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Temps de travail : charge de cavalerie européenne contre les 35 heures
Publie le samedi 28 août 2004 par Open-Publishing
de Bruno Odent
Travailler plus longtemps pour le même prix. Les chantages à la délocalisation
se multiplient en Allemagne, en France et ailleurs en Europe, traduisant une
cohérence fondée sur l’obsession de la baisse du coût du travail.
La direction de Volkswagen vient à son tour d’entamer une offensive pour un allongement
du temps de travail, assorti d’un recul des rémunérations des salariés du groupe.
En France comme en Allemagne, les 35 heures sont dans le collimateur. Dans d’autres
pays comme la Belgique ou les Pays-Bas, l’extension de la durée du travail sans
compensation salariale est aussi à l’ordre du jour. D’annonce en annonce, la
cohérence européenne de ces attaques apparaît de plus en plus explicite.
Conduites simultanément dans les pays les plus développés de l’Union européenne (UE), elles renvoient en fait au cour même de la construction libérale auquel se sont ralliés les Conseils européens successifs. Et pour les patronats et différents gouvernements des pays de l’UE, le moment semble venu de passer en force contre les acquis des salariés en agissant au nom d’une certaine conception de la compétitivité : celle qui donne la priorité des priorités à une baisse très sensible des coûts du travail pour affronter une concurrence de plus en plus rude avec les États-Unis et sur les marchés internationaux.
Un récent rapport de la Commission consacré aux " enjeux clés de la compétitivité " (1), qui prône une " approche intégrée ", alimente cette campagne en présentant comme inévitables les transferts d’entreprises " incapables de produire dans le contexte de hauts salaires de nos économies industrielles modernes ".
L’exemple Volkswagen est particulièrement significatif pour saisir à quel ressort obéit cette cohérence. Comme chez Daimler Benz, Siemens et d’autres groupes germaniques de la métallurgie qui ont commencé à s’exempter des 35 heures, inscrites dans les accords tarifaires - après une lutte historique conduite dans les années quatre-vingt par le syndicat IG Metall -, Volkswagen entend diminuer de 30 % ses frais de personnels d’ici à 2011.
" Si vous n’acceptez pas ces conditions, nous irons produire ailleurs. " À Wolfsburg, au siège du groupe automobile, comme dans le reste de l’UE, le chantage à la délocalisation est l’arme favorite pour forcer la main des salariés et leur imposer cette régression sociale. Celui qui porte le projet, Peter Hartz, le directeur du personnel du groupe Volkswagen, synthétise à lui seul de façon saisissante les fuites en avant auxquelles donne lieu la conception de la compétitivité qui sert aujourd’hui de boussole à l’Europe.
Proche du chancelier Gerhard Schröder et membre comme lui du Parti social-démocrate (SPD), Hartz avait été l’initiateur de la semaine de quatre jours qui a fait jadis figure de référence en Europe. Si la démarche allait en partie au-devant des aspirations et des besoins des salariés à disposer de davantage de temps pour se former, se cultiver, les dés étaient pipés dès le départ. Car en contrepartie de la réduction du temps de travail, l’accord imposait " la modération salariale " et une grande flexibilité.
Aujourd’hui, la réduction sensible des profits du groupe, provoquée notamment par quelques déboires avec la commercialisation d’un modèle haut de gamme, fait se tourner la direction du groupe vers ceux qui sont considérés comme l’unique variable d’ajustement : les salariés. Du coup, le même Peter Hartz est revenu en arrière sur le temps de travail tout en prétendant geler le niveau des rémunérations pendant deux ans et accroître encore la flexibilité puisqu’il voudrait désormais lier 30 % des salaires aux résultats de l’entreprise.
Suprême ironie du sort : le nom de Peter Hartz, dont le chancelier Schröder avait tenté d’utiliser la notoriété pour réformer le marché du travail, est désormais attaché aux mesures antisociales du gouvernement de coalition SPD-Verts outre-Rhin et donc conspué par les manifestants qui se rassemblent, chaque lundi, dans les rues allemandes (voir l’Humanité du 23 août).
Le " cas " Hartz est emblématique de cette Europe obsédée par la baisse des charges sociales et des rémunérations salariales, dont les références en termes de compétitivité ont été imposées par les marchés financiers. Il s’agit d’assurer, quoi qu’il arrive, les meilleurs rendements aux titres placés en Bourse. Sachant que les entreprises industrielles elles-mêmes sont de plus en plus impliquées dans des opérations purement financières.
Mais la soumission générale à cette logique-là alimente des contradictions de plus en plus aiguës. La croissance n’est pas au rendez-vous. Elle reste très molle à cause de la baisse du pouvoir d’achat des populations, en particulier en France et en Allemagne. Ce qui signe, de fait, l’échec de la stratégie de Lisbonne, du nom du Conseil européen qui s’est tenu dans la capitale portugaise en l’an 2000. Celui-ci visait, rappelons-le, à " stimuler la croissance " et faire de l’UE un lieu de " plein-emploi, le plus compétitif de la planète ". Des enjeux cruciaux pour favoriser la compétitivité des firmes de l’UE y avaient été bel et bien repérés. Comme la nécessité, avec l’émergence des nouvelles technologies, en particulier informationnelles, de développer la formation tout au long de la vie des salariés, de répondre à leur aspiration en matière de sécurité de l’emploi.
Seulement les remèdes préconisés ont nourri une mécanique qui torpille littéralement les objectifs affichés initialement. Les mesures pour l’emploi sont soumises à la terrible notion d’" employabilité " - traduisez : la lutte contre le chômage par l’écrasement des coûts salariaux -, l’UE s’alignant ainsi de plus en plus sur le modèle anglo-saxon. La Grande-Bretagne de Tony Blair, avec la multiplication de ses " working poors " (travailleurs pauvres) ou de ses contrats les plus précaires à durée très extensible, véritable machine à pulvériser tout effort de réglementation à 35, 40 voire 48 heures hebdomadaires, constitue la véritable référence. Ce qui permet de saisir la réalité de la cohérence même du " plein-emploi " envisagé par les dirigeants européens à Lisbonne.
Les luttes en France, l’été social chaud en Allemagne, la grève dure annoncée par le syndicat IG Metall chez Volkswagen si la direction ne change pas de position, tout cela montre que les résistances s’organisent en dépit de l’ampleur des chantages. De ces mouvements peuvent émerger des alternatives, faisant valoir une approche radicalement différente de la compétitivité qui permette, par exemple, plutôt que de s’acharner sur les salaires et les charges sociales, de réduire les coûts financiers de plus en plus exorbitants qui pèsent sur les entreprises. Comme le proposent les communistes français, un véritable système capable de sécuriser emploi et formation apparaît indissociable de cette autre conception de la compétitivité. Il permettrait de répondre à l’aspiration grandissante des populations européennes à un véritable travail et à une organisation de la société qui évite à chacun de sombrer dans la précarité ou la pauvreté ; mieux : de se saisir des formations, indispensables à sa promotion professionnelle et humaine dans le monde moderne.
Bruno Odent
(1) Communication de la commission au Conseil et au Parlement européen sur les enjeux clés de la compétitivité en Europe (21 novembre 2003).
http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-08-28/2004-08-28-399484