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Vol du oui à l’URSS et vol du NON à l’Europe.

Publie le vendredi 18 juin 2010 par Open-Publishing
5 commentaires

" FRANC ET MASSIF

Les « oui » l’emportent avec des scores de 70 à 95% selon les républiques. Il s’agit d’un échec pour ceux qui ont incité les soviétiques à sanctionner la direction de la fédération. Boris Esltine se voit contraint de modifier la loi électorale pour faire entériner son projet d’élection du président de la Russie

De l’un de nos correspondants permanents en URSS.

Un « oui » franc et massif à l’union rénovée de républiques socialistes soviétiques souveraines. Avec des inégalités. Telle est la réponse donnée par les neuf républiques où le référendum a pu se dérouler dans des conditions normales. On aura beau chipoter, tenter d’amoindrir le résultat en s’appuyant sur Moscou, Léningrad, Sverdlovsk ou Kiev, le fait est là, indiscutable. Si le nombre encore limité de résultats connus commandait lundi la prudence dans les commentaires, cette fois l’hésitation n’est plus de saison. Demandé par Mikhaïl Gorbatchev, le « oui » s’impose largement dans les neuf républiques : Azerbaïdjan, Biélorussie, Kazakhstan, Kirghizie, Ouzbekistan, Russie, Tadjikistan, Turkmenistan et Ukraine. Sous bénéfice d’inventaire définitif en Russie, les suffrages positifs oscillent entre 70% en Ukraine et 95% au Tadjikistan.

D’ordinaire, lorsqu’ils arrêtent la date d’un référendum, les hommes politiques prennent le moment le plus propice à leurs voeux. Ici, tout se passe comme si l’on avait choisi la difficulté. Qu’on se représente l’état d’esprit de populations contraintes depuis des mois, alors que l’hiver se défait lentement, à d’interminables attentes pour de maigres achats. Les pénuries se multiplient ou jouent à saute-mouton. Aujourd’hui les allumettes manquent. Demain le sel. Après-demain le savon. Quant à l’alimentation... Avant même les augmentations officielles des prix, annoncées pour le 2 avril prochain, les étiquettes valsent ouvertement ou sous le comptoir. Ne parlons pas des conflits inter-ethniques latents.

Dans ce climat où la morosité est aux frontières de l’exaspération, la tentation était grande de « punir » le pouvoir en votant contre lui. Boris Eltsine et toute la droite regroupée autour du bloc « Russie démocratique » ont tenté de jouer cette carte en identifiant le « oui » au référendum à une approbation de la politique de Gorbatchev. Pour le président du Soviet suprême de Russie, l’échec est cinglant.

Dans les plus grandes confusions subsistent des idées simples, inaltérables. L’intégrité du pays, fut-il multinational comme l’URSS, est de celles-là. Cette notion avait même traversé le cuir épais de Boris Eltsine. Le président du Parlement de Russie rêvait certes de faire du référendum une condamnation du pouvoir central. En démagogue roué, il avait pris la précaution de ne pas appeler ouvertement au « non » à l’union rénovée. Mais il avait dressé une telle barricade d’arguties anti-fédératives qu’une conclusion négative allait de soi. Ces astuces subalternes ne peuvent masquer la réalité : le « non » pour lequel Boris Eltsine militait par des procédés obliques a été balayé dans neuf républiques. Dans les six républiques où le vote était interdit ou boycotté par les autorités, plusieurs millions de personnes ont voté tout de même, la quasi-totalité pour l’Union.

En Russie même, Moscou, Léningrad où la pression politique de la droite est la plus forte, où la mal-vie est des plus vivement ressentie, le « oui » l’emporte néanmoins. De peu, mais l’emporte. Le cas de Sverdlovsk, gros centre industriel de l’Oural, est encore moins surprenant. C’est la terre natale de Boris Eltsine et davantage encore une région où les problèmes d’approvisionnement en matières premières comme en produits alimentaires sont des plus angoissants.

Le leader de « Russie démocratique » entend trouver une compensation dans l’instauration du poste de président et la fédération de Russie élu au suffrage universel. Il escompte chausser ces bottes-là pour poursuivre sa « guerre des lois » contre le pouvoir central, guerre qui a déjà fait des dégâts dans le pays. Et à partir de là, s’emparer de tout le pouvoir. Mais il lui faudra désormais tenir compte du mandat confié à Mikhaïl Gorbatchev par le référendum de dimanche : réaliser la nouvelle union.

Boris Eltsine n’est d’ailleurs pas au bout de ses peines. Aiguillonné par un PCUS qui, petit à petit, reprend ses esprits et sa combativité, il a dû accepter la convocation, le 28 mars, d’une session extraordinaire du Soviet suprême de Russie. Son bilan et surtout ses prises de position anticonstitutionnelles, l’exigence de la démission immédiate de Mikhaïl Gorbatchev formulée à la télévision, ses incitations à la violence et à la confrontation - « Le temps est venu de retrousser les manches et de lever les poings » - lors de son discours du 9 mars dernier, seront sur la sellette.

L’homme s’est montré capable de tous les retournements, mensonges et manipulations. S’adressant par la radio aux électeurs, vendredi dernier, Boris Eltsine demandait aux Russes de « tenir compte d’une autre circonstance importante. La loi sur le référendum en Russie considère que la décision est adoptée si elle a reçu les voix, non pas de la moitié des citoyens ayant pris part au vote (comme dans le référendum de l’Union) mais de la moitié des voix des électeurs inscrits ».

Lundi, le vote passé, le Présidium du Soviet suprême de Russie s’empressait de rectifier le tir. La chose est coutumière après les interventions publiques de Boris Eltsine. On apprenait ainsi qu’en application d’une loi sur le référendum en Russie, l’emporte la réponse ayant obtenu la moitié des voix exprimées. Boris Eltsine a tout de même préféré laisser à son premier adjoint le soin de signer cette résolution. Ce tour de passe-passe laisse augurer ce qu’il pourrait advenir de la démocratie entre les mains de ce « démocrate » d’un genre particulier.

La publication de l’ensemble des résultats sera indispensable pour une analyse plus précise du vote de dimanche. Mais, d’ores et déjà, on peut dire que pour Mikhaïl Gorbatchev, pour le PCUS, la signification et la portée de ce référendum sont précieuses. La voie est ouverte, par la volonté populaire démocratiquement exprimée, pour avancer dans la mise en oeuvre de la nouvelle Union des républiques socialistes soviétiques, souveraines et égales en droit.

Serge Leyrac."

Messages

  • "Boris Eltsine est arrivé au pouvoir grâce à un coup d’État soutenu par une minorité des citoyens ! Il faut appeler un chat un chat : les accords de Biélovej qui ont mis fin à l’URSS, en décembre 1991, ont été un coup d’État, tout simplement parce que les trois dirigeants républicains qui les ont signés (Eltsine au nom de la Russie, Kravtchouk au nom de l’Ukraine et Chouchkevitch pour la Biélorussie) n’avaient aucun mandat pour dissoudre l’Union (2). Qui plus est, en mars de la même année, soit seulement neuf mois avant les accords de Biélovej, les citoyens soviétiques s’étaient majoritairement prononcés par référendum en faveur du maintien d’une Union soviétique réformée...

    G. A. - Vous parlez de coup d’État. Pourtant, Eltsine avait été démocratiquement élu à son poste de président de la République fédérative socialiste de Russie, à une époque où celle-ci faisait encore partie de l’URSS...

    D. F. - Bien sûr, mais cette élection-là était comparable à celle de n’importe quel président d’un Conseil régional en France ! Imaginez que le président d’un Conseil régional proclame, sans aucune consultation populaire, l’indépendance de sa région et en devienne le dirigeant suprême : eh bien, c’est ce qui s’est produit en Russie. Pour la population russe comme pour celles de la plupart des ex-républiques soviétiques, les accords de Biélovej ont résonné comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu : les citoyens n’étaient nullement préparés à l’éclatement de l’URSS. De plus - je le répète -, ils y étaient majoritairement hostiles, comme ils venaient de le montrer lors du référendum de mars 1991. C’est pourquoi, après son coup d’État, Eltsine n’a pas eu le choix : il s’est trouvé obligé de se cramponner au pouvoir - ne serait-ce que parce que son départ aurait certainement donné lieu à des poursuites judiciaires ou à des règlements de comptes personnels. Dans le même temps, il souhaitait offrir à l’Occident et au monde entier une image positive de la nouvelle Russie. Pour y parvenir sans risquer de perdre le pouvoir, il ne lui restait qu’une seule chose à faire : imiter les processus démocratiques. Et c’est précisément ce qu’il a fait. Il a établi un semblant de démocratie... sans pour autant remettre en question sa propre présence au sommet de l’État.

    G. A. - Son régime a donc été fondé sur une contradiction : le système était apparemment démocratique mais son chef ne pouvait être remplacé...

    D. F. - Exactement. Ce paradoxe a été le paradigme du nouveau pouvoir russe dès le premier jour. La suite est parfaitement logique : les événements se sont enchaînés naturellement, tout à fait dans l’esprit de la formule consacrée du prix Nobel Douglas North sur la dépendance que vous impose le chemin choisi. Au fur et à mesure que l’on progresse sur un chemin, la possibilité d’en dévier est de plus en plus ténue. Or le chemin de Boris Eltsine le conduit rapidement à la fusillade de la Maison Blanche en 1993 : confronté à une opposition résolue du Soviet suprême, il n’avait pas d’autre issue pour demeurer au pouvoir (3). Dès lors, sa démission ou son départ suite à une non-réélection étaient devenus encore plus impensables : s’il avait quitté le Kremlin, il serait allé directement en prison pour avoir ordonné un massacre. En 1996, pour être reconduit dans ses fonctions (grâce à sa seule élection " légitime " !), il est obligé - étant donné son impopularité extrême - de chercher des appuis auprès des oligarques, ces nouveaux riches qui possèdent les médias les plus influents du pays. Il doit donc les " acheter ". Mais l’État n’en a ni la possibilité légale ni les moyens. Eltsine brade alors les richesses nationales au profit des oligarques en commettant des irrégularités monstrueuses, ce qui l’oblige désormais à aller jusqu’au bout de son second mandat, malgré sa santé défaillante. Et lorsque la fin de ce second mandat (1996-2000) approche, surgit un nouveau problème : le président doit se trouver un successeur qui lui garantira l’immunité..."

    Dimitri Fourman. Journaliste au Courrier International.

  • .... Et cela n’ est qu’ un des nombreux coups d’ états du "démocrate " Eltsine !!!

    Rappelons-en 2 , entre autres :

     celui où il a illégalement dissous une Douma qui le critiquait

    Suivie d’ une élection dont les résultats étaient si hostiles que, ni une ni deux,

     il a envoyé les chars flinguer la nouvelle assemblée !!!

    Bilan officiel : 150 victimes ( excusez du peu : on parle de d’ élus du peuple !! )

    De l’ Âne de Démocrite,

    - R -

  • si c’est un coup d’état comment ce fait-il qu’aucunes forces armées ne c’est soulevé contre dans une ou plusieurs républiques.il faut se rendre à l’évidence le socialisme dans sa forme soviétique à échoué.a nous de créer une autre forme de socialisme.c’est possible et souhaitable pour l’avenir de nos enfants.

    • Pourtant, le 4 décembre 1991, après avoir fait fuir à l’étranger près de 100 milliards de dollars depuis 1985, l’Union soviétique se déclare en suspension de paiement. Depuis, la fuite des capitaux continue.

      Le 8 décembre 1991, un véritable "coup d’Etat" a mis fin à l’Union soviétique - mais il est rarement présenté comme tel. M. Gorbatchev, lui, a tiré sa révérence le 25 décembre 1991, en laissant le Kremlin aux mains du "héros démocrate" : Boris Eltsine. Après l’avoir longtemps soutenu, les Occidentaux s’en lassent à la fin des années 1990. Ils accueillent alors parfois avec un certain contentement son dauphin désigné, présenté comme un homme d’ordre : Vladimir Poutine.

    • La masse ouvrière, trompée par les promesses d’« autogestion » ou de propriété de groupe, sera de fait exclue de cette grande redistribution des biens sociaux. La classe moyenne soviétique (enseignants, ingénieurs, médecins, chercheurs), mal rémunérée mais symboliquement avantagée par une idéologie socialiste privilégiant les valeurs non marchandes de la culture, sera des plus ruinées par le marché. C’est parmi les nouveaux commerçants, les intellectuels médiatiques et la nomenclature moderniste que le libéralisme trouvera sa base sociale..
      Les réformes de 1986-1988 libèrent l’initiative privée dans les entreprises et les coopératives. Elles offrent aux « circuits de l’ombre » des occasions de blanchiment et de nouveaux apports, « évadés » vers des paradis off shore grâce au démantèlement du monopole d’État du commerce extérieur. L’espace soviétique devient la proie du pillage des matières premières et de la désagrégation territoriale. Outre les nationalismes périphériques, les tendances séparatistes sont encouragées par l’équipe de M. Eltsine, adepte de la dissolution de l’URSS. C’est en effet la condition pour accomplir au profit des élites russes la rupture irréversible : libération des prix, privatisations massives et... captation de la rente pétrolière. Ainsi, les blocages de 1985 sont levés : inégalités stimulantes , course à l’argent et lutte pour la survie, élimination des « gens en trop » grâce à la forte mortalité dans les accidents du travail et autres, émergence d’une jeune génération « qui en veut »...
      La « crise du travail » est traitée dans un nouveau rapport de forces, où la masse ouvrière est socialement déclassée et contrainte à la « flexibilité ». En 2005, une publicité pour le Business Journal de Moscou résume la nouvelle doctrine du travail par une formule d’Henri père : « Il y a deux moyens de faire travailler les gens, le goût du salaire et la peur de le perdre (17). »

      Le facteur-clé du basculement, c’est la métamorphose de la nomenklatura qui, avec les nouveaux milieux d’affaires aidés par les pouvoirs, formera la nouvelle classe possédante. Y avait-il une alternative à l’effondrement du système et à la dissolution de l’URSS ? Historien de la paysannerie, maître d’oeuvre des recherches sur la collectivisation stalinienne des années 1930, Viktor Danilov conteste la thèse de la fatalité : « Il n’y avait pas de faillite de l’économie ni de la société, pas de « krach » de l’URSS, au moins jusqu’à l’automne 1988. Ce sont des groupes d’intérêts égocentriques qui ont induit le chaos. » Selon des critiques qu’on qualifierait de keynésiens, M. Gorbatchev aurait raté l’occasion d’une transition graduelle, contrôlée par l’Etat, que lui proposaient jusqu’en 1988 des économistes tels que MM. Abel Aganbegian, Léonid Abalkine, Nikolaï Petrakov. C’eût été une longue période, de dix à quinze ans. Les mécanismes de marché auraient été introduits tout en sauvegardant l’État et les garanties sociales soviétiques. « La perestroïka avait encore un grand prestige, l’humeur des gens était optimiste, l’URSS existait. Les forces démocratiques avaient l’avantage. De plus, M. Gorbatchev avait la possibilité d’élargir sa base sociale en créant un nouveau parti communiste réformateur (18). »
      La « thérapie de choc » de M. Égor Gaïdar et de ses conseillers Anders Aslund et Jeffrey Sachs en décida autrement. Une histoire de la perestroïka devrait éclairer l’enchaînement de réformes et de décisions politiques qui ont précipité l’« issue ». Sans oublier les pressions internationales. La dette extérieure est passée, entre 1985 et 1989, de 28,9 à 54 milliards de dollars. En 1990-1991, le G7 et le FMI ont indiqué la voie à suivre, notamment celle des privatisations, dont la légitimité est aujourd’hui largement contestée. Le président Eltsine accepta les prêts conditionnels, donc la mise sous tutelle du gouvernement russe. Alors commença pour de bon « transition vers la démocratie et le marché ».

      La redistribution des richesses et du pouvoir, dynamique inégalitaire et conflictuelle, combinée la désagrégation de l’Union et à l’ouverture d espaces soviétiques aux appétits extérieurs ont généré les crises de type nouveau qu’on voit se radicaliser vingt ans après 1985. Les « révolutions » Ukraine, en Transcaucasie et en Asie centrale apparaissent comme le « deuxième écho » de la perestroïka : il s’agit à la fois des prolongements de désagrégation et du produit des situations nouvelles dont les tensions sont habilement exploitées par 1es « propagateurs de démocratie » occidentaux.