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Violation de la liberté d’expression : France condamnée aujourd’hui à Strasbourg

Publie le jeudi 22 novembre 2007 par Open-Publishing
7 commentaires

COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME

Communiqué du Greffier numéro 819 du 22 novembre 2007

ARRÊT DE CHAMBRE

DESJARDIN c. FRANCE

La Cour européenne des droits de l’homme a communiqué aujourd’hui par écrit son arrêt de chambre1 dans l’affaire Desjardin c. France (requête no 22567/03).

La Cour conclut, à l’unanimité, à la violation de l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention européenne des droits de l’homme du fait de la condamnation du requérant pour avoir distribué, dans le cadre d’une campagne électorale, un tract dont le contenu fut jugé diffamant par les juridictions françaises.

En application de l’article 41 (satisfaction équitable) de la Convention, la Cour conclut à l’unanimité que le constat de violation suffit à réparer le préjudice moral subi par l’intéressé, et alloue à ce dernier 150 Euros (EUR) au titre du préjudice matériel et 800 EUR au titre des frais et dépens. (L’arrêt n’existe qu’en français.)

1. Principaux faits

Le requérant, Alain Desjardin, est un ressortissant français né en 1935 et résidant à Castelnau-le-Lez (France).

Agriculteur et membre du parti politique Les Verts, il était candidat de ce parti aux élections cantonales de mars 2001, dans le canton de C. in France. Au cours de cette campagne, il participa, du 27 février au 1er mars 2001, à la distribution de tracts dans lesquels il déclarait notamment : « écologiste de terrain, avec des femmes et des hommes épris de justice, de respect de la nature, j’ai permis de rendre publiques des atteintes graves à l’environnement et des risques à la santé des hommes ». Et de citer en exemple son « soutien aux habitants du [C.], qui ont obtenu la démission de l’ancien maire qui polluait l’eau de la commune ».

En mai 2001, A., un ancien maire de la commune de C., engagea une procédure en diffamation à l’encontre du requérant, estimant être visé par le tract. M. Desjardin souleva une exception de nullité de la citation, au motif que les faits évoqués concernaient des actes accomplis par l’ancien maire dans l’exercice de ses anciennes fonctions. Par un jugement du 10 octobre 2001, les juridictions rejetèrent cette exception et condamnèrent l’intéressé notamment au paiement d’une amende de 1 000 francs français (FRF), soit environ 150 EUR. Elles ordonnèrent également la publication de la condamnation dans deux quotidiens locaux, le Midi Libre et la Dépêche du Midi.

En février 2002, ce jugement fut confirmé en appel dans ses dispositions pénales et le requérant fut par ailleurs condamné au versement à la partie civile d’une somme de 150 EUR à titre de dommages-intérêts ainsi qu’au paiement d’une somme de 400 EUR au titre des frais avancés en cause d’appel. Il dut également s’affranchir d’un droit fixe de procédure de 120 EUR. La publication de l’arrêt dans la presse ne fut pas jugée nécessaire. L’intéressé se pourvut en cassation contre cet arrêt, toutefois son pourvoi fut rejeté.

2. Procédure et composition de la Cour

La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 11 juillet 2003.

L’arrêt a été rendu par une chambre de sept juges composée de :
Boštjan M. Zupančič (Slovène), président,
Corneliu Bîrsan (Roumain),
Jean-Paul Costa (Français),
Elisabet Fura-Sandström (Suédoise),
Alvina Gyulumyan (Arménienne),
Egbert Myjer (Néerlandais),
Isabelle Berro-Lefèvre (Monégasque), juges,

ainsi que de Santiago Quesada, greffier de section.
3. Résumé de l’arrêt2

Grief

Invoquant l’article 10, M. Desjardin se plaignait de sa condamnation pour diffamation.

Décision de la Cour

Article 10

La Cour estime que l’ingérence dans la liberté d’expression du requérant était « prévue par la loi » et qu’elle poursuivait le « but légitime » consistant à protéger la réputation de l’ancien maire. Reste à déterminer si cette ingérence était « nécessaire dans une société démocratique ».

Elle rappelle l’importance du droit de communiquer des informations sur des questions d’intérêt public et souligne que les limites de la critique admissible sont plus larges s’agissant d’un homme politique. De fait, la liberté d’expression est particulièrement précieuse pour les partis politiques et leurs membres. Tout candidat à une élection doit ainsi pouvoir discuter des actions menées par d’anciens responsables. A cet égard, la Cour note que lorsqu’il a distribué le tract litigieux, le requérant était candidat à l’élection cantonale et menait sa campagne électorale.

En outre, dans le contexte d’une compétition électorale, la vivacité des propos est plus tolérable qu’en d’autres circonstances. La Cour rappelle que si tout individu s’engageant dans un débat public d’intérêt général est tenu de ne pas dépasser certaines limites quant au respect de la réputation et des droits d’autrui, il lui est également permis de recourir à une certaine dose d’exagération, voire de provocation. Elle estime que, bien que les termes utilisés par M. Desjardin aient pu conduire à une interprétation inappropriée, ils restent néanmoins dans les limites de l’exagération ou de la provocation admissibles.
La Cour ajoute que le support utilisé, un tract, ne se prêtait manifestement pas à développer l’argumentation détaillée du requérant sur la politique de l’ancienne équipe municipale quant au contrôle de la qualité des eaux de la commune. En outre, ce tract était distribué par des militants et le candidat lui-même, l’objectif étant précisément de rendre public l’engagement politique de ce dernier.

Enfin, la Cour estime que le caractère modéré de la condamnation de l’intéressé ne saurait suffire, en soi, à justifier l’ingérence dans son droit à la liberté d’expression. Elle conclut que la condamnation de M. Desjardin s’analyse en une ingérence disproportionnée, qui n’était pas « nécessaire dans une société démocratique ».

***
Les arrêts de la Cour sont disponibles sur son site Internet
(http://www.echr.coe.int).

Contacts pour la presse

Emma Hellyer (téléphone : 00 33 (0)3 90 21 42 15)
Stéphanie Klein (téléphone : 00 33 (0)3 88 41 21 54)
Tracey Turner-Tretz (téléphone : 00 33 (0)3 88 41 35 30)
Paramy Chanthalangsy (téléphone : 00 33 (0)3 90 21 54 91)

La Cour européenne des Droits de l’Homme a été créée à Strasbourg par les Etats membres du Conseil de l’Europe en 1959 pour connaître des allégations de violation de la Convention européenne des Droits de l’Homme de 1950.

Notes :

1 L’article 43 de la Convention européenne des Droits de l’Homme prévoit que, dans un délai de trois mois à compter de la date de l’arrêt d’une chambre, toute partie à l’affaire peut, dans des cas exceptionnels, demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre (17 membres) de la Cour. En pareille hypothèse, un collège de cinq juges examine si l’affaire soulève une question grave relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou de ses protocoles ou encore une question grave de caractère général. Si tel est le cas, la Grande Chambre statue par un arrêt définitif. Si tel n’est pas le cas, le collège rejette la demande et l’arrêt devient définitif. Autrement, les arrêts de chambre deviennent définitifs à l’expiration dudit délai de trois mois ou si les parties déclarent qu’elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre.

2 Rédigé par le greffe, ce résumé ne lie pas la Cour.

Messages

  • D’abord, la résumé de la Cour écrit quand-même :

    "La Cour estime que l’ingérence dans la liberté d’expression du requérant était « prévue par la loi » et qu’elle poursuivait le « but légitime » consistant à protéger la réputation de l’ancien maire."

    et ensuite :

    "... dans le contexte d’une compétition électorale, la vivacité des propos est plus tolérable qu’en d’autres circonstances."

    "... bien que les termes utilisés par M. Desjardin aient pu conduire à une interprétation inappropriée..."

    Le tout pour une phrase éviquant un « soutien aux habitants du [C.], qui ont obtenu la démission de l’ancien maire qui polluait l’eau de la commune ».

    Et si le tract n’avait pas été diffusé en période électorale ?

    • Pourquoi les enjeux de la "compétition électorale" seraient-ils plus importants que beaucoup d’autres enjeux ? L’arrêt invoque aussi le format tract, mais ce n’est pas le pire des supports. Quelle conséquence tirer d’un tel arrêt ? Ce n’est pas évident.

  • L’arrêt complet est déjà en ligne et fournit plus de détails.

    Membre d’un parti politique (les Verts), qui a été au gouvernement et siège au parlement européen, Alain Desjardin était candidat de ce parti aux élections cantonales des 11 et 18 mars 2001, dans le canton de Cornus, dans l’Aveyron.

    Desjardin est lui-même un militant connu, comme on peut le constater par une simple recherche. Il était défendu par "Me F. Roux, avocat à Montpellier" qui, sauf méprise, ne peut être autre que François Roux, de la SCP Roux, Lang, Canizares, Le Fraper du Hellen et Bras, un cabinet d’avocats important et expérimenté :

    http://www.scp-roux.com/

    François Roux se présente lui-même comme :

    "Ancien Président de l’Institut des Droits de l’Homme du Barreau de Montpellier, Vice Président chargé des Relations Internationales, Ancien Membre du Conseil de l’Ordre, Chevalier de la Légion d’Honneur, Chevalier de l’Ordre National du Mérite".

    Il se déclare également :

    "Avocat Conseil de la Société Minière du Sud Pacifique en Nouvelle Calédonie pour les négociations avec l’Etat Français et avec la Société Canadienne Falconbridge, pour la construction d’une usine de nickel dans le nord de la Nouvelle Calédonie.

    Avocat devant le Tribunal Pénal International Pour le Rwanda (dont le siège est à Arusha Tanzanie) : affaire Ignace BAGILISHEMA (jugement d’acquittement rendu le 7 juin 2001) affaire Vincent RUTAGANIRA (plaidoyer de culpabilité, jugement du 14 janvier 2005).

    Avocat de nombreuses causes paysannes (paysans du Larzac, José BOVE, Confédération paysanne, récupération de terres incultes, litiges contre la SAFER etc…)

    Plusieurs procédures engagées avec succès (affaire PIERMONT) ou en cours devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme et le Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies à GENEVE (affaire Frédéric Foin, Marc Venier et Paul Nicolas, Richard MAILLE objecteurs de conscience).

    Consultant International pour le Haut Commissariat aux Droits de l’Homme des Nations unies, pour le programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), pour la cour pénale internationale."

    (fin de citation)

    On est très loin de la situation du "citoyen lambda" qui saisit la Cour Européenne des Droits de l’Homme sans disposer de l’aide d’un cabinet d’avocats de ce calibre. La véritable question est celle de la grande majorité des recours que la CEDH reçoit tous les ans (autour de 60.000), et qui sont éliminés sans audience publique (trois-mille environ ont été jugés en audience publique en 2006).

    Voir aussi ces deux articles récents :

    http://bellaciao.org/fr/?page=artic...

    http://bellaciao.org/fr/?page=artic...

    • Lorsqu’on lit l’arrêt en détail, il s’avère que sa portée pratique est très limitée. Il y avait même eu l’aministie de 2002. Et, sur le principe, ses conséquences en dehors des campagnes électorales ne sont pas évidentes.

      En revanche, les ouistes ne manqueront pas de s’en servir pour aider Sarkozy à faire passer le Traité européen.

    • Bonjour.

      1. Je capte le message précédent sur le Traité européen : rien à voir, le camarade confond visiblement l’Union Européenne et le Conseil de l’Europe.

      2.Je sais que ce n’est pas forcément simple de monter un dossier en Cour Européenne des Droits de l’Homme.

      Ceci dit, une fois épuisés tous les recours en droit français (en général, après avoir perdu devant la Cour de Cassation ou le Conseil d’Etat), le travail est déjà bien déblayé, l’étape du dépôt de la requête est ensuite bien balisée, ça devient relativement simple.

      Je n’écris pas cela par hasard, j’ai moi-même gagné une procédure en Cour Européenne et j’ai aidé un camarade à en faire autant. Je suis prêt à aider, et il y a aussi des avocats, d’autres juristes et des "amateurs doués" qui peuvent donner un sérieux coup de main.

      L’article de Wikipedia http://fr.wikipedia.org/wiki/Cour_e... donne deux références particulièrement intéressantes :

      * Code de la Convention européenne des droits de l’homme : Textes - Commentaires - Jurisprudence - Conseils pratiques - Bibliographie, de Jean-Loup Charrier, Éditions Litec (Juris Classeur). Indique comment présenter une requête.

      * Les Tribunaux français face à la justice européenne, Chantal Méral, Éditions Filippacchi, mai 1997 ; rédigé par une avocate spécialisée, cet ouvrage est très accessible car écrit en langage courant.

      Ce dernier m’a beaucoup aidé, il doit être trouvable d’occasion.

      D’autre part, la jurisprudence dégagée des arrêts de la Cour Européenne peut servir devant les tribunaux français : ainsi, un camarade C.G.T. des Côtes-d’Armor a pu utiliser illico un arrêt du 9 janvier 2007 http://fr.wikisource.org/wiki/CESDH... devant les prud’hommes.

      Il ne faut pas refuser d’utiliser les règles du droit bourgeois contre le système, meis il ne faut pas se faire d’illusions non plus : le combat sur le terrain juridique ne remplace pas la lutte.

      Claude Le Duigou

    • Non, je ne pense pas qu’il y ait confusion. Seulement, le Conseil de l’Europe est la véritable machine économique de la politique de l’Union Européenne. Et la dernière est la façade "good looking" du premier. Avec les "agrandissements" de l’Union Européenne, les deux entités deviennent de plus en plus similaires. Reste à régler la question de la Russie, et il n’y aura plus de différence.

      L’Union Européenne est elle-même soumise à la Convention dite "des Droits de l’Homme" qui relève du Conseil de l’Europe. La Traité européen, même signé au départ au niveau de l’Union Européenne, sera en réalité un ingrédient d’une politique impérialiste plus globale. La "grande Europe", sur le plan stratégique, c’est le Conseil de l’Europe.

    • "Ceci dit, une fois épuisés tous les recours en droit français (en général, après avoir perdu devant la Cour de Cassation ou le Conseil d’Etat), le travail est déjà bien déblayé, l’étape du dépôt de la requête est ensuite bien balisée, ça devient relativement simple."

      Pas pour le "petit citoyen" qui n’a pas l’habitude des procédures. La grande majorité des justiciables ne disposent du soutien d’aucune organisation, ni n’ont une expérience leur permettant de "monter un dossier". Tout le monde n’est pas un militant connu des Verts, par exemple, ni ne dispose d’une aide juridique conséquente. C’est en général tout le contraire. Il y a aussi l’image et la réputation, voire même les relations, de l’avocat.

      Mais, de surcroît, beaucoup de dossiers bien montés sont rejetés par un comité de trois juges par une lettre type sans même en donner les raisons. Comment savoir que le droit réel, effectivement appliqué, est le même pour tous ? La lettre type ne contient même pas un petit descriptif de l’affaire. Voici à quoi elle ressemble :

      http://www.geocities.com/justiciable_fr

      « COUR EUROPEENE DES DROITS DE L’HOMME
      Conseil de l’Europe
      Strasbourg

      Monsieur (ou Madame, etc.)….

      (…) Section

      (référence)

      Requête n°…. (requérant) contre (Etat)

      (date)

      Monsieur (ou Madame, etc.)….

      Je porte à votre à votre connaissance que la Cour européenne des Droits de l’Homme, siégeant le… en un comité de trois juges (noms des juges) en application de l’article 27 de la Convention, a décidé en vertu de l’article 28 de la Convention de déclarer irrecevable la requête précitée, les conditions posées par les articles 34 ou 35 de la Convention n’ayant pas été remplies.

      Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle était compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles.

      Cette décision est définitive et ne peut faire l’objet d’aucun recours devant la Cour, y compris la Grande Chambre, ou un autre organe. Vous comprendrez donc que le greffe ne sera pas en mesure de vous fournir d’autres précisions sur les délibérations du comité ni de répondre aux lettres que vous lui adresseriez à propos de la décision rendue dans la présente affaire. Vous ne recevrez pas d’autres documents de la Cour ayant trait à celle-ci et, conformément aux directives de la Cour, votre dossier sera détruit dans le délai d’un an à compter de la date d’envoi de la présente lettre.

      La présente communication vous est faite en application de l’article 53 § 2 du réglement de la Cour. »