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Retrait de Gaza : trois articles intéressants sur les enjeux de pouvoir (Figaro 17/8)
Publie le jeudi 18 août 2005 par Open-PublishingLe Figaro n’est pas ma tasse de thé, mais ces trois articles me semblent fort intéressants
Patrice
Le président de l’Autorité palestinienne, qui présentait le départ des colons comme une victoire, ne semble pas en mesure d’offrir de meilleures conditions de vie à son peuple
Le retrait ouvre une ère d’incertitudes pour Abbas
Pierre Prier [17 août 2005]
Sans perspective de nouvelles négociations, sans appui politique, et en but à la montée des affrontements inter-palestiniens, le président Mahmoud Abbas ne possède guère d’atouts pour l’après-retrait, estime Jean-François Legrain, chercheur au CNRS et auteur de nombreux ouvrages sur la Palestine.
Pour le chercheur, « l’attitude de Mahmoud Abbas risque de se retourner rapidement contre lui : il a présenté à son peuple le départ des colons comme une victoire des droits des Palestiniens. Mais ce n’est pas la réalité : le retrait est une décision unilatérale d’Ariel Sharon, destinée à consolider la colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, comme il l’a précisé lui-même. »
En l’état des intentions exprimées par les Israéliens, Mahmoud Abbas ne devrait pas même pouvoir offrir une véritable embellie aux habitants de Gaza, dit Jean-Francois Legrain : « Il est possible que la bande de Gaza reste une prison pour les Palestiniens. Il n’y aucune réponse sur la liberté de circulation des productions agricoles vers la Cisjordanie ou l’étranger. Il est question de reconstruire le port, mais rien n’a été dit sur la possibilité qu’auront les bateaux à franchir le « mur maritime », un ensemble d’obstacles flottants qu’Israël est en train d’assembler au large de la bande de Gaza. L’aéroport doit être reconstruit, mais les Israéliens garderont le contrôle des mouvements d’avions. »
La reprise des négociations reste du domaine de l’improbable, estime encore le chercheur : « La communauté internationale applique la méthode Coué en faisant semblant de croire à un retour vers la « feuille de route ». Mais elle ne fait rien pour l’encourager. La seule annonce du retrait de Gaza par Ariel Sharon a annulé toute pression internationale concernant le mur, l’intensification de la colonisation ou la reprise de négociations politiques. Ariel Sharon, pour sa part, a annoncé clairement ses intentions : il ne discutera ni sur les « grands blocs » de Cisjordanie, ni sur Jérusalem-Est. »
Face à ce défi extérieur, Mahmoud Abbas est affaibli à l’intérieur. « Il n’a pas les moyens de répondre à la situation », juge Legrain, qui perçoit une « dégradation totale au niveau interne palestinien ». Premier effet de cette déliquescence, selon le chercheur français, le Fatah, le parti majoritaire créé par Arafat et supposé soutenir Mahmoud Abbas, a échoué dans sa tentative de réforme. Le parti avait obtenu le report des élections législatives prévues en juillet pour se donner le temps de tenir congrès et de changer les cadres. Il n’y est pas arrivé. Les élections sont maintenant prévues pour janvier, et le congrès l’été suivant. Pour le spécialiste, le parti de Yasser Arafat n’a pas réussi à résorber sa crise identitaire : « Mouvement de libération nationale, il se trouve en position de parti de pouvoir en l’absence de libération. » Résultat, le Fatah, qui « apparaît de plus en plus comme une courroie de transmission de l’occupant », peine à mobiliser les Palestiniens et se délite dans les querelles de personnes. L’une d’elles oppose Mahmoud Abbas à son premier ministre Ahmed Qoreï. Ce dernier tente de conserver les pouvoirs dévolus au premier ministre, à l’époque dans le but de soutenir Mahmoud Abbas, qui occupait le poste, contre Yasser Arafat...
Les règlements de comptes ne se jouent pas seulement sur les bancs du Parlement, mais aussi dans la rue : « Il ne se passe pas de jour sans affrontements entre des forces militaires plus ou moins identifiées, dont une bonne partie viennent du Fatah, et les divers services de sécurité, transformées en forces plus ou moins mafieuses qui n’obéissent qu’à leurs chefs. »
Mahmoud Abbas n’arrive pas à imposer la sécurité dans la bande de Gaza, comme l’a encore montré l’enlèvement d’un technicien de France 3 à la porte de son hôtel. Dernier affront au président et à son allié Mohammed Dahlan, supposé être l’homme fort de Gaza, le nouveau chef du Fatah, Farouk Kaddoumi, a ouvert un bureau de recrutement pour former une « armée populaire ». Des affrontements, des enlèvements ont bientôt eu lieu, et Farouk Kaddoumi vient d’exclure du parti tous les hommes de la Sécurité préventive, la police politique longtemps dirigée par Dahlan à Gaza.
Cette unité avait été formée après la paix d’Oslo pour faire la chasse aux islamistes afin d’assurer la sécurité d’Israël. « Aujourd’hui, on pourrait envisager la possibilité que Kaddoumi soit en train de faire alliance avec les forces militaires du Hamas, dit Legrain, au nom d’une certaine fidélité à l’esprit révolutionnaire du Fatah ». Contrairement à d’autres spécialistes, Legrain ne voit pas de contradiction fondamentale à cette alliance. Pour lui, le Hamas - contrairement au Djihad islamique, aux effectifs plus modestes - ne cherche pas à prendre directement le pouvoir, mais plutôt à affaiblir l’Autorité palestinienne afin d’islamiser la vie quotidienne et la société.
« Le vrai danger pour Mahmoud Abbas, ce n’est pas le Hamas, qui ne souhaite pas se transformer en parti politique, mais les groupes armés et les chefs des services de sécurité qui ne lui ont pas prêté allégeance. Par ailleurs, le Hamas et le Djihad ont promis de continuer à lancer des roquettes sur Israël, au risque de représailles israéliennes massives. »
La restitution des terres représente un enjeu politique et financier considérable
Les factions palestiennes se disputent déjà le pouvoir
Gaza : de Adrien Jaulmes [17 août 2005]
Les luxueuses brochures sont soigneusement empilées dans les bureaux lambrissés de Mohammed Dahlan. Le puissant ministre palestinien des Affaires civiles fait du retour des terres occupées par les colonies juives de la bande de Gaza, une affaire personnelle. Les plaquettes éditées par son comité populaire chargé de la préparation du retrait évoquent d’ambitieux projets de développement pour ces nouvelles terres.
« La surface des colonies représente plus d’un cinquième de la superficie de Gaza », explique Diana Buttu, la directrice de cabinet de Dahlan. « Ces terrains appartiennent au peuple palestinien tout entier. Nous avons l’intention d’y développer des infrastructures collectives : des écoles, une université, un hôpital et des installations touristiques, ainsi que quelque chose de vital sur ce territoire enclavé : des espaces verts ! », explique-t-elle.
Mais, à quelques jours du début de l’évacuation des derniers colons récalcitrants de Gaza, les Palestiniens en sont encore à mener d’âpres négociations avec les Israéliens sur les conditions du retrait et sur les futures relations entre la bande de Gaza et le monde extérieur. Une commission de coordination israélo-palestinienne se réunit quotidiennement sous l’égide des Américains pour tenter de concilier les préoccupations de sécurité des Israéliens et les aspirations palestiniennes de voir se desserrer un peu le carcan dans lequel étouffe la bande de Gaza.
« Une fois les colonies rendues, la principale question sera celle de la circulation des biens et des personnes. Car si la colonisation s’achève à Gaza, l’occupation demeure. Et si l’accès au territoire n’est pas facilité, le retrait des colons ne changera pas grand-chose : Gaza sera toujours une vaste prison à ciel ouvert », poursuit Diana Buttu.
Entourée d’une clôture depuis les premières vagues d’attentats suicides palestiniens, dans le milieu des années 90, la bande de Gaza a vu se refermer, au cours des dernières années, ses voies de communications avec le monde extérieur. Aujourd’hui, Gaza ne dispose plus que de trois points d’entrée, tous étroitement contrôlés par les Israéliens : Erez, au nord du territoire, relie Gaza à Israël, et Rafah, au sud, à l’Egypte. A l’est, Qarni est le troisième point d’entrée, réservé aux marchandises, qui doivent être déchargées puis rechargées, imposant parfois des délais qui font s’envoler les coûts de transport. « Nous avons demandé que cette procédure soit simplifiée », continue Diana Buttu.
Les Palestiniens réclament aussi un droit de passage entre Gaza et la Cisjordanie, les deux territoires palestiniens qui sont depuis 2000 pratiquement coupés l’un de l’autre. « Les Israéliens ont donné leur accord de principe, mais nous n’avons aucune idée des modalités de cet accord. Nous voulons aussi reprendre la construction d’un port, interrompue en 2000, et la réouverture de l’aéroport », continue-t-elle.
Les négociations portent également sur la démolition des maisons des colons. « Ces habitations, prévues pour loger quelques milliers de colons, ne présentent aucun intérêt pour nous. Nous avons demandé aux Israéliens de se charger de leur démolition. Les serres des colonies, consacrées à une agriculture biologique, largement subventionnée et destinée à l’exportation, ne nous intéressent pas non plus. Nous demandons aux Israéliens de se charger de leur destruction et de l’évacuation des gravats. »
Le retour des terres des colons représente un enjeu financier et politique considérable pour les Palestiniens. Et la mainmise de Dahlan sur ce dossier ne plaît pas aux autres factions. La « vieille garde » du Fatah craint de perdre encore un peu plus d’un pouvoir qui lui échappe largement depuis l’élection de Mahmoud Abbas à la tête de l’Autorité palestinienne.
A Gaza, où l’influence politique se mesure au nombre d’hommes en armes, et où une pléthore de services de sécurité se disputent munitions, véhicules et financement, cette « vieille garde », emmenée depuis Tunis par Abou Lottof, l’un des chefs historiques du Fatah, a lancé une campagne de recrutement de jeunes miliciens, en créant une « armée populaire » destinée à concurrencer la Sécurité préventive de Dahlan.
Les partis islamistes du Hamas et du Djihad islamique voient aussi avec réticence Dahlan tirer la couverture à lui. « Le retrait israélien a été obtenu grâce à l’action de la résistance », affirme Sami Abou Zouhri, l’un des principaux porte-parole du Hamas. « Il n’y a pas eu de négociations, que je sache ? »
« Ces terres appartiennent au peuple palestinien tout entier. Nous avons essayé de former un comité constitué de représentants de toutes les formations politiques pour gérer le retrait, mais notre tentative a échoué », continue le représentant du Hamas. Il prévient : « Si l’Autorité palestinienne continue seule à gérer le retrait, nous protesterons contre toutes les erreurs qu’elle pourrait commettre. En particulier, si des terres sont volées au peuple, ou consacrées à des projets privés ou donnés à des proches de l’Autorité, alors nous réagirons. »
Il affirme aussi que la « résistance », comme s’intitulent les partis islamiques, se réserve le droit de reprendre ses « opérations », c’est-à-dire les attentats suicides et les tirs de roquettes artisanales, si les Israéliens ne se retirent pas totalement des colonies. Le pari de Dahlan, qui repose sur le dialogue avec Israël, n’est pas seulement ambitieux. Il est aussi risqué.
Il a la haute main sur l’avenir des anciennes colonies
Le vice-roi de Gaza s’appelle Dahlan
Gaza : de A. J. [17 août 2005]
Les conversations s’arrêtent à l’entrée d’un homme à la carrure imposante dans la salle du Root’s, le restaurant à la mode de Gaza. Une nuée de gardes du corps se mettent en faction dans le hall. Vêtu d’un costume italien de marque, la mâchoire puissante, les cheveux gominés comme ceux d’un crooner et le téléphone portable collé à l’oreille, Mohammed Dahlan serre quelques mains avant de s’asseoir à une table dont les convives se lèvent à son arrivée.
Aujourd’hui ministre palestinien des Affaires civiles, Mohammed Dahlan a fait du retour sous autorité palestinienne des colonies juives de Gaza son affaire personnelle. Il dirige la délégation palestinienne à la commission de coordination qui discute avec les Israéliens des modalités du retrait, ce qui fait de lui l’homme le plus puissant, le plus courtisé et le plus jalousé de la bande de Gaza.
L’ancien chebaab, le gavroche de la rue palestinienne, a parcouru du chemin depuis son enfance dans une famille modeste de Khan Younès, l’un des camps de réfugiés les plus misérables de la bande de Gaza.
Dahlan commence sa carrière politique en participant à la formation des jeunesses du Fatah au début des années 80. Jeté en prison par les Israéliens, il en sort quelques années plus tard en maîtrisant parfaitement l’hébreu, la langue de l’occupant.
Chargé de la sécurité préventive par Yasser Arafat au moment de la création de l’Autorité palestinienne après les accords d’Oslo, en 1993, Dahlan noue alors des relations avec la CIA, qui participe à la formation de la nouvelle police politique palestinienne, la Sécurité préventive.
Cette organisation sécuritaire donne à Dahlan le contrôle des points d’entrée à Gaza, par où transitent tous les biens et les personnes. Il fonde des dizaines de sociétés qui bénéficient de monopoles d’importation, depuis les matériaux de construction jusqu’aux cigarettes. Sa fortune lui vaut une vaste clientèle, et lui permet de recruter des hommes de main dans les camps de Gaza, où seuls les islamistes du Hamas rivalisent avec lui en matière de popularité.
La rivalité entre Dahlan et le Hamas remonte aux années 1996, où il n’hésite pas à jeter en prison plusieurs centaines de militants du mouvement. A la satisfaction des Américains, qui voient en Dahlan le seul personnage capable d’endiguer la puissance grandissante des islamistes en Palestine.
Dahlan démissionne de la Sécurité préventive en 2002, pour ne pas se compromettre outre mesure avec l’offensive lancée par Ariel Sharon contre les activistes palestiniens.
Rallié à Mahmoud Abbas pendant son bref passage en tant que premier ministre d’Arafat, Dahlan se fait avant la mort du raïs le champion des réformateurs face à la corruption et à la gabegie de la vieille garde de l’Autorité palestinienne.
Le colonel Dahlan a mesuré le premier les perspectives que représente le prochain démantèlement des colonies juives de Gaza. Il est aussi le seul relais sur lequel Mahmoud Abbas peut s’appuyer à Gaza. Le comité technique créé par Dahlan pour superviser le retrait israélien du côté palestinien a pris de vitesse tous ses rivaux, depuis la vieille garde du Fatah jusqu’aux islamistes. Dahlan contrôle en outre, par l’intermédiaire de ce comité, la manne financière versée par la communauté internationale pour préparer le retour des colonies israéliennes sous administration palestinienne.
Il a aussi la haute main sur les projets de développement prévus sur les terrains des anciennes colonies, qui représentent une aubaine dans un territoire enclavé, peuplé d’environ 1,3 million de Palestiniens.
Face à une Autorité palestinienne dont la direction, issue de la génération historique des compagnons de Yasser Arafat, décline, et au Hamas décapité l’an dernier par les Israéliens, et dont les nouveaux chefs sont en proie à des incertitudes stratégiques, Dahlan mise tout sur la réussite du retrait israélien. S’il parvient à obtenir qu’il soit accompagné d’un assouplissement des conditions de vie des Palestiniens, et permette un décollage économique, son pari est gagné. Mais il doit pour cela fournir aux Israéliens des garanties de sécurité que lui-même n’est peut-être pas en mesure d’assurer si ses rivaux décident de jouer la politique du pire.