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UNE « GAUCHE DE GAUCHE » AU-DESSUS DE TOUT SOUPÇON.

Publie le vendredi 19 mars 2004 par Open-Publishing

Lorsque les travailleurs intellectuels - ceux, qui, comme le rappel
Georges Sorel « font profession de penser [et, perçoivent pour cette « 
noble » tâche] un, [voire deux] salaires aristocratiques » [1] - tentent
de se mettre au service des classes populaires, on assiste une fois
encore, à un triste retour de l’histoire. Au FSE, un véritable aréopage
de théoriciens s’affichaient sinon comme les détenteurs d’une vérité
historique, à tout le moins comme des intellectuels dont la mission
serait de dicter aux militants les types d’action qu’ils devraient
mettre en œuvre.

Ainsi, lors du séminaire du 14 novembre 2003, Claude
Poliak [2], après avoir disserté sur la désaffection des classes
populaires à l’égard de la politique - lieu commun pour les militants
mais élevé au rang des découvertes scientifiques par les « experts » -,
se demandait comment gagner les majorités aux idées du mouvement
altermondialiste ? Son discours, invitant à « réhabiliter les mécanismes
de délégation » (sic), finit de la ridiculiser, lorsque, cherchant à se
dédouaner d’opter pour un choix si peu démocratique, elle cita le défunt
autocrate [3] Pierre Bourdieu : « il faut toujours risquer l’aliénation
politique pour échapper à l’aliénation politique ».

Pirouette rhétorique
qui permettait au vieux chef [4] d’inviter ses adeptes à voter tout en
les mettant en garde contre les illusions du vote. L’esprit libertaire
hostile à toutes les formes de représentation politique ne saurait s’y
laisser prendre : « la lutte pour atteindre ces objectifs [une société
"sans classes, sans Etat, sans appareils de médiation politiques"]
exclut l’utilisation des moyens qui sont ceux de l’Etat, et elle est
seule en mesure de contrecarrer ces tendances totalitaires partout à
l’œuvre dans les partis et les institutions politiques qui se proclament
défenseurs des valeurs démocratiques » [5].

Ils ont beau prétendre avoir rompu avec la conception léniniste de
l’avant-garde, leurs discours montrent qu’ils restent fidèles à
l’élitisme qui l’inspirait. Ainsi en témoigne la conclusion de cette
chercheuse : « le mouvement altermondialiste [doit] se donner les moyens
d’être présent dans les banlieues ou les cités les plus démunies »
remplaçant au passage la lutte des classes par la lutte des places.

Partant, une première question se pose. Qui est censé aller dans les
cités ? Claude Poliak ou les militants [6] ? Si, au lieu de pérorer dans
les postes qu’elle occupe, cette « conseillère scientifique » se rendait
dans les cités, sans doute s’apercevrait-elle des aberrations qu’elle
professe. Pourquoi faire appel aux « citoyens » pour se joindre à un
combat que l’on prétend commun (rappelons que l’objectif d’Attac et
consorts est que se constitue un parti de masse et que ses militants
votent pour celui-ci [7]), alors que n’occupant pas les mêmes places
dans les rapports de production leurs intérêts sont divergents. Les uns
produisent - quand ils ne chôment pas - de la plus-value ; les autres
vivent grassement de sa rétrocession.

Ensuite, cette idéologue nous parle de politisation des masses - tâche
que se donne la « petite bourgeoisie intellectuelle » - et non
d’émancipation humaine - tâche qui revient au prolétariat - qui mettrait
en lumière les contradictions de la « petite bourgeoisie intellectuelle
 » qui profite largement du système qu’elle critique. Cela amène donc une
autre question : celle de la préservation de ses privilèges. Ce qui
confirme ce que l’on savait déjà : les ambitions critiques de la petite
bourgeoisie intellectuelle à l’égard de l’ordre établi ne peuvent aller
au-delà des possibilités historiques que cet ordre offre à cette
fraction de classe.

Un autre exemple de cet élitisme citoyenniste nous est donné avec les
théoriciens d’Acrimed [8], qui, avec les représentants de l’Observatoire
français des médias [9] étaient seuls autorisés à tenir séance au FSE
pour parler des médias. Rien de révolutionnaire dans la critique
d’Acrimed totalement déconnecter d’une analyse des médias en terme de
classe. « L’objet de leur "critique" n’est pas le monde tel qu’il est,
mais le monde tel qu’on le fait apparaître, c’est-à-dire l’"image" que
les médias en donnent [...] En outre, elle est, pour certains
intellectuels, une filière ou plutôt un filon gratifiant sinon lucratif
qui leur permet de se tailler ou de consolider une réputation de
non-conformistes, tout en les dispensant de devoir afficher un esprit de
rébellion suranné » [10]. Quant à l’Observatoire français des médias,
diplomatiquement correct, présenté comme une « force civique morale »,
il serait inconvenant, selon Ignacio Ramonet, que cet observatoire lutte
contre ce qu’il appelle : « la nouvelle coalition des dominants » [11].

L’œil rivé sur le « journalisme de marché », l’ « univers des
connivences », Acrimed oublie de balayer devant sa porte. En fin de
compte, Acrimed n’échappe pas, elle-même, comme le reste de la
profession, aux « réseaux d’amitiés et d’intérêts » [12] tant dénoncés
par Serge Halimi. Pourtant, il reconnaît lui-même avoir beaucoup de
chance au regard d’autres journalistes. Certes, Serge Halimi n’est pas
un précaire. Autrement dit, c’est un nanti [13]. Dès lors, taire [14],
comme il le fait, depuis des années, le comportement tyrannique de
Daniel Mermet à l’égard de ses collaborateurs, est inacceptable [15]. En
date du 27 novembre 2003, alors que depuis plusieurs jours, une lettre
de Joëlle Levert dénonçant le harcèlement de Daniel Mermet à son endroit
circulait sur le net, il devenait impossible à Acrimed de ne pas parler
de l’affaire. Tirant la couverture à eux, Acrimed feint de découvrir le
pot aux roses : « la place particulière occupée dans le paysage
médiatique par l’émission "Là-bas si j’y suis" [...] ne justifie pas que
l’on passe sous silence [...] » (sic).

La réponse [16] du « Teinardier » est irrésistible tant elle est cousue
de fil blanc. Sa justification reflète tout le narcissisme et le mépris
du bonhomme. Faute de pouvoir s’appuyer sur des faits réels qui
viendraient contredire le témoignage de Joëlle Levert, ce potentat tente
de lui imputer : « une fragilité psychologique », « des problèmes
personnels », son incapacité à assumer les tâches qui lui sont confiées,
etc. Bref, le coup classique ! Le diffuseur radiophonique des justes
causes entame ensuite une logorrhée sans intérêt qui l’amène à la
conclusion suivante : « curieux cas de servitude volontaire ». Daniel
Mermet semble oublier une chose fondamentale : la servitude volontaire
n’enlève rien au fait qu’il soit, pour reprendre sa propre expression, « 
un salaud de patron ». Enfin, laisser entendre, comme il le fait, qu’à
l’émission « Là-bas si j’y suis » les relations de travail peuvent se
vivre comme « une histoire d’amour » relève, ni plus ni moins, de la
schizophrénie.

Au bout du compte, et quoi qu’en dise l’irrévérencieux Daniel Mermet, la
colère, lorsqu’elle est justifiée, comme c’est le cas ici, est une bonne
chose. Elle mène souvent à la révolte, au moins à l’insoumission et au
refus de se taire. En conséquence, nous ne pouvons que saluer la
courageuse démarche de Joëlle Levert. Face à cette intelligentsia, une
évidence s’impose : nous n’avons ni les mêmes valeurs, ni les mêmes
objectifs. Il faut bien le dire : nous n’appartenons pas tout à fait au
même monde.

Valérie Minerve Marin

[1] G. Sorel, Réflexions sur la violence, Paris, 1908, cité par
Alexandre Skirda in J.W. Makhaïski, Le socialisme des intellectuels, Les
Editions de Paris, 2001, p. 7.

[2] Claude Poliak est chercheuse au Centre de sociologie européenne
(CSE), chercheuse au CNRS, membre du conseil scientifique d’Attac,
membre de l’association Raison d’Agir.

[3] Les enjeux de luttes dans le champ sociologique et de la recherche
sont tels, que Pierre Bourdieu se conduisait en mandarin. Il justifiait
au nom de la recherche scientifique, le fait qu’un directeur d’étude
puisse imposer à son étudiant ce que bon lui semble (séminaire du mois
de novembre 2001). C’est ainsi, pour satisfaire les intérêts de Patrick
Champagne, alors que ma recherche portait sur Charlie Hebdo, que
j’aurais dû mener des entretiens sur Marianne, puis sur Politis. Un
étudiant nous rapporta le témoignage suivant : « J’avais une copine à
l’EHESS, elle travaillait sur Le Monde et était suivie par Patrick
Champagne en DEA. Elle ne m’en disait pas que du bien. Il se servait
d’elle pour récupérer ses entretiens et aussi ses observations » (mail
du vendredi 10 janvier 2003). Patrick Champagne a également récupéré mes
entretiens et observations sur Charlie Hebdo. Pour autant, je n’ai eu
droit à aucune aide. C’est le sociologue, chercheur au CNRS, Jean-Pierre
Garnier qui a suivit mon travail.

[4] Seul la vénération de chefs persistent après leur mort in Robert
Michels, Les partis politiques, Champs Flammarion, 1971. Un énième
hommage à Pierre Bourdieu est organisé par le CSE du 23 au 25 janvier 2004.

[5] Louis Janover, Les intellectuels face à l’histoire, Galilée, 1980,
p. 135-136.

[6] Au moment des grèves du printemps 2003 sur la décentralisation,
l’école et les retraites, les chercheurs du Centre de sociologie
européenne, comme l’ensemble de la communauté universitaire, sont restés
de manière symptomatique dans l’enfermement académique, témoignant
par-là de leur conception de l’intellectuel engagé et de la division du
travail militant.

[7] Propos tenus par le président d’Attac, Jacques Nikonoff, lors d’un
débat de Génération République, le samedi 11 octobre 2003.

[8] Action Critique Média dont les représentants sont : Patrick
Champagne, Serge Halimi, Henri Malher.

[9] L’Observatoire des médias doit faire office de « cinquième pouvoir
 ». Comme pour l’Acrimed, ses membres sont le plus souvent : chercheurs,
universitaires et/ou journalistes.

[10] Jean-Pierre Garnier, Louis Janover, « La Pensée aveugle. Quand les
intellectuels ont des visions », Spengler, 1993, p. 142.

[11] Le Monde diplomatique, octobre 2003.

[12] Serge Halimi, Les Nouveaux chiens de garde, Raison d’Agir, 1997.

[13] Non content d’être né bourgeois, il a cumulé comme la majorité des
journalistes du Monde diplomatique, deux salaires pendant plusieurs
années : Universitaire à Paris VIII puis à l’Institut d’études
européennes tout en exerçant sa fonction de journaliste au Monde
diplomatique.

[14] Olivier Cyran du CQFD, ancien de Charlie Hebdo passé par PLPL a
travaillé quelques temps pour Mermet. Il raconte, comme tant d’autres,
l’exploitation par son ancien boss. La rédaction du CQFD dénonce les « 
invités à répétition qui savent ce qui se passe et n’ont jamais moufté
 ». Un petit tour sur le site de l’émission Là-bas si j’y suis, nous
apprend que parmi les « invités à répétition », le journaliste et
critique des médias Serge Halimi n’est pas mal loti. CQFD n° 7, décembre
2003, on peut lire aussi le témoignage de Joëlle Levert sur leur site :
http://www.cequilfautdetruire.org

[15] Rappelons qu’en début de chaque mois, l’émission est consacrée à la
présentation du Monde diplomatique. Sans aucun scrupule, étaient
présents à la dernière émission en date du 4 décembre 2003 : Dominique
Vidal, Serge Halimi, Ignacio Ramonet. On retrouve régulièrement à cette
émission, le réseau de connivence composé : d’Acrimed, du Monde
diplomatique, PLPL, Agone, Pierre Carles, Raison d’Agir, etc.

[16] Réponse de Daniel Mermet : http://acrimed.samizdat.net