gravité évidente amenèrent la commission Citoyens-Justice-Police à envisager une mission d’enquête, après avoir été saisie par :
- Patrick Poumirau, professeur à l’école des Métiers du Gers, par courriel, le 18
décembre 2008,
- Frédéric David, père de Zoé Rigot, l’élève de Marciac auteur du témoignage, par
courriel, le 11 décembre 2008.
La commission, au niveau de son antenne régionale de Toulouse, constitua alors une
mission d’enquête, composée de :
- Virginie Baffet-Lozano, magistrat, pour le syndicat de la Magistrature
- Rémi Cochard, pour la Ligue des droits de l’Homme,
- Pascal Nakache, avocat, pour le syndicat des Avocats de France,
- Chantal Tanguy, pour la Ligue des droits de l’Homme.
Communication fut faite aux medias de la constitution de cette mission.
Ont également participé aux travaux de la commission :
- Nicolas Chambaret, avocat, LDH.
- Pierre Allirand, étudiant en droit, LDH.
4- Synthèse des faits
Le 17 novembre 2008, des gendarmes de la brigade autonome de gendarmerie du Gers se présentent à l’école des Métiers du Gers, à Pavie, pénètrent dans plusieurs classes et procèdent à un contrôle anti-drogue, accompagnés de chiens dressés à la détection de produits illicites. Des fouilles corporelles sont effectuées sur plusieurs élèves, majeurs pour la plupart. Une présence de produits, en faible quantité, est constatée sur quelques élèves apprentis.
L’opération avait été sollicitée par le directeur de l’établissement, auprès de la gendarmerie, en tant que contrôle anti-drogue.
Le 19 novembre 2008, des gendarmes se présentent au collège de Marciac, pénètrent dans les classes de quatrième et de troisième et procèdent à un contrôle anti-drogue, accompagnés d’un chien dressé à la détection de produits illicites. Des fouilles corporelles sont effectuées sur plusieurs élèves, tous mineurs. Il n’y a aucune constatation de la présence de produits.
L’opération avait été sollicitée par le directeur de l’établissement, auprès du procureur de la République, en tant qu’opération de prévention sur les dangers de la drogue.
5- Préparation de la mission
5.1. Demandes de rencontre avec les acteurs institutionnels :
Le 5 janvier 2009, par lettre recommandée avec accusé de réception, des entrevues ont été
demandées à :
- Bernard Vilotte, directeur de l’école des Métiers du Gers,
- Colonel Alain Le Droff, commandant le groupement de gendarmerie du Gers,
- Christian Péthieu, principal du collège de Marciac,
- Chantal Firmigier-Michel, procureur de la République près le tribunal de grande instance d’Auch,
- Major Jeannyck Tribout, commandant la brigade territoriale autonome de gendarmerie d’Auch,
- Denis Conus, préfet du Gers,
- Jean-René Louvet, inspecteur d’académie du Gers,
- Olivier Dugrip, recteur de l’Académie de Toulouse.
5.2. Organisation des rencontres avec élèves, parents et professeurs :
Des contacts ont été pris avec les intéressés, pour ceux qui étaient connus de la mission. Un appel à témoin a été diffusé. La mission a tenu une session de recueil de témoignages le dimanche 18 janvier 2009, à la mairie de Marciac.
6- Synthèse des déclarations et des témoignages recueillis
La mission a recueilli au total 26 témoignages et déclarations à l’origine desquels on trouve :
- 18 élèves (14 de Pavie, 4 de Marciac),
- 4 professeurs (Pavie), presque tous sous le couvert de l’anonymat (l’un d’eux a déclaré : "La plupart des formateurs ne sont pas titulaires ; ils ont des contrats d’un an ou deux et m’ont dit :“si on témoigne, on est foutu”)
- un parent (Marciac)
- les deux responsables d’établissements,
- le président de la chambre des métiers du Gers et sa secrétaire générale,
- l’Inspecteur d’académie.
La mission a également sollicité des entretiens avec le procureur de la République d’Auch, le préfet du Gers et le commandant de gendarmerie, qui n’ont pas souhaité s’exprimer.
Il résulte des témoignages et des déclarations recueillis les éléments suivants :
6-1. Les établissements
Le collège de Marciac est un collège public accueillant 217 élèves, de 11 à 16 ans. Il est dirigé par M. Christian Péthieu, principal.
L’école des Métiers du Gers, à Pavie, est un établissement relevant de la chambre des métiers du Gers, organisme consulaire, soumis à la tutelle pédagogique de l’Education nationale, accueillant environ 970 élèves, de 16 à 26 ans. Il est dirigé par Bernard Vilotte, directeur.
De l’avis unanime des personnes entendues, les deux établissements sont présentés comme des établissements calmes, dans lesquels aucune délinquance particulière n’a été constatée.
- Le procureur de la République du Gers, a indiqué lors d’un entretien à la Dépêche du Midi : « Cet établissement n’est pas plus touché que les autres, qu’on contrôle aussi de temps en temps." ;
- Monsieur Péthieu, chef d’établissement du collège de Marciac : "Je n’ai jamais eu de raisons objectives de demander ce type de contrôle. Le problème de stupéfiants n’est pas pire dans cet établissement qu’ailleurs." ;
- Monsieur Vilotte, chef d’établissement de l’école des Métiers de Pavie : "Depuis 2000, le nombre de jeunes avec 2 ou 3 barrettes est relativement limité. (…) On a en permanence environ 300 jeunes sur le site, chaque fois ils en trouvent 5 ou 6. C’est leur consommation personnelle. Une fois un jeune avait 10 doses, et cette fois-ci, il y a eu 30 grammes, avec la balance. Celui-là il « dealait » au CFA, ou ailleurs." ;
- Monsieur Poumirau, professeur : "C’est un établissement dans lequel il n’y a ni plus ni moins de drogue que dans les autres établissements. Et pas d’événement particulier." ;
Les enseignants anonymes ont tous confirmé cet état de fait : "C’est pas un établissement à problèmes, ça fait 18 ans que j’y travaille. Pas de problème de drogue." ; "Il n’y a pas de problème notoire en termes de stupéfiants dans l’établissement, pas de problème de violences, d’incivilité - pas d’incident en 9 ans - établissement très calme.".
6-2. Le cadre des interventions de gendarmerie
À Pavie
Des opérations de prévention de la toxicomanie sont organisées dans l’établissement de Pavie depuis 2001. Des contrôles ont déjà été effectués à l’extérieur de l’enceinte de l’établissement, notamment sur le parking. En revanche, l’opération du 17 novembre est la première ayant donné lieu à une intervention dans les salles de classe.
Dans ce cas, le chef d’établissement, Monsieur Vilotte, a délibérément sollicité une opération de contrôle :
"Question : Vous avez parlé de contrôle anti-drogue. Est-ce que le but était de la prévention pour venir expliquer et informer ?
Réponse : Ah non ! la prévention se fait lorsque j’accueille mes apprentis, là c’était vraiment un contrôle dans le cadre de la lutte contre la drogue. Mais je n’avais pas, sur cette date-là, ciblé un ou deux jeunes.
Q : Mais néanmoins vous vouliez qu’il soit procédé à un contrôle pour découvrir si oui ou non … ?
Je pense que le contrôle fait partie d’un acte de dissuasion pour des jeunes qui sont en balance
Q : Un contrôle préventif ?
Pour moi, c’est vraiment dans le cadre de prévention des risques. La prévention et la conférence ne suffisent pas. A mon sens, il faut montrer de temps en temps qu’il y a des produits interdits".
Monsieur Vilotte a également, sciemment, décidé de ne pas prévenir les enseignants sous la motivation suivante :
"Au niveau de la demande d’intervention (pour contrôle) on est quatre au courant ; cela se fait de manière confidentielle. Le président, la secrétaire générale, mon adjoint et ma secrétaire.
Q : Les professeurs ne sont pas au courant ?
Réponse : Personne n’est au courant. (…)
Q : Pour quelle raison on n’informe à aucun moment les professeurs du fait qu’il va y avoir un contrôle ?
Réponse : Je considère que si tout le monde sait qu’il va y avoir un contrôle, l’efficacité risque d’être limitée.
Q : Les professeurs ne vous paraissent pas devoir être mis dans cette confidence ?
Réponse : Non.
Q : Pourquoi ?
C’est une affaire de la direction et l’on prend nos responsabilités jusqu’au bout. Jamais personne n’a été au courant depuis 2000 de ces interventions, ni administratifs, ni personne. (…) Un professeur normalement constitué accepte le contrôle, parce que cela fait partie de la logique de l’établissement et à part un, tout le monde regarde les gendarmes et ce qui se passe."
À Marciac
Aucune opération de gendarmerie antérieure n’a été évoquée par les témoins.
Le chef d’établissement a sollicité directement auprès du procureur de la République, sur incitation de la gendarmerie, une "intervention préventive" auprès des classes de 4ème et de 3ème :
"Dans mon esprit, je savais qu’ils allaient venir avec un chien, je pensais qu’ils allaient passer dans les classes avec ce chien et expliquer ce que pouvait faire ce chien. (…) Il y avait une forme d’ambiguïté. (…) Quelque part je me suis posé la question de savoir si ma confiance n’a pas été trahie. J’ai le sentiment qu’on est venu pour chercher quelque chose et qu’on ne me l’avait pas dit aussi clairement."
Il avait prévenu le conseil d’administration, les professeurs et les élèves internes.
6-3. Le déroulement des interventions de novembre
Au total, sur les deux établissements, ont été mobilisés 24 gendarmes, 3 maîtres-chiens et 3 chiens (2 à Pavie et 1 à Marciac).
Environ 380 élèves ont été contrôlés, âgés de 12 à 22 ans : 280 à Pavie (environ 15 classes) et 100 à Marciac (4 classes).
La quasi-totalité des témoins entendus par la mission a fait état de comportements inappropriés des gendarmes et surtout des maîtres-chiens, lors de ces opérations :
- absence d’usage des formules de politesse, y compris à l’égard des enseignants : "Le maître-chien rentre. Il ne me dit pas bonjour alors que je lui tends la main." ; "Sur les coups de 10H15 ou 20, font irruption dans ma classe des gendarmes - je crois 5 - plus un maître-chien et un chien, sans préliminaires. On présente de façon ultra-sommaire ce qui va se passer. On est tellement sous le choc, On n’entend rien" (Patrick Poumirau, professeur) ;
« Après 10 min. supplémentaires, ils sont partis sans me dire au revoir » (un professeur de Pavie)
- occupation immédiate de toutes les issues de la salle par plusieurs gendarmes (portes et fenêtres) : "Les gendarmes sont postés autour de la salle pour éviter les jets de produit et les fuites." (Christian Péthieu) ; "5 ou 10 gendarmes qui se sont mis à chaque issue." (un professeur de Pavie)
- ton agressif des maîtres-chiens : "J’ai été choqué, la personne était très agressive. J’ai pensé qu’elle n’était pas habituée à faire des contrôles" (un enseignant) ; "Le ton était dur, on dirait qu’ils nous mettaient un peu la pression " (une élève de Marciac)
- ordres et menaces : « Quand il mord, ça pique ! » (Zoé) ; "Il se met à ma place, commence à parler et prend à partie des élèves en leur disant : “tu as du shit ? tu fumes ?”“Si tu as du shit, tu le donnes tout de suite, sinon le chien te bouffe”. Les élèves sont étonnés. Ensuite, le maître-chien a dit : “Personne ne dit rien, alors je lâche le chien” Avant, il a dit “mains sur la table”. (un enseignant) ; "Le maître-chien a donc demandé à tous les jeunes de ne pas bouger, de ne pas regarder le chien travailler, de garder le silence et les mains sur la table." (un membre de la structure de l’école des Métiers) ;
- chiens particulièrement excités, lâchés sans muselière ni laisse, mordillant des sacs et détériorant une sacoche : "Le chien est lancé sur les élèves à qui on demande de ne pas bouger. Le chien a une attitude extrêmement choquante. Le chien bave sur leurs pantalons, leurs baskets avec un maître-chien qui donne des ordres, qui crie derrière. Il disait : “cherche, fouille !” sur un ton agressif. (…)" (Patrick Poumirau, professeur) ;" Le chien renifle, mord des affaires, a fait voler un sac sur une hauteur d’1m20, 1m30 » ; "le chien courait partout, il bavait, il était très excité, il montait à une armoire" (un enseignant) ;
- propos vexatoires et tutoiement : "Salut les filles" ; « La fouille de Zoé a été opérée dans le couloir. Elle a dû vider ses poches. Ensuite, une femme a fait la fouille. Ils sont 4 auprès d’elle. Les collègues hommes ont interpellé le gendarme femme en lui disant “avec la tête qu’elle a, elle doit avoir quelque chose »
- propos relevant d’une suspicion ou d’une ironie déplacée : « c’est bien, vous avez bien caché la drogue » « le maître-chien lui a demandé s’il fumait, si ses frères et sœurs fumaient » « il n’y en aurait pas dans les affaires du prof ? » (témoignage collectif de douze élèves de Pavie) « La fille qui était là, fouillée elle aussi, se fit interroger sur les personnes qui l’entouraient chez elle. » « Le gendarme lui a demandé si elle connaissait des fumeurs de hasch » (Zoé).
- démarche de contrôle « au faciès » : « Une amie sortit de suite après moi et un gendarme dit : "elle n’a rien mais vu sa tête… ». (élève C, Marciac, à propos de Zoé)
Les fouilles
Les élèves devant lesquels les chiens se sont arrêtés ont été invités à sortir de la salle de classe pour rejoindre le couloir, la cour ou un sas. Ils ont fait l’objet de fouilles à corps effectuées parfois dans des conditions ne respectant pas l’intimité, au vu des autres élèves ou des enseignants, allant jusqu’à faire baisser le pantalon ou à passer une main sur la culotte et dans le soutien-gorge.
Zoé : "Dehors m’attendait une petite troupe de gendarmes... Enfin, non, pas dehors : nous étions entre deux salles de classe. (…) Ils s’emparèrent de mon sac et le vidèrent sur le sol. Un gendarme me fit vider les poches du devant de mon sac. Il vérifia après moi. Je n’étais pas la seule élève. Avec moi, il y avait une autre fille qui se faisait fouiller les poches par une gendarme. Ils étaient deux gendarmes hommes à la regarder faire. Le gendarme qui fouillait mon sac vida ma trousse, dévissa mes stylos, mes surligneurs et cherchait dans mes doublures. La fille qui était là, fouillée elle aussi, se fit interroger sur les personnes qui l’entouraient chez elle. Elle assurait que personne ne fumait dans son entourage. Ils la firent rentrer en classe. C’était à mon tour ! La fouilleuse me fit enlever mon sweat sous les regards des deux autres gendarmes..... Je décris : Un gendarme à terre disséquait mes stylos, un autre le surveillait, un autre qui regardait la fouilleuse qui me fouillait et le reste de la troupe dehors. Ne trouvant rien dans ma veste, elle me fit enlever mes chaussures et déplier mes ourlets de pantalon. Elle cherche dans mes chaussettes et mes chaussures. Le gars qui nous regardait dit à l’intention de l’autre gendarme : « On dirait qu’elle n’a pas de hasch mais avec sa tête mieux vaut très bien vérifier ! On ne sait jamais... » Ils ont souri et la fouilleuse chercha de plus belle ! Elle cherche dans les replis de mon pantalon, dans les doublures de mon tee-shirt sans bien sûr rien trouver. Elle fouilla alors dans mon soutif et chercha en passant ses mains sur ma culotte ! Les gendarmes n’exprimèrent aucune surprise face à ce geste, mais ce ne fut pas mon cas !!!!!! Je dis à l’intention de tous « C’est bon arrêtez, je n’ai rien !!!! » La fouilleuse s’est arrêtée, j’ai remis mon sweat et mon fouilleur de sac m’a dit : « tu peux ranger ! ». J’ai rebouché mes stylos et remis le tout dans mon sac et suis repartie en classe après avoir donné le nom du village où j’habite. De retour en classe, la prof m’a demandé ce qu’ils ont fait. Je lui ai répondu qu’ils nous avaient fouillés. Je me suis assise et j’ai eu du mal à me consacrer aux maths ! Tout ça, c’est ce que j’ai vécu, mais mon amie dans la classe à côté m’a aussi raconté. Le chien s’est acharné sur son sac à elle et elle a eu le droit au même traitement. Mais ses affaires sentaient, alors ils l’ont carrément emmenée à l’internat où nous dormons. Le chien s’est acharné sur toutes ses affaires, m’a t-elle dit. Le gendarme lui a demandé si elle connaissait des fumeurs de hasch, vu qu’ils ne trouvaient rien. Elle leur a simplement répondu que le week-end dernier elle a assisté à un concert ! Le CPE l’a ramenée ensuite au collège et elle m’a raconté ».
« ...J’ai eu le droit de me faire fouiller entièrement de la tête aux pieds. Je me suis fais fouiller le pull entièrement, les chaussures avec les semelles retirées, les poches de mon pantalon avec l’ordre de le dégrafer, afin qu’ils puissent palper la doublure de celui-ci, mon sac de cours, ma calculatrice, mon portefeuille, ma trousse, mon blouson, enfin bref !!! beaucoup de trucs pour pas grand chose, car ils n’ont rien trouvé ... » (un apprenti de Pavie)
« On m’a appelé dehors. Arrivé dans le couloir, ils m’ont dit de me déshabiller, moi je leur ai dit non. Ils m’ont dit : « vous n’avez pas le choix, le chien a senti une odeur de stupéfiants ». Je n’en avais pa,s mais je me suis retrouvé en caleçon ». (un apprenti de Pavie)
« D’autres enfants ont été fouillés dans la cour. Zoé m’a remis une liste de 18 élèves qui ont été fouillés » (Frédéric David).
Les résultats
Le conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) n’a pas été informé,
semble-t-il, des résultats obtenus, ni à Marciac, ni à Pavie.
Aucune saisie n’a été opérée à Marciac.
A Pavie : "Lors de ce contrôle, 6 étudiants ont été trouvés porteur de STUPS, dont un avec 34 grammes et une petite balance électronique sur lui pour la revente." (Major Jeannyck Tribout, commandant la brigade autonome de gendarmerie du Gers, intervenant à Pavie). La mission n’a pas eu connaissance d’engagement de poursuites judiciaires.
Les réactions
Si, selon les chefs d’établissements, le déroulement de ces opérations n’appelle pas de commentaire particulier, en revanche une majorité des élèves et des enseignants a fait état, selon le cas, des sentiments de surprise, de peur ou de colère suscités par ces opérations :
Frédéric David, parent d’élève : "Mon autre fille, Olga, a pu me dire qu’elle avait vu, en larmes, dans la cour, une petite à qui on a demandé d’enlever son manteau dans la cour." "Il y a des enfants qui ont eu peur pour leurs parents qui fument eux-mêmes".
Zoé : "Une élève de 4ème nous a dit que le chien s’est jeté sur son sac, car il y avait à manger dedans. Elle a eu très peur."
Élève A, Marciac : "Ils ont fait rentrer le chien. J’avais très peur. (…) Quand c’est ressorti à la télé, on en a reparlé entre nous. On a dit qu’on avait tous eu peur."
Elève B, Marciac : « J’ai eu un peu peur. Mais une fille devant moi a eu très peur quand le chien est sorti ; elle était haletante. On était surtout surpris. (…) Le professeur – Mme Denodrest - a demandé aux élèves qui étaient sortis d’expliquer ce qui s’était passé. Ils n’ont pas trop raconté. Ils étaient choqués. Le chien était énorme. Il courait partout sans muselière."
La mère de l’élève A, Marciac : "Une élève de 4ème m’a dit qu’elle avait eu tellement peur qu’elle avait failli faire pipi sur sa chaise."
Patrick Poumirau, professeur : "Mes élèves transpiraient. J’ai ouvert une fenêtre qui a été refermée péremptoirement par un gendarme. (…) Mes élèves avaient peur. J’ai regardé dehors pendant un moment, parce que c’était insupportable de regarder la terreur sur le visage de mes élèves."
Un enseignant de l’école des métiers : « On en a parlé longuement avec les élèves de ce contrôle. 90% ont trouvé ça choquant dans la méthode. Certains ont dit avoir peur. Un de mes collègues qui avait des élèves de 14-15 ans m’a dit que l’un d’eux avait eu vraiment peur."
Monsieur Péthieu : "Les professeurs ont sur le moment constaté, subi. L’un m’a dit qu’il avait trouvé déplacé qu’on ne lui dise pas bonjour. Le professeur de Zoé était enceinte, elle a d’ailleurs été arrêtée au même moment. Elle m’a dit qu’elle avait trouvé tout ça violent. Les deux autres ont été sans réactions particulières."
Patrick Poumirau, professeur, a par ailleurs indiqué : "Je ressentais aussi de la culpabilité, je me sentais lâche, je pensais qu’il fallait rassurer mes élèves. Je me suis tout de suite dit : il faut faire quelque chose. Il faut que les gens sachent. J’ai eu le sentiment de ne plus être le maître de la classe, de voir mon autorité bafouée, la confiance aussi. Je pense que c’est inacceptable. J’ai dans mes missions de faire de l’éducation, de la prévention, c’est tout ça qui a été remis en cause d’un seul coup."
Postérieurement, les responsables des établissements ont fait part d’analyses divergentes :
- Monsieur Vilotte, pour l’école des Métiers du Gers, à Pavie, a exprimé sa pleine satisfaction.
- Monsieur Péthieu, pour le collège de Marciac, a déclaré à la mission : "Dans la mesure où rien n’est avéré, je pense que ce type d’opération est inapproprié"." Il y a lieu, toutefois, de souligner que Monsieur Péthieu a quelque peu varié dans ses écrits et ses commentaires, allant de la satisfaction avec réserves à la réprobation :
- Il a « sollicité une intervention préventive »… « dans le cadre des interventions antidrogue » (lettre du 28 octobre au procureur)
- Il a écrit au procureur que « l’intervention de la gendarmerie… s’est, de (son) point de vue, déroulée normalement dans un climat serein », demandant, pour l’avenir de « préparer nos élèves à une procédure totalement inhabituelle pour eux » (lettre du 28 novembre au procureur)
- Il a écrit aux parents d’élèves « dans le cadre d’une procédure initiée par les services de gendarmerie et proposée à tous les établissements, j’ai autorisé une intervention de prévention anti-drogue »…elle « s’est déroulée, dans ce que j’ai vu et perçu, sans excès et dans un climat serein »… « il est évident que pour le moins des maladresses ont été commises. J’en assume ma part et je souhaite que dorénavant ce type d’intervention soit mieux préparé en amont » (lettre du 1er décembre)
- il s’est associé, le 4 décembre, à la protestation de l’équipe éducative et, le 5 décembre, à la délibération du conseil d’administration du collège.
Le 4 décembre, en effet, l’équipe éducative du collège de Marciac a adressé au procureur, madame Firmigier-Michel, une lettre dans laquelle elle exprimait vivement protestation et inquiétude :
« Une quinzaine de jours après I’intervention des services de gendarmerie, l’émotion est toujours aussi vive au sein du groupe d’enseignants du collège de Marciac. (…) Un épisode dont le déroulement a durablement frappé les esprits et les sensibilités du corps enseignant comme des élèves. En revanche, il nous apparaît nécessaire de vous faire part de notre inquiétude quant à la manière d’envisager les actions concernant la lutte contre la drogue dans nos établissements. (…) Vous comprendrez donc que le comportement des intervenants, assorti de propos pouvant être choquants pour des élèves, ait pu interpeller fortement la communauté éducative, soucieuse du respect de ses principes de fonctionnement. (…) Nous vous faisons donc part de notre indignation à ce sujet et dénonçons l’utilisation de procédés, à notre sens contre-productifs concernant l’objectif affiché. »
Le 5 décembre, le conseil d’administration du collège a adopté, à l’unanimité des 21
présents (sur 23), le texte suivant :
« Le conseil d’administration du collège de Marciac condamne unanimement les méthodes utilisées par les services de gendarmerie lors de I’intervention du mercredi 19 novembre. Ces méthodes sont totalement inadaptées à une action préventive auprès d’adolescents. Elles n’ont pas leur place dans un établissement scolaire. »
Les réactions des responsables institutionnels
- Le procureur de la République d’Auch a indiqué, lors d’un entretien à la Dépêche du midi : « Dans le cas présent, ça démontre la responsabilisation de ce chef d’établissement qui a conscience des dangers des produits stupéfiants. Il n’y a rien de pire chez les adolescents que le sentiment d’impunité. Cette opération leur démontre qu’on ne peut pas faire n’importe quoi dans un établissement scolaire qui serait une zone de non-droit quand ils savent qu’ils peuvent être contrôlés dans la rue. Non, là comme ailleurs, la justice doit lutter contre ce qui reste un fléau pour nos jeunes. » « Les contrôles n’ont eu lieu qu’aux endroits où les chiens ont marqué. (…) Les élèves ont peur de ces contrôles. Cela crée de la bonne insécurité, satisfaisante à terme en matière de prévention. (…) L’action a eu lieu sur la foi de renseignements recueillis par le chef d’établissement", ajoutant n’avoir été informée « d’aucune anomalie ni réclamation ». Madame Firmigier-Michel a indiqué qu’elle ne communiquerait pas avec la mission, « dans la mesure où elle n’avait pas reçu d’instructions de la chancellerie ». La mission regrette ce refus et déplore de n’avoir pas eu accès aux textes de réquisition, aux rapports d’intervention de la gendarmerie et à l’enquête de commandement qui aurait été prescrite.
- Le préfet du Gers et le commandant de gendarmerie n’ont pas souhaité s’exprimer, arguant de la saisine de la Commission nationale de déontologie de la sécurité par le défenseur des enfants.
- Jean-René Louvet, inspecteur d’académie a écrit le 28 novembre aux chefs d’établissement du Gers : « toute intervention avec chien dans le cadre d’un contrôle antidrogue sera précédée d’une intervention auprès des élèves sur les drogues et aussi sur le rôle et la fonction du chien ; « l’intervention pourra se faire ultérieurement, en présence du chef d’établissement avec qui elle aura été soigneusement préparée ».
Monsieur Louvet a notamment déclaré à la mission :
« Je pense que ce sont les brigades de gendarmerie, La brigade locale » (qui ont incité Monsieur Péthieu à écrire au procureur d’Auch) « Pour lui proposer une intervention … C’est ce qu’il m’a dit. Je n’ai pas de raison de ne pas le croire. Le problème, c’est qu’il me l’a dit après (…). Moi je ne l’ai su qu’après. Comme le préfet d’ailleurs ». « Monsieur Péthieu m’a affirmé ensuite, et je ne vois pas de raison de ne pas le croire, qu’il n’y avait pas de suspicion de trafic de drogues dans son établissement. »
Q : Pour vous, un contrôle anti-drogue peut ou doit se faire par rapport à quel évènement,à quel contexte ?
« Suspicion réelle d’un chef d’établissement d’un trafic de drogues dans l’établissement ».
Q : Est-ce que vous êtes parvenu à considérer que désormais il conviendrait de proscrire définitivement des opérations de type lâchage de chiens en classe ?
« Sans suspicion de trafic, il n’y en aura pas.
Q : Dans l’hypothèse de suspicion de trafic est-ce que vous êtes conduit à considérer que ce type d’intervention est inapproprié ? Ou faut-il peut-être privilégier les opérations de parkings ou les opérations d’internat ?
« Au cas par cas. S’il y a des opérations à mon avis, il ne faut pas les faire dans la salle close. Pour des raisons… surtout en collège. Des gamins petits et puis des jeunes mineurs dans une classe. A la sortie d’un établissement, s’il y a une suspicion, je ne suis pas du tout opposé au contraire, s’il y a suspicion de trafic, il faudra y aller ». « Le pire, c’est que ça a détérioré les relations qu’on avait dans ce département entre les différents établissements scolaires et la police et la justice ».
7- Le cadre juridique
L’analyse juridique des interventions des forces de gendarmerie appelle des remarques critiques, tant sur l’ambiguïté entretenue autour de la nature de ces opérations, que sur la mise en oeuvre de l’article 78-2 du code de procédure pénale et sur certaines dérives commises à l’occasion de ces opérations.
7-1. L’ambiguïté autour de la nature de ces opérations
Lors des interventions des protagonistes de ces affaires, dans les médias ou devant la commission, ceux-ci ont tenté de mettre en avant tantôt le cadre répressif, tantôt le cadre éducatif de cette intervention, créant une véritable confusion sur la nature exacte du cadre des interventions.
La distinction entre police administrative et police judiciaire se fonde sur la distinction entre deux types de police :
- la police administrative, qui concerne la prévention des troubles à l’ordre public et des infraction pénales,
- la police judiciaire, qui se rattache à la répression de telles infractions postérieurement à leur commission.
Les réquisitions prises par le procureur d’Auch ont permis aux autorités administratives de dire que ces opérations relevaient de la police judiciaire. L’autorité judiciaire et les chefs d’établissement, quant à eux, ont souligné le caractère préventif de ces opérations. Il s’agissait, pour les premières, de démontrer qu’elles n’avaient pas à répondre de ces opérations et, pour les secondes, de donner une présentation socialement acceptable d’une opération, dont l’objectif réel - la recherche d’infractions - pouvait éventuellement susciter une certaine réprobation d’une partie de l’opinion publique. Dans le message diffusé sur internet, le major Jeannyck Tribout, commandant de la brigade autonome d’Auch, indiquait : “le 17 novembre 2008, de 10 heures 30 à 12 heures, sur la demande du directeur de l’école des Métiers d’Auch/Pavie (lettre à l’appui) et sur réquisition de madame le procureur de la République à Auch, une recherche de stupéfiants est organisée dans cet établissement”.
L’article 78-2 du code de procédure pénale prévoit en effet que “sur réquisitions écrites du procureur de la République aux fins de recherche et de poursuite d’infractions qu’il précise, l’identité de toute personne peut être également contrôlée, selon les mêmes modalités, dans les lieux et pour une période de temps déterminée par ce magistrat (...).”
Les chefs d’établissement ont invoqué l’existence de protocoles passés entre l’Education nationale et le ministère de l’Intérieur, aux fins de renforcer leur collaboration. Il apparaît en effet que ces contrôles sont spécifiquement prévus par le protocole d’accord du 4 octobre 2004, signé entre le ministre de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la recherche et le ministre de l’Intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
L‘article 9 de ce protocole prévoit que “le correspondant “police ou gendarmerie - sécurité de l’école est chargé [...] de proposer à son chef de circonscription ou de brigade l’adaptation du service de la police ou de la gendarmerie à la situation locale. Cette adaptation peut porter sur la mise en place de surveillances et d’opérations de contrôle, visant en particulier la consommation et le trafic de stupéfiants et le racket aux abords des établissements, dans les transports scolaires et, avec l’accord des chefs d’établissement, au sein même des établissements”. Le cadre opérationnel de ces contrôles s’inscrit directement dans l’application de ce protocole. En revanche, son cadre juridique est celui de l’article 78-2 du code de procédure pénale. Dans la circulaire du 02.12.08, le ministre de l’Intérieur précise : “il a été porté à ma connaissance que certaines de ces actions avaient pu être confondues avec des opérations de contrôle entrant dans un cadre judiciaire, sous l’autorité du procureur de la République.” Ainsi, le ministre met, lui-même, en évidence l’imbrication de ces deux cadres. Au delà de ce débat sur la nature de ces opérations de police, il apparaît que la mise en œuvre de l’article 78-2 du code de procédure pénale révèle des pratiques locales dont la légalité semble parfois douteuse.
7-2. La mise en oeuvre de l’article 78-2 du code de procédure pénale : une procédure dévoyée au regard des circonstances locales
7-2-1. L’impossible motivation de la réquisition au vu des circonstances locales
L’article 78-2 du code de procédure pénale pose deux exigences formelles à la légalité des réquisitions : l’obligation d’une réquisition écrite et l’obligation d’une motivation. S’il n’y a pas de raison sérieuse de douter de la réalisation, dans les cas d’espèce, de la première exigence imposée par ce texte, la réalisation de la seconde soulève quelques difficultés. L’objectif poursuivi par le législateur, qui a prévu que le procureur de la République qui ordonne cette mesure doit la motiver, était de limiter l’usage de cette mesure de coercition aux seuls cas où elle s’avère nécessaire et bien fondée.
En pratique, le procureur de la République s’appuie sur les actes de délinquance dont il a eu connaissance à travers les procédures dressées par les gendarmes ou les policiers dans un temps proche et sur les lieux du contrôle qu’il envisage. Il lui appartient, en tout cas, de caractériser l’existence d’un trouble à l’ordre public nécessitant le recours à la mesure de contrainte qu’il envisage.
Dans le cas d’espèce, il a pourtant été dit à la mission, tant par les chefs d’établissement que par les enseignants, les élèves ou les parents, qu’aucune infraction récente à la législation sur les stupéfiants n’avait été constatée. Tous qualifient les établissements contrôlés “d’établissements tranquilles”, “sans particularité”, “n’ayant pas connu de problèmes notoires en matière de stupéfiants”. Dès lors se pose la question des infractions qui ont été visées par le procureur, celui-ci ayant refusé de répondre à la mission sur ce point. Il a déclaré à la Dépêche du Midi à propos de l’école des Métiers de Pavie :
“Cet établissement n’est pas plus touché que les autres que l’on contrôle aussi de temps en temps”. La mission s’interroge donc sur l’utilisation de l’article 78-2 du code de procédure pénale, en l’absence d’infraction pénale constatée.
7-2-2. L’inopportunité d’autoriser l’accès à un établissement scolaire “sans problème” aux forces de l’ordre
Un autre des problèmes posés par cette intervention, dans le cadre de l’article 78-2 du code de procédure pénale, est celui de la légalité de l’accès des gendarmes à l’intérieur des établissements scolaires.
Un contrôle d’identité peut être effectué dans un établissement scolaire si les conditions légales de son exercice sont réunies. Il fallait donc que les chefs d’établissement donnent leur accord à une telle opération, voire la sollicitent. Il est constant que nous nous trouvons, à Pavie comme à Marciac, dans cette dernière hypothèse.
Il a souvent été rappelé, dans les commentaires faits autour de ces deux affaires, que plusieurs opérations de ce type ont concerné d’autres établissements. Le procureur de la République d’Auch a elle-même avancé le chiffre de 25 opérations semblables qui auraient été diligentées dans le Gers depuis le début de l’année 2008. Il reste que ces contrôles se sont, en réalité, toujours déroulés en dehors des établissements scolaires, aux abords de ceux-ci, sur un parking voisin, à la descente d’un bus scolaire sur la voie publique. Aucun texte ne prévoit les conditions dans lesquelles le responsable d’un établissement scolaire peut donner son accord à un contrôle aux fins de vérification d’identité et de recherche d’infractions. Il relève du pouvoir de décision d’un chef d’établissement de dire si, oui ou non, la situation particulière de son établissement nécessite un contrôle prévu par l’article 78-2 du code de procédure pénale et, de ce fait, d’autoriser l’entrée des forces de l’ordre dans son établissement.
7-3. Les dérives constatées dans les modalités d’intervention des gendarmes
et de règlement des désordres causés
Si les opérations de contrôle à Marciac et Pavie ont été ressenties difficilement par les personnes entendues par la mission, c’est bien avant tout parce que celles-ci ont eu l’impression d’assister à des pratiques “hors cadre” de la part des gendarmes ou de certains personnels d’encadrement scolaire.
7-3-1. Le contrôle de Zoé
Le contrôle dont a fait l’objet la jeune Zoé semble particulièrement discutable d’un point de vue juridique. On distingue habituellement la palpation de sécurité et la fouille à corps. La palpation de sécurité s’effectue en passant la main sur les vêtements pour découvrir un objet dangereux ou interdit. Lors d’une palpation de sécurité, la personne fouillée ouvre elle-même son sac ou ses vêtements.
La fouille à corps consiste en un déshabillage de la personne contrôlée. Son sac ou ses effets personnels sont ouverts par la personne qui effectue le contrôle et non plus par son propriétaire. Cette fouille à corps, de même que la fouille des sacs, poches et vêtements, est alors soumise au régime juridique de la perquisition. Elle peut être faite dans le cadre d’une enquête préliminaire, mais après le recueil par l’officier de police judiciaire de l’assentiment exprès et résultant d’une déclaration écrite de la personne fouillée ou, si la personne est mineure, de son représentant légal. Elle peut également être pratiquée en cas d’infraction flagrante ou dans le cadre d’une commission rogatoire d’un juge d’instruction, sans nécessiter l’assentiment de la personne fouillée.
Le cadre juridique des fouilles pratiquées à Marciac et à Pavie était donc le suivant : le chien, en marquant un arrêt devant un collégien ou un apprenti, permettait d’établir qu’une infraction à la législation sur les stupéfiants se commettait à ce moment là ou venait de se commettre, et donc de définir les conditions d’une situation de flagrance autorisant notamment une fouille de la personne soupçonnée, telle que prévue par les articles 56 à 59 du code de procédure pénale. Zoé a été contrôlée dans sa classe de troisième au collège de Marciac. Elle décrit clairement, comme les principaux témoins de la scène, que lorsque le chien marquait un arrêt devant un collégien, celui-ci était invité à sortir de la salle de classe et à subir une fouille dans une pièce ou un couloir attenant. S’agissant d’elle-même, elle explique tout aussi clairement que le chien n’a pas marqué d’arrêt sur son vêtement – sur lequel, rappelons-le, était cousu un badge mentionnant : “l’Etat nuit à votre santé et à celle de votre entourage”- et qu’elle a cependant été invitée à quitter la salle avec son sac pour être fouillée. Au cours de cette fouille, elle précise que la gendarme lui a fait enlever son pull, ses chaussures et qu’elle a posé ses mains dans son soutien-gorge et sur sa culotte, que ses ourlets, son sac, sa trousse ont été ouverts et fouillés, de même que ses stylos.
Monsieur Péthieu, principal du collège de Marciac, confirme qu’il a lui-même eu l’impression que le chien ne s’était arrêté ni sur le sac, ni sur la personne de Zoé.
Plusieurs remarques s’imposent donc :
- d’abord, il ne s’agissait pas d’une palpation de sécurité, aucune recherche d’objet dangereux n’ayant lieu d’être entamée en l’espèce, mais d’une perquisition, la recherche de stupéfiants nécessitant une investigation minutieuse et détaillée ;
- il est constant que Zoé a été fouillée sans que ses représentants légaux n’aient donné leur assentiment exprès, ce qui exclut que la fouille ait été pratiquée dans le cadre légal d’une enquête préliminaire ;
- or le chien n’a pas marqué d’arrêt sur elle. La flagrance n’était donc pas caractérisée pour elle et la fouille qu’elle a subie semble donc avoir été réalisée en fonction d’éléments subjectifs et en dehors du cadre légal rappelé ci-dessus.
7-3-2. L’indemnisation de Matthew
Il est avéré que la housse de l’ordinateur portable de Matthew, apprenti à l’EMD du Gers à Pavie, a été dégradée par les morsures d’un des chiens lors de l’opération de gendarmerie. Les conditions dans lesquelles ce jeune a été indemnisé appellent plusieurs remarques. D’abord, il faut rappeler que, lorsque Matthew a porté l’existence de cette dégradation à la connaissance des gendarmes, ceux-ci ont tenté de l’intimider ou de le dissuader d’entreprendre une démarche d’indemnisation, en le menaçant, s’il venait à la brigade déposer plainte, de faire l’objet d’un contrôle d’urine et d’une analyse de sang aux fins de recherche de stupéfiants. Surtout, le chef d’établissement reconnaît lui-même avoir remis un billet de 50 euros à Matthew à titre d’indemnisation contre signature d’une décharge. Cette procédure, donne à voir un chef d’établissement qui semble puiser dans ses deniers personnels ou les fonds de son établissement, pour réparer les dommages causés par une opération de gendarmerie, en dehors des procédures d’indemnisation de droit commun. On peut s’interroger sur les dispositions des articles 13 et 14 du protocole du 4 octobre 2004, qui prévoient les conditions dans lesquelles chaque administration “fait son affaire” (!) du règlement des dommages qu’elle est susceptible de causer dans le cadre de ces opérations.
8- Conclusion : Des opérations de police désastreuses
Les interventions des gendarmes au sein des établissements scolaires de Marciac et de
Pavie :
- instrumentalisent les professeurs et les responsables scolaires à des fins sécuritaires (1),
- ont pour but d’entretenir la peur chez des élèves présumés délinquants (2),
- illustrent l’aboutissement de la dérive sécuritaire et le développement d’une politique de contrôle au mépris du respect des libertés individuelles (3).
8-1. Des professeurs et des responsables scolaires instrumentalisés à des fins sécuritaires.
La note du 2 décembre 2008 du ministre de l’Education nationale, regrettant qu’une confusion se soit produite entre les bonnes actions de prévention et les mauvaises opérations de police, ne doit pas masquer cette évidence : de telles opérations s’inscrivent dans le cadre d’une volonté affichée de transformer l’ensemble des acteurs sociaux (professeurs, éducateurs, assistantes sociales, magistrats, médecins, psychiatres, élus locaux, fonctionnaires de toutes administrations…) en auxiliaires des services de police et de gendarmerie.
La mise en place de ce type d’opérations engendre l’instrumentalisation des responsables scolaires et des enseignants, au risque du dévoyer leurs fonctions éducatives et pédagogiques. La mission a pu mesurer à quel point les uns et les autres se trouvent soumis à des pressions inacceptables pour participer à ce type d’actions. Le refus d’un certain nombre d’enseignants de Pavie de témoigner devant la mission ou de sortir de l’anonymat a été dicté par la peur des conséquences, en termes de carrière, que pourrait leur valoir l’expression publique de leur désaccord.
En outre, les modalités pratiques de ces opérations (irruption brutale des gendarmes et des chiens en plein milieu des cours, à la plus grande surprise des élèves mais aussi des enseignants, totale absence de respect des règles élémentaires de politesse, propos vexatoires, etc.) ne peuvent à la fois l’autorité des professeurs et la portée de leur enseignement.
Les conséquences pour les jeunes, interpellés en milieu scolaire, peuvent être dramatiques : risque d’exclusion du collège ou du lycée - donc de désinsertion scolaire -, et risque de procédure pénale, inscription (quasiment à vie) sur le système de traitement des infractions constatées (STIC), compromettant pour certains une bonne partie de leur avenir professionnel.
8-2 Entretenir la peur chez les élèves
Ces interventions jettent la suspicion sur tous les élèves, nourrissent l’idée que le collège et le lycée sont les principaux lieux du trafic de drogue. Les adolescents qui fréquentent ces établissements sont traités comme des suspects. En outre, ils sont enclins à éprouver une forte défiance à l’égard des forces de l’ordre qui interviennent dans ces conditions. Mais, plus gravement, ces interventions s’inscrivent surtout dans une éducation des enfants par la peur, résumée par le procureur de la République d’Auch : « Les élèves ont peur de ces contrôles ; ça crée de la bonne insécurité, satisfaisante en termes de prévention » (Dépêche du Midi). La mission a en effet pu constater, que de nombreux élèves, tous mineurs à Marciac, ont été profondément traumatisés par la brutalité de l’irruption des forces de l’ordre en plein cours et des propos tenus. Ces contrôles entrent dans la démarche de stigmatisation des jeunes, entretenue par nos responsables politiques : fichier base-élèves, fichage scolaire biométrique, rapport Varinard et remise en cause de l’ordonnance de 45, pénalisation des mineurs, récidive, EPM, réforme de la PJJ, dépistage des troubles du comportement à 3 ans…
8-3. L’aboutissement de la dérive sécuritaire : du développement d’une politique de contrôle au mépris du respect des libertés individuelles
Les interventions des gendarmes au sein des établissements scolaires de Marciac et de Pavie sont le résultat d’une confusion volontaire entre des opérations de prévention, parfaitement acceptables dès lors qu’elles demeurent des actions pédagogiques, et des actions judiciaires de répression en milieu scolaire. Elles illustrent le dévoiement de procédures de police judiciaire. En l’espèce, l’autorité judiciaire qui doit garantir les libertés individuelles a initié des pratiques qui portent directement atteinte à l’Etat de droit.
9- Recommandations de la Commission Citoyens-Justice Police
Les organisations membres de la commission Citoyens-Justice-Police condamnent, de la manière la plus ferme, tant le principe que les modalités des interventions des forces de l’ordre au sein des établissements scolaires, telles qu’elles ont été mises en place à Pavie, Marciac et dans d’autres établissements scolaires. En dehors des opérations de prévention, les interventions des forces de l’ordre au sein des établissements scolaires, en raison même de la nature particulière de ces établissements, ne doivent pas devenir systématiques, mais revêtir un caractère rigoureusement exceptionnel et respecter strictement les conditions légales. Sauf urgence absolue, les membres des forces de l’ordre ne peuvent être autorisés à pénétrer dans des classes aux heures de cours.. Ces interventions ne peuvent être justifiées que par l’existence d’infractions graves et lorsqu’il est impossible d’y mettre fin par l’interpellation des auteurs à l’extérieur de l’enceinte scolaire... Dans le cas où elles s’avéreraient indispensables, elles doivent être préparées en concertation avec les responsables et les enseignants, afin d’en limiter les conséquences traumatisantes chez les élèves.
Les organisations membres de la Commission Citoyens-Justice-Police demandent :
- que, sous le contrôle de l’inspection technique de la gendarmerie national,e soit diligentée une enquête sur les interventions réalisées dans les établissements de Pavie et de Marciac et que les conclusions en soient rendues publiques.
- que le Ministre de la justice précise les conditions d’application de l’article 78-2 du code de procédure pénale et de son interdiction au sein des établissements scolaires.