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Temps de trajet et Temps de Travail (guerre aux salariés sous couvert de "Cohésion Sociale") -suite-

Publie le mardi 14 décembre 2004 par Open-Publishing

Bien d’autres détricotages du droit du travail sous ce projet de loi...qui mérite une lecture attentive

Patrice

extrait des débats de l’assemblé nationale du 2 décembre, 2° séance Projet de loi "cohésion sociale"

Après l’article 37 ter

Mme la présidente. Je suis saisie de plusieurs amendements portant articles additionnels après l’article 37 ter.

La parole est à M. Jean-Michel Fourgous, pour soutenir l’amendement n° 737.

M. Jean-Michel Fourgous. Cet amendement a pour objet de clarifier les règles applicables aux temps de trajet siège chantier dans le bâtiment, conformément aux usages et aux conventions collectives de cette profession. En effet, temps de travail et durée du trajet, ce n’est pas la même chose. Il s’agit donc de savoir quand commence le décompte du temps de travail : quand le salarié arrive au siège de l’entreprise ou sur le chantier ?

Jusqu’aux lois Aubry, le temps de travail effectif était celui effectué sur le chantier. Depuis les 35 heures, la gestion des RTT a rendu les choses très difficiles. Elles sont en effet incompatibles avec la charge de travail et la pénurie de main-d’œuvre que subit actuellement le bâtiment et qui commence à devenir préoccupante. Cela a fait exploser les heures supplémentaires, donc les charges et les factures, et a entraîné nombre d’entreprises dans la spirale de l’échec.

Le secteur du bâtiment est moins bien traité que les autres secteurs d’activité. De plus, les contentieux sont nombreux, et les chefs d’entreprise s’irritent de devoir passer un quart de leur temps avec les avocats.

Mme Hélène Mignon. À qui la faute ?

M. Jean-Michel Fourgous. Un entrepreneur qui crée de l’emploi n’a pas à être sans cesse incriminé par la loi. Il faut donc prévenir une judiciarisation excessive qui menace l’existence de nombreuses petites entreprises du bâtiment, et donc des milliers d’emplois dans ce secteur. Celles-ci attendent, monsieur le ministre, un signe de notre part.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise de Panafieu, rapporteure. La commission a repoussé cet amendement non parce qu’il n’est pas intéressant, mais parce qu’elle lui a préféré l’amendement n° 200 rectifié.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué aux relations du travail. Même avis que la commission.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Desallangre.

M. Jacques Desallangre. Et on continue à assister à un détricotage, à un démantèlement en règle du contrat de travail et de la protection du salarié !

Ici, on nous dit que, pendant qu’il est dans le véhicule entre le siège et le chantier, l’employé ne fait rien, donc il n’est pas question de le payer.

M. Jean-Michel Fourgous. Il a une prime !

M. Jacques Desallangre. Mais il est au travail. Et si vous considérez que ce n’est pas le cas, que se passera-t-il en cas d’accident ? N’étant plus au travail, il ne sera plus protégé !

M. Jean-Michel Fourgous. Il est assuré ! Il a des primes !

M. Jacques Desallangre. Bien sûr, que quelqu’un passe une demi-heure dans un véhicule inconfortable pour aller travailler, cela vous enrage. Il faudrait peut-être même lui donner quelque chose à faire pendant le trajet !

M. Jean-Michel Fourgous. Caricature ! Incompétence !

M. Jacques Desallangre. Il est proprement scandaleux d’oser faire une telle proposition dans cette enceinte !

M. Hervé Novelli. C’est du Zola !

M. Hervé Novelli. C’est vous qui êtes scandaleux !

Mme la présidente. Je vais mettre aux voix l’amendement n° 737...

M. Jean-Michel Fourgous. Je le retire, madame la présidente.

Mme la présidente. L’amendement n° 737 est retiré.

Je suis saisie d’un amendement n° 200 rectifié.

La parole est à M. Jean-Michel Fourgous, pour le soutenir.

M. Jean-Michel Fourgous. Il est défendu, madame la présidente.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise de Panafieu, rapporteure. Avis favorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué aux relations du travail. Au Sénat, nous avions demandé du temps pour procéder à une évaluation. Maintenant que c’est fait, le Gouvernement est favorable à la mesure proposée.

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. Encore un amendement qui rentre par la fenêtre et qui n’a pas grand-chose à voir avec la cohésion sociale.

Détricotons cet amendement, chers collègues.

« Le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif. » À l’évidence, le salarié qui se rend chez un client ne travaille pas pour l’entreprise pendant la durée de son déplacement.

Je poursuis : « Toutefois, s’il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail,... ». Dans le secteur de l’informatique, que je connais bien pour y avoir travaillé, on peut être amené à se déplacer dans la journée pour aller voir un client. Qu’est-ce que cela a à voir avec le temps de déplacement entre le domicile et l’entreprise, quand il faut aller d’un client à l’autre ? Mais il fallait bien trouver un argument pour justifier cet amendement.

Admettons que le salarié mette une demi-heure entre son domicile et son lieu de travail habituel. Dans ce cas, notre collègue Fourgous nous dit qu’il ne s’agit plus de temps de travail effectif si dans la journée, le salarié va du siège de l’entreprise chez un client, et que cela prenne une demi-heure, soit la même durée que celle entre son domicile et le siège de l’entreprise. Il devra donc une demi-heure de temps de travail à son employeur. Cela signifie que l’on allonge la journée de travail. C’est irrecevable, et cela introduit une inégalité entre les salariés. Certains mettent une heure et demie de trajet pour se rendre de leur domicile à leur lieu de travail, d’autres un quart d’heure. En cas de déplacement long pour aller chez un client, ils seront traités différemment. C’est incohérent. Monsieur le ministre, je ne comprends pas que vous acceptiez un tel amendement !

Prenons le cas d’un salarié dont le temps de trajet entre le domicile et le lieu de travail est d’une demi-heure, ce qui n’est même pas la moyenne francilienne, admettons qu’il ait à se rendre quatre fois dans la semaine chez un client pour un temps de trajet d’une demi-heure à chaque fois : ce seront deux heures de temps de travail qu’il devra à son chef d’entreprise. Si la durée de son déplacement professionnel est cette fois-ci d’une heure, soit une demi-heure de plus que le temps normal de trajet, son chef d’entreprise lui devra une contrepartie, soit sous forme financière, soit sous forme de repos. Mais notre collègue est très humain et précise qu’il ne saurait y avoir de perte de salaire.

Monsieur le ministre, il aurait été plus sage de donner un avis défavorable à cet amendement. Quand il faudra appliquer la disposition qu’il propose, vous verrez quel travail cela donnera aux juges et aux tribunaux prud’homaux.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Je continue la lecture de l’amendement : si le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail « dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il doit faire l’objet d’une contrepartie, soit sous forme de repos, soit financière, déterminée par convention ou accord collectif ou, à défaut, par décision unilatérale de l’employeur... ».

M. Hervé Novelli. « Prise après consultation du comité d’entreprise ou des délégués du personnel » !

M. Daniel Paul. Vous êtes en train de détricoter le droit du travail, avec autant de patience que Pénélope,...

M. Christian Vanneste. Nous attendons que le travail revienne, comme Ulysse !

M. Daniel Paul. ...mais en vous contentant de détruire.

Ces questions ne relèveront désormais plus du droit du travail mais d’une convention interne. Autrement dit, c’est le droit patronal qui va s’instaurer dans les entreprises, au détriment des salariés.

M. Hervé Novelli. Quelle confiance dans les syndicats !

M. Daniel Paul. Nous sommes donc évidemment défavorable à l’amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Fourgous.

M. Jean-Michel Fourgous. Madame Billard, considérer le temps de déplacement comme du temps de travail effectif revient à faire varier le temps de travail en fonction du lieu du domicile du salarié. Imaginez les effets d’une telle conception !

Mme Martine Billard. Retirez donc votre amendement !

M. Jean-Michel Fourgous. Le législateur a déjà exclu les temps de pause et d’habillage du temps de travail effectif. La disposition proposée est donc tout à fait cohérente.

Sinon comment traiter le cas du salarié devant faire l’aller-retour en Australie dans la semaine pour des raisons professionnelles ? Je dis cela en plaisantant, mais j’aimerais que vous sortiez de la logique de l’affrontement permanent entre patrons et salariés.

Mme Martine Billard. La disposition proposée est inapplicable !

M. Jean-Michel Fourgous. Je vous rappelle qu’il s’agit de créer des emplois et de sortir de leur malheur des gens qui souffrent.

Soyons compétents et intelligents.

Mme Martine Billard. Vous ne faites certainement pas preuve de compétence avec cet amendement qui ne tient pas la route !

Mme la présidente. La parole est à Mme Hélène Mignon.

Mme Hélène Mignon. Cet amendement est en effet inapplicable. Nous sommes tous attachés à la cohésion sociale, sans laquelle notre république serait mise en danger. Mais avec ce plan, vous semblez tout faire pour qu’elle ne puisse pas être effective. Cessez d’opposer en permanence ceux qui voudraient faire travailler les gens à ceux qui voudraient ne pas les faire travailler ! C’est une erreur d’analyse fondamentale. Nous souhaitons tous que ceux qui le veulent et qui le peuvent aient un emploi, afin que soit reconnue leur dignité, dans la société comme dans leur famille. Or, c’est cette dignité même qui est remise en cause par toute une série d’amendements.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 200 rectifié.

(L’amendement est adopté.)

Mme Martine Billard. Ce sera inapplicable !