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Russie : Ce que veut le peuple, c’est un Hugo Chávez

Publie le samedi 28 avril 2007 par Open-Publishing
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in Novyé Izvestia*, Courrier International, n°845, 11 janvier 2007.

La campagne électorale pour les législatives de décembre et la présidentielle de mars 2008 commence.Au cœur des débats : la question de la redistribution des recettes pétrolières et gazières.

Contrairement aux précédentes élections, où tout était joué d’avance, celles de 2007 et de 2008 baignent dans l’incertitude. La dernière fois, les vainqueurs étaient connus dès le début : le parti Russie unie, émanation d’un pouvoir exempt de scissions et d’un président populaire, et Vladimir Poutine lui-même, le chef de l’Etat, contre lequel les “éternels candidats” à la présidentielle que sont Guennadi Ziouganov [Parti communiste] et Vladimir Jirinovski [LDPR, extrême droite populiste] avaient renoncé à se présenter. Aujourd’hui, en revanche, le pouvoir est divisé – avec Russie unie, d’une part, et Russie juste, d’autre part, tandis qu’aucun successeur officiel du chef de l’Etat n’a encore été désigné. Le Comité électoral central a récemment annoncé les dates des législatives et de la présidentielle, respectivement fixées au 2 décembre 2007 et au 9 mars 2008. Toutefois, l’ancien responsable de ce Comité, Alexandre Ivantchenko, aujourd’hui directeur de l’Institut indépendant des scrutins, est persuadé que des élections anticipées pourraient survenir à tout instant. “Le moment auquel Eltsine a abandonné le pouvoir en 1999 a fait que la présidentielle s’est retrouvée très proche des législatives. Résultat, la campagne législative débouche sur la campagne présidentielle et, si, pour un parti ou un autre, les législatives se passent mal, ce parti perd également la présidentielle.” C’est ce qui pourrait arriver à Russie unie. Malgré sa victoire lors des récentes élections régionales, ce parti voit sa base électorale se réduire. Vladimir Poutine, dont c’est le parti, a répété à maintes reprises qu’il ne solliciterait pas de troisième mandat, puisque la Constitution l’interdit. Selon M. Ivantchenko, “la tentation est donc grande d’augmenter le délai entre législatives et présidentielle”.

La nostalgie subsiste malgré la croissance

Les sondages effectués par le Centre Levada montrent que des élections anticipées seraient favorables à Russie unie. Aujourd’hui, parmi ceux qui ont l’intention de se rendre aux urnes, 48 % voteraient pour ce parti, 22 % pour le PC et 10 % pour le LDPR. Les autres partis recueilleraient beaucoup moins des 7 % nécessaires à l’entrée à la Douma. Sergueï Mironov, fondateur de Russie juste [et président du Conseil de la Fédération], obtiendrait ainsi 4 % des voix, Iabloko 3 % et l’Union des forces de droite (SPS) 2 %. Ainsi, si les élections avaient lieu plus tôt que prévu, le premier “parti du pouvoir” raflerait 60 % des sièges de député et le second [Russie juste] n’en aurait pas un seul. Côté présidentielle, les favoris, d’après le Centre Levada, sont Dmitri Medvedev [premier vice-Premier ministre et l’un des deux dauphins pressentis de Vladimir Poutine] avec 22 % et Vladimir Jirinovski avec 20 %. En cas d’élections anticipées, ces deux hommes se retrouveraient au second tour, où la victoire de Medvedev serait assurée grâce au soutien des structures de l’Etat. En ce début 2007, les réserves d’or et de devises de la Russie dépassent les 300 milliards de dollars, tandis que le Fonds de stabilisation [créé pour stocker les excédents de bénéfices dus au prix de vente élevé des matières premières] est riche de 2 trillions de roubles. La tentation d’utiliser cette manne pour gagner la sympathie des électeurs est de plus en plus forte. Russie unie promet ainsi de faire passer le salaire moyen de 11 000 à 25 000 roubles [de 315 à 715 euros] d’ici à 2010. Sergueï Mironov, lui, assure que dès le lendemain de son élection il doublera les retraites et les salaires des fonctionnaires. Le député Oleg Koulikov nous a déclaré pour sa part que les communistes “demandent sans trêve que le Fonds de stabilisation soit débloqué”, car “il se déprécie de 5 % à 10 % par an”. Malgré huit années de croissance, l’abondance d’appareils ménagers équipant les logements et la quantité inouïe de voitures dans les rues du pays, les Russes continuent à avoir la nostalgie de l’époque soviétique et de sa certitude du lendemain. Valeri Fiodorov, directeur général du Centre russe d’étude de l’opinion publique, explique que “la plupart des Russes rêvent de revenir à un Etat socialiste qui soit au moins du niveau de celui que nous avions dans les années 1970, sous Brejnev”. L’Etat partage aujourd’hui avec les citoyens les formidables revenus du pétrole sous la forme de “projets nationaux” [promulgué en 2006, ce programme vise à améliorer plusieurs secteurs sociaux en détresse, comme le logement, la santé, l’éducation]. Mais il existe des solutions beaucoup plus radicales : subventionner les produits alimentaires de base afin de maintenir leur prix au plus bas ou distribuer directement l’argent aux couches les plus pauvres de la population. C’est ce qu’a choisi de faire Hugo Chávez, le président du Venezuela, qui vient d’être réélu. Boris Kagarlitski, directeur de l’Institut des problèmes de la mondialisation, nous a déclaré qu’un personnage de ce type était “plus que réclamé” en Russie. Par ailleurs, la situation du Venezuela ressemble beaucoup à celle de notre pays : pétrole, pauvreté de la majorité des citoyens et système politique en vase clos où les deux plus grands partis sont deux “partis du pouvoir” qui s’appuient sur la machine administrative. Et si quelqu’un désirait fonder un parti différent afin de lutter contre cet état de fait tout en respectant les règles du système, “le simple processus de légalisation du parti, pour lui permettre de prendre part aux élections, prendrait plusieurs années”. C’est ainsi qu’“apparaît un leader qui s’adresse directement au peuple, reçoit son soutien et brise les règles du jeu”.

L’opposition démocratique reste coupée du peuple

D’après les sondages du Centre Levada, 41 % des gens estiment qu’en Russie les Russes sont plus pauvres que les immigrés, 34 % jugent les étrangers responsables des malheurs du pays. Mark Ournov, président de la Fondation de programmes analytiques Expertiza, constate que le nationalisme, en politique intérieure, augmente. Des choses qui semblaient impossibles il y a encore un an, comme les rafles ethniques, deviennent une pratique quotidienne. Pour ce politologue, 2007 devrait voir un nombre accru d’agressions et de meurtres à caractère raciste, jusqu’à “une éventuelle mobilisation de groupes fascistes violents” et des “émeutes racistes dans les grandes villes”. Pour Dmitri Orechkine, qui dirige le groupe analytique Mercator, le pouvoir pourrait être tenté de “manipuler l’opinion en la persuadant qu’elle a le choix entre le pouvoir existant, avec ses défauts, ou ces affreux fascistes”. Exactement comme lors des élections fédérales de 1996 : la stratégie de l’équipe Eltsine avait été d’encourager à voter avant tout pour faire barrage aux communistes. Mi-décembre 2006 a eu lieu à Moscou la “marche des réfractaires”. Interdite par les pouvoirs publics, l’action prévue s’est transformée en simple meeting, mais le chiffre de 4 000 participants constitue un grand succès pour l’opposition. Les précédents meetings communs des démocrates de Iabloko et du SPS n’avaient rassemblé que quelques centaines de personnes. Du côté du Parti national-bolchevique (interdit), l’aile combattante de l’Autre Russie [rassemblement hétéroclite de forces d’opposition], on ne cache pas qu’à l’occasion des élections de 2007 et 2008 l’intention est de parvenir au pouvoir par la révolution. D’autant que les rangs de l’opposition illégale ne cessent de se gonfler. Avec le “nettoyage politique” effectué par le ministère de la Justice [les partis et mouvements politiques ont dû, en 2006, se faire à nouveau légaliser, ce qui en a éliminé beaucoup de la scène autorisée], le Parti républicain de Vladimir Ryjkov a perdu son statut [de parti légal]. Précédemment, le durcissement de la législation avait déjà empêché l’association des Mères de soldats de créer leur parti politique, alors que cette organisation est l’une des plus populaires du pays. Pour les experts, la réussite d’une éventuelle “révolution orange” en Russie dépendra du lien que l’opposition parviendra à établir avec les masses populaires. D’après Boris Kagarlitski, l’opposition russe est pour l’instant coupée du peuple, au moins autant que l’est le pouvoir. Valeri Fiodorov, le directeur général du Centre d’étude de l’opinion publique, pense qu’une “révolution orange” est “la conséquence d’une usure morale du pouvoir, de la lassitude des citoyens et du manque de popularité des dirigeants”. Dans notre pays, si l’usure morale du pouvoir est une réalité, il manque encore une personnalité charismatique apte à rassembler l’opposition. Au contraire, le seul “homme politique jouissant d’une popularité absolue se trouve au sommet de l’Etat, et on ne lui voit aucun équivalent au sein de l’opposition”. Une “révolution orange” à la russe demeure possible, mais elle serait virtuelle. Alexeï Moukhine, directeur du Centre d’information politique, évoque ainsi une opposition organisant une sorte de performance théâtrale très médiatisée, surtout en Occident, mais en l’absence de tout village de tentes ou de barricades. L’ex-Premier ministre Mikhaïl Kassianov [candidat possible] déclarerait que les élections ont été truquées et se proclamerait président du peuple. Les journalistes l’annonceraient, et on aurait “l’impression à l’étranger que la Russie connaît une ‘révolution orange’”. Cette révolution virtuelle pourrait se prolonger assez longtemps, car elle serait dans l’intérêt de certaines forces en Occident, pour faire pression sur le prochain président russe.

* Né en 1997 d’une scission avec les Izvestia, il se proclame le "premier quotidien russe en couleurs". Il offre un panorama complet d’informations politiques, sociales, culturelles, le tout illustré de caricatures. Sans avoir la stature de son grand prédécesseur, il est populaire et de bonne qualité. Le rédacteur en chef du quotidien Izvestia était devenu indésirable aux yeux du nouvel actionnaire principal (la compagnie pétrolière Loukoil). Il est donc parti et a fondé "Les Nouvelles Izvestia".

mncds http://www.iprag.net/

Messages

  • "Courrier International" n’aime pas Chavez, mais comme il a désormais du mal à dénigrer sa politique au Vénézuela, voilà qu’on cherche à l’assimiler à ce qui existe de pire sur la planète "Démocratie". Tirer un trait d’égalite entre le "chauvinisme grand russe" (dixit Lénine) et l’internationalisme bolivarien est ubuesque.

    Pour démolir Chavez, on en vient maintenant au billard à 5 bandes !

    CN46400