Accueil > Sharon, du faucon au vrai prestidigitateur.
de François GERALD
A voir l’empressement avec lequel les media se sont emparés dans un bel unanimisme du bilan politique de Sharon, on en vient à se demander si le premier ministre israélien ne serait pas devenu une icône publicitaire centralisant les désirs et satellisant leurs sujets avec une plasticité de bon aloi. "Une ère d’incertitude" titrent les uns, "Sharon est irremplaçable, qui va le remplacer ?" s’alarment déjà les autres , "Après Sharon le déluge ?" se demandent finalement les plus troublés. Sur i-télé, le politologue Frédéric Encel rappelle en guise d’hommage, que le président Moubarak ("le leader le plus puissant du monde arabe") aurait récemment déclaré son espoir que Sharon remporte les prochaines élections législatives et Jack Straw, ministre britannique des affaires étrangères, de saluer "les actes courageux de Sharon qui avaient été approuvés par l’ensemble de la population israélienne."
On pourrait multiplier ainsi les exemples d’hommages rendus à travers le monde, on peine à croire qu’ils s’adressent au faucon parmi les faucons de la politique israélienne. C’est pourtant à un singulier renversement d’étiquette auquel nous avons assisté depuis la prise de pouvoir d’Ariel Sharon en 2001.
Les premiers pas dans la vie publique israélienne de Sharon ne furent guère, il est vrai, empreints du sceau de la subtilité. En 1953, après une incursion palestinienne qui fit trois morts coté israélien, le gouvernement d’alors chargea le jeune commandant Scheinerman qui ne s’appelait pas encore Sharon de monter une opération de représailles à la tête de l’unité 101 formée par ses soins. A Qibya, petit village palestinien, on releva 69 morts, l’envoyé des Nations Unies, le général Vagn Bennike témoignant : « Des corps criblés de balles près des portes de sorties et de nombreux impacts sur les portes des maisons démolies prouvaient qu’on avait forcé les habitants à rester à l’intérieur alors qu’on faisait sauter les maisons. »
Dans le même ordre d’idée (du crime de guerre), on pourrait revenir longuement sur les massacres de Sabra et Chatila en 1982 où environ 1200 civils firent massacrés par des phalangistes chrétiens sous contrôle du ministre de la défense d’alors Ariel Sharon, mais ces faits ont déjà été largement commentés.
Quand il arrive au pouvoir en 2001, Sharon commence par décréter Arafat personna non gratta à Tel Aviv. Premier fait curieux du mandat de Sharon, l’ensemble de la communauté internationale n’émet guère de réserves malgré l’élection du chef palestinien au suffrage universel, une première dans le monde arabe, ce qui rend de facto toute possibilité de négociation nulle et non avenue. Certes, Sharon avance comme argument qu’Arafat est un « assassin », mais on l’a vu il n’est guère en position de donner la moindre leçon à qui que ce soit sur le sujet. Pour le moment le fin tacticien qu’est Sharon a un besoin : gagner du temps. Quelques années plus tôt, on l’oublie trop souvent, Ytzak Rabin avait fait un drôle de pari en obtenant d’Arafat un accord de reconnaissance mutuelle entre Israël et l’OLP.
A l’époque, Sharon avait qualifié les accords d’Oslo d’erreur historique et de trahison. Dans la foulée le parti de Sharon, le Likoud, organisait moult manifestations de protestation dans les rues de Tel Aviv dans lesquelles les militants du parti conservateur paradaient sous des pancartes grimant le premier ministre d’alors... en officier gestapiste. On connaît la suite et les accords d’Oslo se révélèrent finalement la plus formidable escroquerie dont furent victimes les Palestiniens, l’ensemble de la classe politique israélienne concourrant unanimement depuis l’assassinat de Rabin à en trahir aussi bien l’esprit que la lettre.
De fait, la haine tenace dont Sharon témoigna à propos des accords d’Oslo résidait en ceci que Rabin avait compris que ce conflit avait atteint un point de non retour où il ne pourrait y avoir que deux vainqueurs ou deux vaincus. Sharon, lui, en bon militaire qui n’avait jamais témoigné qu’une très grande méfiance envers les politiques (lesquels le lui rendirent généreusement, cf. la phrase de Ben Gourion disant de lui qu’il pourrait faire « un bon homme politique s’il était seulement capable de dire la vérité »), savait qu’aussi bien contre la Syrie que contre les Palestiniens le combat militaire était gagné et qu’il ne fallait à aucun prix laisser la diplomatie entraver la latitude qu’avait Israël d’en jouir librement.
Il faut dire, quitte une fois encore à prendre le contre-pied de ce qui s’émet copieusement de commentaires actuellement, que, dans l’histoire politique d’Israël, Sharon s’est singularisé en se faisant sur la scène intérieure l’un des principaux promoteurs d’une colonisation des territoires palestiniens qui n’a jamais cessé et sur la scène diplomatique celui qui en toutes occasions s’opposa à tous les plans de paix de tous les gouvernements d’Israël avec tous ses voisins. Sans aucune exception. Certes l’évacuation des colonies de Gaza fait incontestablement partie de ces actes qu’on ne saurait critiquer d’emblée. Mais de deux choses l’une, ou bien Sharon a décidé l’évacuation parce qu’il est contre la colonisation, ou bien c’est parce qu’il en est arrivé à la conclusion que la situation n’était plus tenable pour Israël.
Il n’est qu’à écouter les déclarations qu’il fit seulement quelques semaines après la fin de l’évacuation des colonies où il réaffirma à plusieurs reprises et en public qu’Israël allait « continuer, étendre et renforcer la colonisation », pour comprendre que cette décision servit avant tout les intérêts du Hamas, en particulier de sa branche militaire. Aucun média ne releva cette déclaration qui ne suscita aucun commentaire dans les chancelleries. Sharon semble avoir comme anesthésié le monde occidental en maniant la carotte du dialogue constructif et le bâton du chantage à l’antisémitisme. Si bien qu’aujourd’hui encore il semble impossible d’appeler au respect du droit international sans redouter l’insulte d’antisémitisme. Il n’y a pas si longtemps, au cours du banquet annuel du Crif, son président, en présence de nombreux ministres, n’hésita pas à expliquer que la raison de l’antisémitisme en France, c’était la politique arabe de la France ! La plupart des média ne relevèrent même pas ces propos et aucun des ministres présents ne s’indigna.
Nombre de journalistes semblent de nos jours littéralement obnubilés par la mythologie du pouvoir (pas seulement à la télévision). A ce titre ils vivent dans la permanente nécessité de trouver des justifications aux pouvoirs en place par où ils espèrent légitimer le leur. Après les louanges sur « l’homme de paix », viendront donc les effluves de la peopôlisation nous demandant « qui était vraiment Ariel Sharon ? » (i-télé), et dont le suite logique serait donc : « Le boucher sanguinaire de Sabra et Chatila nous aurait-il changé en truffes ? » Au fond l’icône Sharon ressemble de plus en plus à une de ces figures de la « télé-réalité » que quelques spécialistes en spécialités auraient finalement travesti de faucon en colombe, pour le bien du conformisme ambiant.
Certes, la « communication » d’Israël n’a pas toujours été aussi radieuse et encore aujourd’hui certains journalistes n’hésitent pas à faire leur métier contre le vent des modes, mais le besoin de passer les plats d’un puissant dépasse largement le cadre d’un conflit particulier où les indices des véritables intentions du général ne manquaient pourtant pas. Sa disparition de la scène politique se produit finalement à un moment clé de sa carrière. Il ne fait guère de doutes aujourd’hui que son projet politique qui consistait en une séparation unilatérale des Palestiniens sur la base de la frontière actuelle du mur englobant la plupart des colonies israéliennes en Cisjordanie était à bout de souffle en termes de communication et n’aurait pas pu se prolonger très longtemps sans qu’il dévoile plus ses cartes. Elle laisse donc un double vide pour les Palestiniens et pour les Israéliens.
Pour les premiers, c’est assurément une excellente nouvelle, aucun gouvernement Israélien ne semblant en mesure avant longtemps de conjuguer une « communication » aussi efficace auprès des grands média et des actions militaires et une colonisation aussi éloignées des nécessités d’un processus de paix. Pour les Israéliens, la question de la gestion de l’héritage par Ehoud Olmert est la principale interrogation. Il n’est pas impossible en effet que le peu de charisme de celui-ci pose problème dans la campagne électorale au fur et à mesure de son avancement. Face à un Likoud désaxé dans une stratégie clairement No future qui ne manquerait pas de conduire Israël vers un isolement international comparable à celui de l’Afrique du sud il y a vingt ans, et face à un parti travailliste qui s’est clairement recentré à gauche avec l’éviction de Pérez, Kadima ne semble pas à première vue manquer d’espace pour prospérer.
Mais pour peu que le leader travailliste Amir Peretz parvienne à grignoter quelques points dans les sondages sur les questions économiques et sociales, Olmert serait vite tenté de regagner ces voix par un recentrage à gauche qui ne manquerait pas de provoquer des tiraillements de la base de Kadima qui vient essentiellement du Likoud. Olmert se retrouverait alors dans la position d’appoint que Sharon souhaitait réserver à ses deux ailes. Ce serait finalement une cruelle ironie pour lui que le parti qu’il avait créé avec une feuille de vigne recouvrant la droite israélienne soit devenu le cache sexe du parti travailliste le plus à gauche depuis vingt ans ! Mais cela, ce sera aux électeurs d’en décider.