Accueil > Sarkophage n° 11 en kiosque le jeudi 21 mai
Vive la vérole
Paul Ariès
éditorial du Sarkophage
numéro de mai 2009 en kiosque
à partir du jeudi 21 mai
L’ancien Ministre de l’industrie, Jean Charbonnel, gaulliste de « gauche » raconte comment VGE piquera une colère noire lorsqu’il apprendra, en 1973, que les ouvriers de LIP avaient décidé, face à la fermeture de leur entreprise, d’occuper les locaux puis « de fabriquer des montres, de les vendre et de se payer » plutôt que d’être chômeurs. Giscard d’Estaing n’eut alors pas de mots assez durs pour cracher son mépris de classe contre ces salariés qui refusaient tout simplement de rester à leur place : « Il faut les punir. Qu’ils soient chômeurs et qu’ils le restent. Ils vont véroler tout le corps social » (1).
Pensez donc, des ouvriers qui n’attendent pas la satisfaction de leurs revendications du bon vouloir patronal mais qui choisissent tout simplement de se passer de patron ! On me dira bien sûr que c’était une toute autre époque. Celle d’avant la chute du mur. Celle d’avant l’Union de la gauche. Avant que la Mickeyrrandie ne choisisse de réhabiliter le monde des entreprises. Avant que les gouvernements de gauche ne privatisent davantage que ceux de droite. Avant que les socialistes ne banalisent l’idéologie managériale jusque dans les services publics, écoles et hôpitaux compris.
Ne sentez-vous pas pourtant que le vent commence sérieusement à tourner ? Mettons-nous à l’écoute des occupations d’usine et des séquestrations de patrons voyous. Ecoutons ce qui se dit au café du coin sur les fauteurs de crise et ceux qui la paient. Villepin joue sans doute à se faire peur en qualifiant la situation de révolutionnaire. Nous aurions tort cependant de bouder notre plaisir lorsque le fond de l’air rougit. Le glorieux mythe de l’entreprise-citoyenne prend visiblement l’eau de toute part. Ce changement brutal d’époque impose de modifier radicalement notre répertoire d’action. La multiplication des journées de grève, espacées de longues semaines, épuise la combativité.
La désobéissance civique s’impose dès lors que le système se claquemure dans sa violence économique et use d’une violence idéologique et policière sans nom. Nous nous considérons donc plus que jamais comme des dissidents du sarkozysme totalitaire. Nous ne sommes plus seulement des militants mais en résistance contre un système brutal. Nous devons donc penser et agir en dissidents en refusant de pactiser avec nos maîtres. Nous devons apprendre chaque fois que c’est possible à nous passer de leur autorisation. Refuser aussi comme le dit si bien l’ami Accardo de rester des petits bourgeois gentilhomme complices du système de par notre façon de travailler et de vivre. Nous ne pouvons accepter de produire salement des choses inutiles alors que la planète craque.
Nous devons nous constituer en contre-société partout où c’est déjà possible. Nous devons le faire dans le respect de nos valeurs de partage et de simplicité volontaire. Nous devons le faire pour en finir avec « la domination des uns sur les autres et de tous sur la planète ». Nous ne pouvons plus nous contenter de négocier pour que l’hyper-capitalisme valorise au mieux nos bras et nos têtes dans des conditions acceptables. Profitons de cette crise pour arracher les moyens de vivre frugalement mais dignement.
C’est tout le sens de notre engagement en faveur d’un revenu garanti inconditionnel. N’attendons rien des patrons mais commençons à nous émanciper nous-mêmes en renouant avec le geste des Lip, des Chausson, des Tanneries d’Annonay, des centaines d’entreprises où, dans le passé, des salariés ont décidé de ne pas rompre leur collectif, de s’approprier les locaux, les machines, les stocks, pour continuer à produire, parfois autre chose, toujours autrement que cela plaise ou pas aux patrons et à l’Etat. Pensons à l’aventure extraordinaire des mineurs gallois de la Tower Colliery qui, en 1994, à la veille d’être brisés par la fermeture de leur mine dans le cadre de la privatisation de Mme Thatcher, décidèrent de relever la tête et rachetèrent leur entreprise (2).
Multiplions les coopératives de production, de distribution, de consommation, de logement, malgré leurs faiblesses, malgré les difficultés, malgré les échecs programmés. Ce n’est certes pas la voie de la facilité mais celle de la responsabilité et de la dignité. Ceux qui ont déjà partagé le bain de la fraternité lors des longues grèves avec occupation des locaux savent ce que la coopération apporte en dignité retrouvée.
(1) Serge Halimi, « Lip, l’imagination au pouvoir » in le Monde Diplomatique, mars 2007
(2) Charbons ardents, film de Jean-Michel Carré, DVD Grain de sable