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Retour en Algérie - I

Publie le dimanche 29 novembre 2009 par Open-Publishing

Retour en Algérie (1)

Nadir Dendoune est journaliste français.

Pour humanite.fr, il "fait le voyage", à l’envers de ses parents. Premier épisode : j’ai rien oublié ?

Je suis Français. Même si je montais en haut du Mont-Blanc et je criais fort le contraire. Même si le ministre de l’Immigration disait le contraire. C’est pas de ma faute, mon frère. Je suis né ici. Ici, et pas ailleurs. Je n’ai pas fait le voyage. Parfois, j’arrive à penser que j’aurais bien aimé faire le « voyage » justement, à cause de la maladie de l’identité.

Mes parents, eux, sont bien venus d’ailleurs, encore que, l’Algérie en 1950, c’était comme la Corrèze, ou Neuilly-sur-Seine, c’était la France.

Demain, je vais en Algérie.

En plein débat sur l’Identité Nationale, allons-enfants-de-la-patrie, la main sur le cœur, la larme à l’œil, ce voyage risque de me faire du bien. J’ai failli écrire je retourne en Algérie, tellement Sarko et ses sbires nous en mettent plein dans la gueule. J’ai une mauvaise nouvelle pour vous messieurs-les-distilleurs-de-haine, pas question qu’on s’assimile, pas question qu’on accepte vos règles du jeu. Votre conception de l’Identité, vous pouvez vous la mettre où je pense.

Demain, à la même heure, je marcherai sur les terres de mes ancêtres. J’ai le cœur qui roule aussi vite qu’un TGV lancé à toute allure, qui vient de quitter Paris, pour rejoindre Marseille.

C’est la cinquième fois que je pars en Algérie. Je vais à Alger. Ne soyez pas surpris si je vous dis que je ne connais pas cette ville.

J’avais à peine cinq ans la première fois que je suis allé au « bled ». J’étais resté trois mois et en revenant, je ne parlais plus français. Je m’en souviens : ma frangine m’avait balancé un truc et j’avais rien capté. Il avait fallu réapprendre la langue de Camus. Peut-être que c’est durant cette période, que ma parole s’est déréglée. Et le reste, d’ailleurs…

Platon disait que la parole est l’âme de l’homme. Deux ans plus tard, mes parents nous avaient emmenés une nouvelle fois en Kabylie. Une belle baraque, des chambres partout et un jardin aussi beau que l’amour que porte mon père pour ce pays, son pays. J’y suis retourné en 1986, j’avais 15 ans, et j’avais passé des vacances touts pourries : un ado perdu au fin fond des montagnes berbères. J’avais attendu 17 ans pour traverser une nouvelle fois la Méditerranée. Un voyage d’une dizaine de jours pour oublier 1986.

Mon sac est prêt.

Je n’aurais pas dû dire que je partais en Algérie parce que mes amis m’ont demandé de leur ramener des tas de trucs. Sakina veut des poivrons. Un kilo, ça ira, qu’elle m’a dit. Elle est gonflée cette petite.

Mais, elle est extra alors j’essaierai d’y penser. Si j’oublie, je pourrais toujours aller au marché de Saint-Denis, c’est à dix minutes de chez moi et les légumes là-bas, sont champion olympique. Sakina m’a prévenue, je sais reconnaître les poivrons d’ici.

Abdel et Yacine veulent un maillot de l’équipe de foot nationale, qui s’est qualifiée dernièrement avec brio pour la prochaine Coupe du Monde. Karim aimerait que je dépose un téléphone portable chez son oncle.

Depuis qu’une partie de la presse et de la classe politique s’est offusquée que Diam’s se soit convertie à l’Islam, Kahina veut un beau foulard. Un musulman qui fait le chemin inverse reçoit presque la légion d’honneur. Kahina a envie d’être dans la provoc’. Ma maman veut un bidon d’huile d’olive. Ilhame aimerait que je lui trouve un mari, un bonhomme indépendant qui assume, qui n’a pas peur de l’engagement, qui n’a pas peur de dire à une nana qu’il est raide dingue d’elle : un anti-moi, quoi !

Le sac est prêt.

Hier, je suis allé à une veillée funèbre. On enterre Chantal mardi, je ne serais pas là. J’ai attendu trois semaines pour aller la voir à l’hôpital et quand je suis arrivé à la clinique pour la serrer fort dans mes bras, j’ai appris qu’elle venait de partir le matin même. Ne jamais remettre ce qu’on peut faire au lendemain. Et puis, peut-être moins courir…

J’ai refait mon sac dix fois. Toujours peur d’oublier des trucs. J’ai mon appareil photo. Je suis tellement excité que j’oublie que je vais à Alger d’abord pour le boulot. Le salon du tourisme ouvre ses portes mardi 1er décembre. Les autorités ont mis le paquet. Ils aimeraient que les touristes débarquent en masse. Ils voudraient qu’ils effacent de leurs mémoires toutes ces années terribles, où des dizaines de milliers d’Algériens ont trouvé la mort, parfois dans des conditions atroces. Le pays est tellement beau. Il mérite que des millions de paires d’yeux viennent le découvrir. Il mérite qu’on l’aime à sa juste valeur.

Nadir Dendoune

http://www.humanite.fr/Retour-en-Algerie-1