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6 questions à Yves Salesse de la Fondation Copernic

Publie le dimanche 15 mai 2005 par Open-Publishing

Propos recueillis par Mathieu Guilsou

La Constitution favorise t-elle une Europe plus sociale ? Quelle est la portée de la Charte ? Yves Salesse de la Fondation Copernic répond aux questions de Yahoo ! Actualités. Il dit pourquoi il pense qu’en constitutionnalisant des politiques économiques libérales, ce Traité est selon lui anti-démocratique.

L’une des grandes préoccupations des Français est le modèle social européen. Cette Constitution rend-elle l’Europe plus sociale ?

Dès que le texte de la Convention Giscard est sorti, la Fondation Copernic a tout de suite pris l’initiative de faire une analyse sur ces questions. Et nous ne pensons pas que cette Constitution favorise une Europe sociale. Les références à l’Europe sociale dans ce texte sont squelettiques par rapport à toute la législation en faveur de la libre concurrence et du marché. Il y a toute une série de sujets sur lesquels on ne peut pas harmoniser les législations sociales par le haut en Europe. Au Conseil, tout cela reste de l’ordre de l’unanimité. Autant dire que les mesures qui s’imposeraient ne seront pas prises.

La Charte des droits fondamentaux a tout de même été intégrée dans cette Constitution. Ce n’est pas une avancée ?

Avec la Charte des droits fondamentaux, on a essayé de tempérer cette énorme partie III qui est consacrée au marché et à la libre concurrence. Mais c’est en vain ! On nous avoue finalement à la fin de la Charte que celle-ci ne créera pas de compétences et de taches nouvelles pour l’Union. Je suis juriste et je pensais qu’avec de nouveaux droits, on créait au moins la tache nouvelle de les faire appliquer. Dans le détail, on s’aperçoit que tout est fait pour que cette Charte n’ait aucune portée. Beaucoup d’articles précisent que ces droits s’appliqueront « dans le respect du droit communautaire et des législations nationales ». De manière plus subtile, la Charte proclame par exemple un droit d’accès aux services sociaux dans le domaine du chômage, de la maternité ou des accidents du travail. Mais on nous explique aussi que ce principe est subordonné « aux explications du præsidium de la Convention » qui permettent d’interpréter le texte au regard de la situation de chaque pays. La Charte ne signifie donc pas l’obligation de créer de tels services dans les pays où ils n’existent pas. Cette Charte n’est pas un progrès ! La plupart du temps, les droits sont vidés de leur substance.

Certains estiment par exemple que ce Traité dans l’article II-96, reconnaît l’importance des Services publics dans l’Union. Vous n’êtes pas d’accord ?

Si on observe bien cet article, on s’aperçoit qu’il présente exactement les caractéristiques que je viens d’évoquer.L’Union c’est vrai reconnaî l’importance de tels services. Elle pose le principe du droit d’accès à ceux-ci. Mais elle n’oblige pas à créer ces services quand ils n’existent pas. De plus, le texte soumet ces « Services économiques d’intérêts généraux » aux règles de la concurrence. Nous faisons depuis longtemps le constat de ces phénomènes. Sous l’effet des directives de la Commission, nous avons en effet assisté ces 20 dernières années à des attaques continuelles contre nos Services publics. Les règles de la concurrence et du marché ont été introduites dans des secteurs comme les transports, l’énergie, la poste, etc...

Vous pensez donc que cette Constitution grave les politiques libérales dans le marbre ?

Je pense que ce texte est dangereux parce qu’il vise à constitutionnaliser des choix politiques. Le fait de savoir si un service public doit être soumis aux règles de la concurrence, ça relève du débat politique et puis de la Loi. Ce qui est inadmissible aujourd’hui, c’est que l’on en fait une règle constitutionnelle qui s’imposera quelque-soit la majorité politique. Dans un domaine comme la lutte pour l’emploi, le texte indique par exemple que l’Europe travaillera désormais à ce que le marché du travail puisse réagir rapidement aux modifications de la situation économique. Ça signifie en clair que l’Union se fixe comme objectif un marché du travail flexible qui ne soit plus gêné par des lois sociales contraignantes qui pourraient limiter les licenciements. C’est une vieille revendication patronale dans tous les pays d’Europe depuis fort longtemps. Et ça devient une règle constitutionnelle. C’est foncièrement anti-démocratique !

Cette Constitution semble renforcer les pouvoirs du Parlement. Ne rend-elle pas l’Europe plus démocratique ?

Je ne crois pas du tout que ce texte rende l’Europe plus démocratique. Il y a peut-être des modifications à la marge qui vont dans le bon sens. Le Parlement européen pourra dire sont mot dans un plus grand nombre de cas. Mais ça reste très limité ! Le fonctionnement des institutions européennes reste aujourd’hui très anti-démocratique. Dans les domaines les plus importants, se sont les gouvernements qui négocient et qui continuent à décider. Au sein du Conseil, les gouvernements négocient dans une opacité totale. Le Parlement européen n’intervient qu’en bout de course. Il n’a qu’un pouvoir de veto et ne dispose pas de la possibilité de proposer les lois européennes qu’il souhaiterait.

La Constitution instaure tout de même un « pouvoir d’initiative populaire ». Ça ne peut pas permettre de redonner un rôle aux citoyens ?

Je trouve quand même cet argument très étonnant ! Ce n’est pas un pouvoir d’initiative populaire mais un simple droit de pétition L’article précise que 1 million de ressortissants d’un nombre significatif de pays européens pourront faire une proposition de loi à la Commission européenne. Mais celle-ci fera ce qu’elle voudra de toute manière et aucune proposition ne pourra aller à l’encontre des politiques libérales prévues par la Constitution. Cet argument m’attriste beaucoup. Considérer un droit de pétition comme une avancée, ça me paraît tout de même très révélateur d’une certaine crise de la démocratie. Le droit de pétition, c’est une très vieille affaire qui nous vient des rois. Les sujets avant alors le droit de s’adresser au Roi pour lui demander une faveur à laquelle il était libre de répondre s’il le voulait. Je ne vois donc pas en quoi le fait de demander quelque chose à la Commission peut constituer une avancée démocratique. Le véritable enjeu aujourd’hui, c’est que l’Europe soit au service des peuples et des citoyens de l’Union, de la lutte contre le chômage et au service du progrès social. Pas l’inverse !

http://fr.news.yahoo.com/050512/295/4es6r.html