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SARKOZY : LE SENS S’ARRETE OU COMMENCE LA POLITIQUE
Publie le jeudi 24 mai 2007 par Open-Publishing4 commentaires
Le nouveau président de la République a donné le ton de son mandat : cigarettes, whisky et p’tite pépée / Blum, Jaurès et Guy Môquet !
Le croyez-vous si mal à Malte qu’il coure à Billancourt ? Non, Nicolas Sarkozy, en une authentique, quoique brève, odyssée moderne (quel acte !) et un discours compassionnel, a surtout déshabillé la politique de son sens, de ses valeurs et de ses mots. C’est du Kennedy, nous dit-on. De Kennedy, qu’a t-il retenu ? Que la politique est aussi une affaire de spectacle. Du show-biz pur et dur : cela fait chaud au cœur des badauds et pendant ce temps, en coulisse, le business prospère.
Figure incarnée de la France, je suis au Fouquet’s ou sur un yacht à Malte. Vous y êtes aussi, semble t-il nous dire, non sans succès, si l’on en juge la sacro-sainte opinion publique peu troublée devant de tels fastes. Grâce à ce président, les Français ont des rêves de riches. Mais, « on a beau rêver de boissons : quand on a réellement soif, il faut se réveiller pour boire » (S.Freud).
Pour se racheter du soupçon de luxure, voici venu le temps des saintes icônes au gouvernement : distributeur de sacs de riz d’un côté, de soupe populaire et meubles usagés de l’autre. Et voilà sur l’autel, autre tableau vivant pour l’édification des foules, le jeune militant communiste luttant au péril de sa vie contre les nazis. Mais en quoi Guy Môquet serait-il un modèle aujourd’hui ? Contre qui, contre quoi un jeune militant se doit-il de « résister » en 2007 ? Le président Sarkozy a certainement une idée sur la question…A chercher, peut-être, dans la sacristie de cette nouvelle administration qui « regroupe » (dixit son ministre) immigration et identité nationale.
Qu’entend t-il, Nicolas Sarkozy, dans la lettre de Guy Môquet ? La lutte contre le fascisme, contre la haine de l’autre, contre l’antisémitisme ? L’amour de l’idéal communiste, rions-un peu ? Ne faut-il pas y voir tout simplement la célébration de sa « petite maman chérie » ? Du « petit papa » auquel il a fait « bien des peines » mais dont il a tenté de suivre « la voie tracée » ? Car dans cet adieu de Guy Môquet à sa famille, le président n’a, semble t-il, retenu que l’émotion inouïe qui s’en dégage. Voilà qui lui a tant plu puisque rien n’y est dit (et son auteur n’est évidemment pas en cause) de la lutte pour la liberté, contre la barbarie, pour une humanité meilleure ou l’avènement du communisme. La Résistance revisitée par TF1 : larmes, gloire et récupération. Avec derrière la caméra, N.Sarkozy en père (-vers polymorphe ?) de la Nation, soucieux d’abriter sous son aile tous les affects en déshérence politique, frontistes et orphelins communistes inclus.
Que veut-il nous faire entendre, Nicolas Sarkozy, à travers Guy Môquet ? A 17 ans, on peut être aussi bien un héros qu’un délinquant. L’un et l’autre ne sont-ils pas responsables de leurs actes ? Ainsi préparerait-on les esprits à l’abolition du peu qui reste de l’excuse pénale de minorité, contenue dans l’ordonnance de 1945 ? Ministre de l’intérieur Sarkozy n’a t-il pas ouvert la voie en conférant aux maires les pouvoirs d’une nouvelle police de la famille, apte à convoquer et punir enfants et parents ?
Que veut-il donc nous faire entendre, ce président qui classe du côté des délinquants ceux qui « résistent » à sa politique sécuritaire ? Ceux qui pointent les dérives du fichage : des internautes, (le fichage encore) des empreintes ADN ou (le fichage toujours) des sans-papiers convoqués en préfecture. Ainsi dé-voilés, des ouvriers maliens se trouvent pourchassés à la sortie d’une usine bretonne (à Monfort-sur-le-Meu) et un grand-père chinois arrêté à la sortie d’une école parisienne…Ceux, encore, qui refusent de voir « tester » les enfants à la crèche pour dépister les futurs délinquants, ceux qui résistent le fichier « base élève »* que l’on impose désormais aux directeurs d’école au prétexte de faciliter le « suivi » des enfants ?
L’inquiétant talent manifesté par Nicolas Sarkozy pour manipuler les symboles et les mots n’est pas sans rappeler celui des capitalistes financiers les plus arrogants qui créèrent une novlangue : les capitalistes se font libéraux, les patrons se nomment entrepreneurs et la réussite financière devient l’apogée de l’accomplissement humain. Si on change les mots, la réalité n’en est pas moins brutale.
Le système capitaliste a inventé la Bourse pour disposer d’un outil, lisible et unique, qui témoigne de la puissance d’une entreprise mais néglige ou instrumentalise les données autres que financières : environnementales, sociétales et sociales, tout juste bonnes pour l’affichage marketing en temps de crise. Le président Sarkozy, lui, transpose cette idée avec son ministère des comptes publics. Un membre du gouvernement, sorte de directeur financier, va jauger le porte-monnaie national. Gageons qu’experts et analystes révérents ne manqueront pas, très bientôt, de souligner le redressement tant attendu (et déjà annoncé) par le président. On voit, avec les polémiques nées lors de la publication des chiffres des demandeurs d’emploi, ce que cela laisse présager. On a vu, dans le monde économique, le résultat de cette méthode (Enron, Parmalat). Après l’obsession du fichage, vient celle du chiffrage, l’une et l’autre étant parfaitement imbriquées. Cela, au moins, n’est pas à mettre au conte de la « rupture » puisque l’on nous donne déjà, chaque mois, des nouvelles du moral des Français sur la base d’un seul indice chiffré : celui des statistiques de la consommation ! Eclairé par Freud (l’accumulation met fin à l’impression de hasard), le bien-être se mesure donc à la dépense, à l’ « avoir ».
Cet amour des chiffres était déjà à l’œuvre lorsque M. Sarkozy décida la fermeture du camp de Sangatte. S’y entassaient, avec la bénédiction des pouvoirs publics, ces réfugiés du bout du monde désireux de gagner le Royaume-Uni. Exit les images indignes d’un grand pays démocratique au journal de 20 heures. Les malvenus errent désormais dans les rues, quitte, pour certains (on l’a vu), à les délocaliser dans l’Est de la France. Qu’importe, nul ne les compte plus… Cette présidence en élaborant les pires stratégies d’évitement par la réécriture permanente du passé et du présent dans un énervement systématique du sens commun ?
Avec le clivage droite-gauche, le président Sarkozy procède de la même manière (pourtant il l’avait surligné pendant sa campagne). Enrôlant au gouvernement quelques personnalités estampillées « gauche » (et convaincues que la nation a besoin de leur talent), le président contribue à flouter les frontières politiques. Au fond, ne sommes-nous pas tous pareils ? Les grincheux qui ne voudraient pas l’admettre et s’y opposeraient n’ont pas droit au statut de « résistants », pour la simple raison qu’un « mouvement » s’est levé. Ceux qui n’y croient pas sont, au mieux de vilains idéologues, au pire de sempiternels ringards qui ne comprennent rien au monde comme il bouge : à pleine vitesse.
Avec Nicolas Sarkozy, le sens s’arrête là où commence la politique. N’est-ce pas contre cela que doivent se lever de nouveaux ferments démocratiques capables de résister à l’endormissement républicain programmé ? Sans résistances, le futur risque fort de ressembler aux premières images délivrées en ce début de mandat : un feu d’artifice sans fin devant lequel le public s’extasie ; où les couleurs de la République (« oh la belle bleue, oh la belle rouge ! ») ne seraient qu’un paravent d’étincelles qui déguise l’immense chantier de démolitions.
Le piège pour la Gauche serait de se lancer dans cette course au paraître, cette bataille de slogans vides, dans laquelle veut l’entraîner le nouveau président. Au risque, pour elle comme pour de nombreux citoyens, de devoir – une fois encore – restés figés dans une posture éplorée, impuissants à conjurer des violences de plus en plus durement réprimées par l’Etat même qui les a nourries et fomentées.
Elie BERNARD, psychanalyste.
* Ce fichier peut permettre, par recoupement, à l’administration de repérer des enfants dont les parents étrangers sont installés en France sans détenir toutes les autorisations.
Messages
1. SARKOZY : LE SENS S’ARRETE OU COMMENCE LA POLITIQUE, 24 mai 2007, 23:36
En effet Dr Bernard ,il est ahurissant d ’estimer le moral du français d’aprés les fluctuations de sa consommation en général ,et surtout de " marchandises inutiles "comme le disait le professeur Laborit .De mème le traitement de la lettre de Guy MOCQUET à des fins politiques relève finalement de la démagogie,car il n’y a aucune analogie avec notre époque ,et je ne suis pas sur que beaucoup de commentateurs l’aient constaté .Je relève ces deux points mais toute votre analyse me parait bien expliquer notre marasme politique ,conséquence d’une perte de contact d’une partie des électeurs avec la réalité sociale,car qu’on le veuille ou non pour que Sarkosy soit élu il faut bien que certains aient trahi leur classe ; ceci je n’arrive pas à le comprendre et est fort inquiétant . Gwynplaine .
1. SARKOZY : LE SENS S’ARRETE OU COMMENCE LA POLITIQUE, 25 mai 2007, 00:42
Je comprends d’autant moins, que Fillon et Alliot-Marie qui sont allés rendre visite à un commissariat de la région parisienne, admet que Sarkozy n’a pas bien fait son travail, en n’ayant pas doté ce commissariat de certaines choses qu’il demandait pourtant depuis plusieurs mois, dont le manque de cellules (seulement 3), qui d’ailleurs pour l’un sert à autre chose que son objet premier.
Sarkozy a tout simplement réussi à faire oublier aux gens qu’il faisait partie de l’équipe gouvernementale, que son bilan est désastreux. Maintenant, il s’agite encore, sort de belles phrases pour endormir l’électorat, dont il en dira plus après les législatives : il va faire de la France "une démocratie exemplaire". Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Ne se fiche-t-il pas encore une fois de la naïveté généreuse des gens ?
Au fond, j’avoue que c’est bien qu’il y ait un tel individu à la tête du pays, qu’il y ait un tel gouvernement, dont la plupart des ministres recherche le cumul des mandats, pour faire croire qu’ils sont pauvres, donc "il faut travailler plus pour gagner plus". C’est vrai dans leur cas, ça rapporte vachement quand on est un élu. Mais par contre, est-ce que le travail sera bien fait au niveau local, municipal, que d’avoir un ministre en vadrouille tout le temps ? Ah, il y aura le suppléant. Alors, autant voter pour quelqu’un d’autre, afin de répartir les richesses, et puis ça permet d’impliquer plus de gens dans la politique. Sinon, on va finir par avoir que des "vieux" en politique.
Au fait, Sarkozy n’a jamais parlé d’ouverture pendant sa campagne, et il était contre le cumul des mandats. Alors, il est honnête ou malhonnête ? Projet politique virtuel ?J
2. SARKOZY : LE SENS S’ARRETE OU COMMENCE LA POLITIQUE, 25 mai 2007, 09:13
Je dis bravo ! Voilà un article à lire et à faire lire ! Je n’en rajouterais pas, à quoi bon faire un commentaire tant tout ceci est juste mais ô combien inconnu du grand public qui se laisse prendre et griser par le cynisme, l’hypocrisie de Sarkozy, véritable manipulateur des faits, de l’opinion ! Face à ce danger installé, il faut un PCF fort ! Drôle de cri quand celui-ci vient encore de prendre une gifle ! Une à droite en 2002 et "on" tend la joue gauche en 2007 pour s’en reprendre une ! Un PCF d’actualité, un PCF en prise avec le monde bouleversé de changements certes mais un PCF authentiquement communiste donc marxiste ! Sans cela, sans députés communistes et groupe parlementaire représenté, pas d’issue et un boulevard s’ouvrira alors au maître de l’Elysée, à son gouvernement mené par le sinistre Fillon, à ces députés godillots de l’UMP ! La marée bleue va souiller le monde du travail, engluer jusqu’à la mort les "résistants" à cette politique... pendant que les choeurs de la LCR nous chanteront "ça va péter" ! Oui, ça va péter... dans la g...... de ceux qui souffrent !
3. SARKOZY : LE SENS S’ARRETE OU COMMENCE LA POLITIQUE, 25 mai 2007, 14:31
Effectievement, je crois que ce regard différent devrait être largement diffusé. J’ai vu un extrait de ce texte dans LIBé mardi 22 mais il était loin d’être complet. Je le mets sur ma liste de diffusion. Encore bravo pour cet éclairage. LMonier