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Remarques dans le cadre de l’Enquête publique du projet Goro-Nickel

Publie le dimanche 12 février 2006 par Open-Publishing
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A l’attention du Commissaire enquêteur Mr Jean-Yves Gourmand

Bureau WWF Nouvelle-Calédonie
20, rue Général Mangin
98800 NOUMĒA

Nouméa, le 5/03/02

Monsieur le Commissaire Enquêteur,

A l’aube du sommet mondial du développement durable Rio+10, le WWF tenait en premier lieu à rappeler son attachement à la recherche consensuelle de scénarii de développement qui s’appuient sur une réelle prise en compte du patrimoine naturel et de ses ressources actuelles et potentielles. Dans ce sens, nous avons accueilli très favorablement la mise en œuvre d’une enquête publique sur le projet Goro-Nickel. Elle constitue un véritable outil démocratique d’information et de dialogue pour la société civile sur un projet d’une importance économique majeure pour la Nouvelle-Calédonie qui présente toutefois des risques importants en terme de perte de biodiversité et de risques sanitaires.

Cette démarche devra donc permettre au promoteur du projet et aux pouvoirs publics compétents de prendre en compte les attentes de la société civile dans la conduite de ce projet dont les enjeux dépassent largement les frontières calédoniennes.

En Nouvelle-Calédonie, l’action du Bureau WWF est principalement dirigée vers un programme international appelé « Global 200 ». Ce programme est basé sur le concept des écorégions, 238 grands ensembles écologiques représentatifs de l’ensemble des milieux naturels de la planète reconnus prioritaires en terme de conservation. Il s’accompagne d’une stratégie de soutien des acteurs locaux dans la planification à long terme d’un développement reposant sur la gestion durable, la préservation, la valorisation culturelle et socio-économique des ressources naturelles et de la biodiversité de ces écorégions. De par la très forte biodiversité et l’important taux d’endémisme de la Nouvelle-Calédonie, ces écorégions sont sur le Territoire au nombre de quatre : la Forêt sèche, la Forêt humide, les rivières & ruisseaux et le récif corallien. Trois de ces quatre écorégions, les forêts humides, les cours d’eau et le récif corallien, sont ici directement concernées par le projet minier de Goro-Nickel. Il nous apparaissait donc, pour cette raison, important de contribuer à cette enquête publique.

Avant d’aborder plusieurs points concernant le fond, nous souhaitions exprimer notre inquiétude concernant la réelle prise en compte des résultats de cette enquête publique, ceci pour 2 raisons :

  les travaux de terrassement pour l’implantation de l’usine sont en cours de réalisation sans attendre l’arrêté provincial qui fera suite à la réception et la prise en compte des résultats de l’enquête publique.
  Une tierce expertise avait été demandée par le ministre de l’Outre-Mer Christian Paul lors de sa venue sur le territoire ; afin qu’elle puisse contribuer à la meilleure gestion du projet, il aurait fallu lui accorder un délai minimum pour être sérieusement réalisée et que ses résultats soient bien sûr intégrés aux documents mis à disposition au cours de l’enquête publique. Or aucune information relative à cette tierce expertise n’est actuellement disponible alors que l’enquête s’achève demain.
Toutefois, nous conservons l’espoir que votre travail ne sera pas vain et trouvera un accueil favorable et attentif auprès des autorités provinciales compétentes.
Nous vous offrons donc ci-dessous les éléments qu’ils nous semblaient bon de relever et qu’il nous a été possible d’identifier dans le trop faible laps de temps imparti et en fonction de notre champ actuel d’intervention.

1. L’étude d’impact présente de grandes carences en ce qui concerne les mesures compensatoires (protection, restauration, transfert d’espèces, ...) au regard des impacts que son implantation et ses activités vont provoquer. Parmi celles-ci, il apparaît fondamental que soient proposées d’importantes mesures en terme de suivi pluridisciplinaire et d’évaluation des conséquences environnementales et sanitaires. Rappelons tout de même que l’appréciation même des effets résiduels par les promoteurs du projet repose en grande majorité sur des exercices de modélisation, d’où le maintien d’un facteur risque important.

2. Le projet Goro-Nickel fait appel à un procédé nouveau sur le territoire faisant intervenir de grandes quantités d’acide sulfurique. Nous souhaiterions connaître des sites industriels référents à travers le monde qui utilisent ce même procédé et qui ont prouvé leur efficacité en terme de technologie, de sécurité et de protection de l’environnement. En Australie, existe actuellement un site minier utilisant ce même procédé hydro-métallurgique et qui connaît d’importants problèmes de fonctionnement. Il apparaît donc un réel besoin de présenter des sites équivalents et concluants sur les aspects cités. La revue « Mining Journal » de janvier dernier développait un article sur l’utilisation de ce procédé horizontal qui n’est toujours pas maîtrisé et de l’avis du secteur minier international, induira donc des problèmes qui retarderont la bonne mise en route de l’usine.

3. Les rejets atmosphériques de dioxyde de soufre résultant de l’utilisation d’acide sulfurique sont depuis longtemps connus pour être à l’origine de pluies acides qui, en Amérique du nord et en Europe, ont causé la mort de massifs forestiers entiers ainsi que l’acidification de très nombreux lacs entraînant une perte importante en terme de biodiversité. Or l’emplacement de l’usine est à proximité immédiate d’une ligne de reliefs qui abritent 2 réserves visant à conserver les vestiges forestiers du Grand sud, ainsi que de la Plaine des Lacs, mosaïque d’écosystèmes aquatiques uniques au monde. Etant donnée leur localisation par rapport aux vents dominants, ces forêts et écosystèmes d’eaux douces sont fortement susceptibles d’être atteints par les émanations soufrées. Il semble donc important que les promoteurs du projet garantissent que l’usine ne va pas entraîner l’érosion biologique de ces milieux uniques au monde (rappelons que le forêt du Mont Oungoné abrite le plus rare palmier au monde, le Pritchardiopsis jeanneneyi, dont il ne reste plus qu’un unique pied adulte !).

4. Une forte menace d’altération et d’érosion biologique pèse sur la forêt humide sur colluvion du piémont sud du Mont Oungoné sans aucun équivalent écologique sur le Territoire. Elle représente entre autres la station de plusieurs espèces endémiques phares et gravement menacées (Liste rouge UICN) comme l’Araucaria nemerosa (l’Araucaria le plus rare au monde) ou encore le palmier Kentiopsis pyriformis, espèce décrite en 1998 par Pintaud et Hodel. Cette forêt est déjà traversée par la piste actuelle d’accès au site industriel mais est menacée par l’élargissement de la voirie de plusieurs dizaines de mètres et par le passage d’une ligne électrique. Or Goro-Nickel avait auparavant élaboré un premier scénario avec une voie d’accès qui traversait en diagonale le maquis minier et qui épargnait donc cette forêt. Depuis, cette solution consensuelle a été abandonnée, l’intérêt de cette forêt n’est nullement signalé dans l’étude malgré le travail de botanistes dans la zone et seule une replantation de plants de l’Araucaria semble être proposée, ce qui n’aura aucune comparaison possible avec l’écosystème actuel. Nous demandons donc à ce que cette forêt soit épargnée par le tracé de voirie et que le deuxième tracé soit réhabilité.

5. L’analyse de la valeur écologique des écosystèmes présents sur le périmètre minier nécessite de prendre en compte l’intégralité des faciès floristiques, or beaucoup se retrouvent occultés par une simplification typologique, ce qui implique une évaluation erronée des % de surface détruite par écosystème. La terminologie simplifiée des forêts humides qui sont désignées sous 2 types seulement (forêt dense humide de l’intérieur, forêt d. h. côtière) , induisent ainsi une sous-estimation surfacique du pourcentage de destruction par faciès.

6. Nous avons constaté l’absence d’inventaire faunistique terrestre. Citons entre autres :
# Le volet avifaunistique dans le tome référant aux impacts sur la faune ; 1/2 page seulement de généralités sur les oiseaux calédoniens sans lien avec la zone concernée. Or l’avifaune est reconnue pour être un très bon bio-indicateur (ex : concentration de polluants chez les rapaces en sommet de chaîne alimentaire) et pour cela fait l’objet d’inventaire et estimation des impacts dans la grande majorité des études d’impacts. Les forêts du sud ont déjà subi de nombreuses atteintes (exploitation forestière, mines, feux) et à ce titre, les lambeaux résiduels de forêt qui ne totalisent que quelques centaines d’hectares méritent donc d’une part, une investigation conséquente pour évaluer l’intérêt de son avifaune et d’autre part, un suivi tout au long de l’exploitation du site.
# L’herpétofaune (reptiles dont les geckos géants) n’a également fait l’objet d’aucun travail de terrain malgré le grand nombre d’espèces endémiques recensés en Nouvelle Calédonie ; une courte présentation issue de la bibliographie est faîte en s’appuyant seulement sur les investigations concernant la globalité du Territoire alors qu’une étude du site s’imposait en toute logique.

7. Concernant les écosystèmes d’eau douce, nous avons relevé plusieurs lacunes :
# Aucun élément sur les invertébrés des cours d’eau (Kwé, Creek de la Baie Nord, Kadji Sud, ...) n’est intégré à l’expertise faunistique. Rappelons que les invertébrés benthiques jouent un rôle fondamental dans la chaîne trophique puisqu’ils constituent l’essentiel de la nourriture des poissons ainsi que d’excellents indicateurs de la qualité des eaux (Indice Biotique de la Nouvelle-Calédonie, Mary 1999.). De plus, sur l’ensemble des espèces d’insectes aquatiques connues, plus de 75% d’entre elles seraient endémiques à la Nouvelle-Calédonie. Plus spécifiquement, l’endémisme est proche de 100% chez les éphéméroptères et les trichoptères et de 40% chez les odonates, les hétéroptères et les coléoptères. Ces quelques remarques permettent de souligner qu’une étude conséquente de la macrofaune benthique est nécessaire, intégrant un suivi tout au long de l’exploitation et de la réhabilitation du site.
# Plusieurs espèces endémiques, rares et menacées, éléments très anciens du Gondwana (dont l’origine remonte à plus de 65 millions d’années) ne sont connues que du Sud de la Nouvelle-Calédonie. Ils nécessitent à ce titre une attention particulière en terme de conservation (étude in situ, mesures compensatoires). Citons 2 espèces de poissons Protogobius attiti (rivière Kwé, Creek de la Baie Nord, ...) et Nesogalaxias neocaledonicus (Lac en Huit) ainsi qu’un crustacé préhistorique Lynceus sp., Conchostraca (connu uniquement d’une doline dans le périmètre d’implantation de l’usine) en cours de description par le Dr S. Richter, Université Humboldt de Berlin.

8. L’exploitation minière va également induire une pression anthropique forte sur les milieux naturels environnants de par les activités récréatives du personnel (800 salariés). Quelles sont donc les mesures envisagées pour limiter les impacts sur ces écosystèmes fragiles comme les lambeaux forestiers, les rivières ou encore les îlots ?
Ex : Les îlots qui sont actuellement des zones de nidification « refuges » pour beaucoup d’espèces d’oiseaux de mer qui souffrent énormément du dérangement sur leurs colonies devant Nouméa, certaines comme la sterne néreis étant en voie de disparition dans le lagon calédonien.
Envisage-t-on en mesures compensatoires pour créer de nouvelles réserves marines et terrestres à cet effet en y associant les moyens logistiques et humains nécessaires pour les rendre efficaces ?

9. Dans le tableau comparatif de la composition physico-chimique des effluents rejetés en mer, malgré une similitude de beaucoup de paramètres, nous avons relevé des rejets de sulfate et de magnésium présentant des concentrations de très loin supérieures à celles du milieu réceptacle. Nous demandons donc des précisions avec une annexe bibliographique sur les conséquences de ces éléments sur l’environnement marin.

Hubert Géraux
Coordinateur écorégional

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