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Thaïlande : 78 manifestants arrêtés sont morts par suffocation

Publie le jeudi 28 octobre 2004 par Open-Publishing


L’armée a mis fin, brutalement, à une manifestation dans la région musulmane
de l’extrême sud.


de Jean-Claude Pomonti Bangkok

La situation dans l’extrême sud islamisé de la Thaïlande a pris une tournure
encore plus vilaine à la suite de la mort d’au moins 78 détenus, la plupart par
suffocation, lors de leur transport vers une base militaire.

Plus d’un millier de personnes arrêtées à la suite d’une manifestation, lundi
25 octobre dans la province de Narathiwat, avaient été entassées dans des camions
réquisitionnés par les forces de l’ordre. Le premier ministre, Thaksin Shinawatra,
a promis, mercredi devant le Parlement, la formation d’une Commission "pour enquêter
sur le fait qu’ils ont été entassés au point de ne plus pouvoir respirer".

Depuis le début de l’année, plus de 400 personnes ont été tuées dans l’ancien sultanat de Pattani, rattaché au royaume bouddhiste au début du XXe siècle. Le 4 janvier, quatre soldats avaient été assassinés lors d’un raid contre un dépôt d’armes. Fin avril, 108 musulmans ont été tués au cours de ce qui a été présenté comme une série d’assauts dont le projet aurait été éventé à temps. Des soldats, des bonzes, des policiers et des fonctionnaires ont été victimes d’attentats individuels dont les auteurs sont des hommes armés circulant à motocyclette. Une attaque de ce type a encore fait six blessés graves mardi.

Lundi, une foule évaluée à 2 000 personnes s’était rassemblée dans un chef-lieu de district pour réclamer la libération de six miliciens accusés d’avoir vendus leurs armes à des séparatistes musulmans. Les forces de l’ordre ont eu recours aux gaz lacrymogènes et aux canons à eau pour la disperser. Six personnes ont été tuées par balles. Mille trois cents individus ont été interpellés et chargés sur des camions, les mains liées derrière le dos, pour un trajet de cinq heures en plein soleil. Les 78 morts ont, dans 80 % des cas, été victimes de déshydratation ou d’étouffement, selon l’expertise médicale. L’hypothèse qu’ils aient été affaiblis par le jeûne du ramadan est également évoquée.

Ce drame relance le débat sur l’attitude du gouvernement dans l’extrême sud du pays, en grande majorité peuplé de musulmans, d’ethnie malaise, et où un mouvement irrédentiste avait déjà resurgi dans les années 1970 et 1980. "Nous n’avons pas d’autre choix que d’utiliser la force pour les supprimer", a déclaré lundi le premier ministre, qui s’était rendu sur place après la manifestation. Plusieurs journaux ont vivement critiqué le gouvernement, mercredi. Les manifestants ont été emmenés "comme des cochons à l’abattoir", a estimé le quotidien anglophone The Nation en jugeant que "la haine et le mépris manifestés par les soldats reflètent bien la manière dont ce pays est gouverné".

Le premier ministre de Malaisie, pays frontalier et à majorité musulmane, a exprimé "l’espoir que le gouvernement thaïlandais sera capable de gérer cette crise". Washington a demandé à Bangkok de régler le problème "d’une façon qui n’exacerbe pas les tensions". L’extrême sud thaïlandais est le théâtre de nombreux trafics mais le gouvernement a admis la résurgence du séparatisme musulman dans un secteur où des terroristes islamistes ont, au moins, transité.

Un renouvellement du Parlement étant prévu au plus tard en février 2005, le gouvernement s’efforce de calmer les critiques en prouvant rapidement qu’il est capable d’amorcer un règlement de la crise dans le sud. Il en a d’autant plus besoin que l’expansion accuse un ralentissement dû, en partie, à la forte hausse du prix du pétrole.

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3216,36-384699,0.html