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WASHINGTON-DAMAS : tensions entretenues

Publie le dimanche 5 septembre 2004 par Open-Publishing
3 commentaires

de Ahmed Cheniki

Les choses ne semblent pas s’arranger entre les Syriens et les Américains qui
utilisent tous les moyens de pression pour fragiliser un pays qui reste encore
à l’avant-garde de la lutte contre Israël.

Ainsi, depuis quelques années, la Syrie est considérée par la Maison-Blanche
comme un pays à abattre, d’autant plus qu’il hébergerait et soutiendrait ce que
les Américains appellent « forces terroristes », c’est-à-dire les organisations de
résistance palestiniennes et le Hizbollah libanais. La dernière résolution
américano-française appelant les Syriens à se retirer du Liban et à éviter tout
amendement de la Constitution libanaise permettant au président actuel, Emile
Lahoud, de prolonger de trois années son mandat, n’est finalement qu’un
prétexte pour s’attaquer à Damas et à affaiblir les liens qu’entretient ce pays
avec Beyrouth.

La position étrange reste celle du gouvernement français qui, ainsi, s’arrime
sérieusement au navire de la Maison-Blanche, comme pour essayer de se
rapprocher de Washington et de régler, une fois pour toutes, le différend né de
l’affaire irakienne, ce qui lui permettrait peut-être, contrairement à l’épisode
de la « reconstruction du Koweït » où malgré sa participation à la « guerre » fut
exclue du partage, de pouvoir profiter de quelque partie du butin irakien. Ce
qui est très probable, c’est que la France risquerait de perdre le capital de
sympathie qu’elle avait engrangé dans le monde arabe dans le sillage de sa
position dans l’imbroglio irakien et se retrouverait dans une situation trop
peu enviable.

Les gouvernements syrien et libanais ne semblent pas prêts à accepter cette
résolution, trop unilatérale, d’un Conseil de sécurité qui ignore complètement
de véritables faits d’occupation (Irak, Palestine) marquant un monde arabe trop
facilement attaqué par les grandes puissances, promptes à condamner les pays
arabes. C’est ce qui s’est passé dernièrement pour le Soudan, par exemple, dans
le cadre de l’affaire de Darfour.

Certes, les pays arabes ne se caractérisent nullement par la présence de
pratiques démocratiques, mais les choses commencent à bouger à l’intérieur de
ces sociétés. Déjà, en Syrie qui connaît depuis des décennies de véritables
atteintes aux libertés élémentaires, des intellectuels commencent à s’opposer
au pouvoir en place et à exiger de leurs gouvernants de profondes réformes
démocratiques, tout en évitant de jouer le jeu de Tel-Aviv et de Washington.
D’ailleurs, l’affaire de la prolongation du mandat de Emile Lahoud qui a
suscité polémiques et débats dans les milieux politiques et intellectuels
libanais, n’a pas manqué de mettre en évidence la présence syrienne au Liban
justifiée par les uns et rejetée par les autres. Mais au delà de la présence
des forces syriennes, c’est la réalité quelque peu fragile de l’appareil
étatique libanais trop marqué par l’occupation israélienne, les luttes
fratricides des années soixante-dix et l’organisation politique fondée sur des
considérations confessionnelles qui rendent plus complexes et parfois quelque
peu violentes les différentes manifestations politiques.

La dernière résolution du Conseil de sécurité reste marquée par le conflit
israélo-arabe et la politique excessivement anti-syrienne de l’administration
Bush qui n’a jamais dissimulé son désir de mettre au pas ce pays qui refuse de
suivre ses plans dans l’embrouillamini irakien ni sa volonté de pousser Damas à
détruire les organisations palestiniennes.

Tout le monde sait que dans cette guerre que mène Washington contre la Syrie,
l’ombre d’Israël n’est pas absente. D’ailleurs, les architectes du discours
idéologique de l’administration actuelle (Wolfowitz, Perle...) vouent une
terrible haine à l’endroit du gouvernement d’El Assad et des différents
mouvements palestiniens. Ce n’est pas sans raison qu’Israël menace d’attaquer
militairement Damas le jour même de l’adoption de cette résolution.

Ainsi, des personnalités comme Walid Joumblatt qui refusent de donner carte
blanche à Lahoud et à Damas en amendant la Constitution, ne veulent pas
internationaliser la question qui devrait, selon eux, être réglée par la classe
politique libanaise. L’intrusion de Washington et de Paris dans le débat
politique libanais ne peut, dans le contexte arabe actuel, qu’être fortement
suspecte. Le débat sur l’amendement de la Constitution partage la classe
politique libanaise qui, dans sa majorité, même si certains s’opposent au
changement constitutionnel, ne partage néanmoins pas la résolution du Conseil
de sécurité. Un pays comme la France dont la responsabilité dans les différents
dérèglements de la région est immense ne pourrait que perdre au change, d’autant
plus qu’il a été à l’origine de la partition de la « grande Syrie » en 1946.
Aujourd’hui, Damas n’arrête pas de fustiger une résolution qui chercherait à
l’expulser du Liban et trouve étrange la position française. Comme d’ailleurs
de nombreux membres du gouvernement libanais qui citent les accords de Taëf et
le fait que le gouvernement libanais qui aurait souhaité la présence de forces
syriennes. Mais la question qui caractérise les débats demeure celle portant
sur l’amendement de la Constitution, d’ailleurs à l’origine de toute
l’agitation actuelle. De nombreux intellectuels n’arrivent pas à comprendre la
nécessité de modifier le texte constitutionnel pour permettre à un homme de
rester à la tête de l’Etat au delà du délai normal. C’est une pratique trop peu
démocratique et que semblent condamner de très nombreux Libanais qui, même s’ils trouvent l’intervention de l’ONU trop disproportionnée et incorrecte, ne
comprennent pas le désir affiché par les gouvernements de Beyrouth et de Damas.

C’est la première fois que le Conseil de sécurité, trop instrumenté et dont la
légitimité s’érode sérieusement, prend une résolution s’opposant à une révision
constitutionnelle. Derrière ce prétexte se cache une hostilité manifeste au
régime de Damas et transparaît l’ombre de Tel-Aviv qui cherche depuis longtemps
à neutraliser la Syrie et à s’imposer dans la région. D’ailleurs, l’ambassadeur
irakien à Londres ne vient-il pas de déclarer qu’en Irak un fort lobby voudrait
officialiser les relations avec Israël. Neutraliser Damas, c’est remodeler
carrément la carte géopolitique arabe et redéfinir profondément le tissu
palestinien. Cette situation quelque peu trouble pose de sérieux problèmes mais
met également en évidence la nécessité de très profondes transformations
politiques en Syrie (changements au niveau de la nature du pouvoir et mise en
oeuvre de véritables structures démocratiques, tragiquement absentes) et la
nécessaire redéfinition des relations avec Beyrouth trop marquée par la césure
historique de 1946.

http://www.quotidien-oran.com/html/home.html

Messages

  • Whashington-Paris vs Beyrouth-Damas ?

    Je ne crois pas non ! Etant libanaise j’ai lu avec beaucoup d’intention votre article qui m’a paru être porteur de quelques contradictions que je ne releverai pas ici.

    Je voudrais vous faire part des sons de cloches que j’ai pu recueillir au sujet de ces élections.
    Les libanais considèrent ce fameux Emile Lahoud comme un pantin des Syriens.

    Le président doit obligatoirement être membre de la communauté maronite. Le problème c’est qu’aucun des prétendants à la succession ne s’est avéré fiable (comprendre maléable) pour les syriens qui ont préféré amender la constitution plutôt que de voir un président rebelle prendre le pouvoir.

    Dire que Paris menace la Syrie dans l’espoir de se rapprocher de Washington à cause de leur différend au sujet de l’Irak et ..... c’est une affirmation audacieuse surtout quand on a aucune déclaration officielle ou autre source pour l’appuyer.

    Des liens d’amitiés très forts ont toujours existé entre la France et le Liban mais surtout entre Jacques chirac et le premier ministre libanais Rafic Hariri. Or il se fait que ce dernier est le plus farouche opposant à cette prolongation de mandat.
    Pour terminer je voudrais revenir sur le fait que la majorité des libanais soutiennent Hariri qui a subi une grande pression des autorités syriennes ces derniers jours.

    La Syrie est une dictature et le Liban a prouvé qu’il était une parodie de démocratie.
    Voilà c’est tout ce que je voulais dire.

  • j’ai vécu 20 ans au liban en etant français et de mère libanaise.
    durant ces années au liban ce que j’ai pu remarqué c’est l’abscence de la clarté. en d’autres termes on n’est jamais capable de prevoir le futur avec le system actuel.
    pourquoi ? tout simplement à cause du conflit arabo-israelien, et ce cause pas mal d’ambiguités au niveau de la politique libanaise, que ça soit Lahoud ou autre, une pression exterieur existe ! dans quel but ? on ne sait jamais pourquoi, aucun des presidents libanais a tenu sa parole. pourtant ils etaient capable de faire un chagement, mais la peur d’israel reside toujours (malheureusement), du coup la puissance syrienne au niveau politique libanais domine toujours jusqu’a ce que le liban explose...
    je ne suis pas politicien, ni membre d’un parti libanais, mais je sais une chose :
    pour changer et faire bouger les choses, y’a qu’une solution : arracher le systeme de sa racine et le reconstituer.
    j’encourage pas la révolution, mais plutot reveiller le peuple libanais qui dans toute cette histoire sa voix est mit sous censure...

    • C’est vrai que la peur d’Israel est omniprésente.
      Je crois qu’il serait grand temps pour le Liban de clarifier sa position par rapport au Hezbollah et surtout d’abollir toutes les considérations de comunautés au niveau politique.
      Un Liban uni enfin !