90% des Français gagneraient moins de 2200 euros

PARIS. La névrose de l’argent, et ses explications

De l’insuffisance des salaires français ou les racines historiques de l’évasion fiscale.

Mercredi 24 janvier 2007 (le temps, quot suisse)
Sylvain Besson, Paris

Le tintamarre électoral sur la fiscalité – pourquoi Johnny est-il parti à Gstaad ? Quelle est la fortune de Ségolène ? – a poussé les Français dans un nouveau cycle d’introspection. Les experts interrogés dans les journaux ont fait ce constat unanime : « Notre rapport à l’argent est bizarre. »

Une relation ambigüe
Cette relation ressemble à un mélange détonnant de honte, de cachotteries et d’amour refoulé du lucre. Outre le fait qu’il est inconvenant de parler de son salaire, il y a d’autres signes qui ne trompent pas. Ainsi, les grands scandales politiques impliquent généralement des comptes occultes à l’étranger, de préférence en Suisse. Il faut dire que l’évasion fiscale est plus qu’un sport national : c’est un réflexe presque génétique.

J’en ai eu la preuve récemment, lors d’un contact avec l’employée d’une maison d’édition. Elle devait me verser des droits d’auteur et tardait à le faire. Interrogée sur les raisons de ce retard, elle s’est montrée très embêtée : « Si vous saviez, on a tout le temps des contrôles... » La malheureuse croyait que j’exigeais mon argent « au black », c’est-à-dire sans payer les taxes légales ! En apprenant qu’elle pourrait le verser en déduisant les impôts, elle a paru incroyablement soulagée, comme si tant de rectitude était un miracle.

Au temps des bas de laine
Les racines de ces comportements font l’objet d’analyses qui, comme souvent en France, se réfèrent à l’histoire ancienne du pays. Une spécialiste questionnée dans un journal dominical évoque le temps où l’on « dissimulait l’argent liquide dans une soupière, une armoire et qu’il ne fallait pas en parler ». On pourrait aussi citer la gabelle, cet injuste impôt royal qui a longtemps coloré l’attitude des Français face au fisc.

Un politicien socialiste à qui je tentais d’expliquer les vertus de la globalisation par l’effet « coupe de champagne » – si une entreprise gagne des milliards, une partie va forcément dégouliner jusqu’aux plus modestes – m’expliquait que les Français refuseraient toujours ce genre de raisonnements immoraux, à cause de leur catholicisme latent.

Mais il y a une explication plus concrète : 90% des Français gagneraient moins de 2200 euros (3520 CHF) par mois, soit un salaire considéré comme tout juste décent en Suisse. A ce taux-là, il y a de quoi développer pas mal de névroses.