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La culture est-elle soluble dans la biologie ? (photos reportage)

Publie le jeudi 19 avril 2007 par Open-Publishing

de Bernard Doray

Lundi dernier, au siège du Conseil de campagne de Marie-George Buffet s’est tenu une rencontre sur le thème "La culture est-elle soluble dans la biologie ?". Il s’agissait d’abord, pour les plus de cinquante participants, de réagir aux propos de Nicolas Sarkozy sur la génétique. En attendant le montage vidéo en cours et l’intervention de Serge Klopp, cadre de santé à l’Hôpital psychatrique Maison-Blanche, nous mettons à votre disposition l’introduction de Bernard Doray, psychiatre, initiateur de la soirée ainsi que quelques photos.

Je pense que tout le monde a compris que nous ne sommes pas ici pour faire de la réclame pour la candidature de Marie-George Buffet. Tout simplement parce que Marie-George Buffet n’est pas une marchandise et ce n’est certes pas en ces termes que la question de ce choix important se pose. Mais, pour autant, je ne veux pas me priver d’une remarque qui, à mon avis, nous concerne tous : ceux qui ont décidé de voter Marie-George Buffet et ceux qui n’ont pas pris cette décision, et qui pourtant sont ici.

Je ne sais pas si nous mesurons bien ce que notre réunion a de peu conformiste. Aujourd’hui, au début d’une semaine décisive pour affirmer que la gauche antilibérale (anticapitaliste) peut peser sur le cours des choses et que pour cela, chaque voix compte, aujourd’hui, donc, nous sommes dans une grande urgence. Or, c’est dans cette grande urgence que nous vous invitons, nous nous invitons pour penser. C’est peut-être une marque de cette candidature, que de répondre, jusque dans la dernière ligne droite, à l’absolue urgence de penser la complexité, et de poser, pour cela, des actes qui fassent sens.

Alors aujourd’hui même, il s’agit de trouver les voies, les chemins, pour engager un grand combat pour la Culture, la Culture au sens anthropologique du terme : ce qui fait que nous sommes des humains, et pas des purs produits de la Nature. Car, si effarant que cela puisse paraître, c’est la Culture, dans ce sens très général, qui est fortement mise à mal par les projets de la droite actuelle.

Dire cela peut paraître alarmiste. Mais je pense que l’histoire de ces dernières décennies nous enseigne que nous sous-estimons souvent la fragilité de la civilisation. Je me souviens par exemple de l’un des derniers reportages télévisés tournés à Bagdad avant l’occupation anglo-états-unienne. Un galeriste de la ville, au milieu de ses tableaux et dans un cadre raffiné, disait qu’il avait une kalachnikov et qu’il résisterai. Qui aurait pensé que quelques jours plus tard, le premier événement inattendu de la prise de Bagdad serait la disparition dans des circuits obscurs non pas de quelques tableaux, mais de 70 000 pièces archéologiques qui témoignent de la Culture de l’un des rares lieux du monde où a surgi l’écriture ? Et plus généralement, qui d’entre nous aurait pu anticiper, dans toute l’ampleur et la réalité de la tragédie, la suite des événements irakiens ?

Nous sous-estimons la fragilité de la Culture devant les forces de déliaison, de désymbolisation, en partie parce que ces forces avancent couvertes. Elles sont couvertes par toutes sortes de couvre-chef bigarrés, et elles ont de la suite dans les idées. Il y a 15 ans, dans une commission du CNRS, nous avons eu à juger d’un projet qui nous parut simplement cocasse. Il s’agissait de recueillir la salive des bébés trop agités dans les crèches, pour voir de quelle farine ils étaient faits. Nous avons écarté le projet en souriant. Le sourire était de trop. Bien plus tard, ce fut la fameuse étude de l’Iserm qui envisageait de voir le délinquant de demain dans le bébé supposé génétiquement prédéterminé à l’hyperactivité. Pour la première fois dans notre pays, une rébellion éthique mobilisa un nombre considérable de professionnels de l’enfance. Et l’Iserm a reculé. Fort heureusement. Puis ce fut la tentative d’embringuer la psychiatrie, plus directement encore, dans la Loi de prévention de la délinquance. Et le Ministre de l’intérieur a reculé sur ce point, tout en jurant que ce n’était qu’un délai, et que cela se ferait. Cet homme ne cesse de répéter que ce qu’il dit, il le fera, mais on pourrait ajouter : « il le fera si on le laisse le faire ». Et pour ne pas laisser ces choses-là se faire, il faut prendre la mesure de l’ampleur du projet de société qui pourrait faire son nid dans notre pays.

Ainsi, je terminerai cette présentation en évoquant un exemple significatif. Au début de la semaine dernière, alors que le candidat Sarkozy devait affronter les vagues considérables produites par ses déclarations sur la cause génétique des suicides d’adolescents, et autres troubles de l’ordre public, le journaliste David Pujadas, sur Antenne 2, sortit opportunément un “sujet“ susceptible de rendre modestes les mécréants qui doutent des connaissances époustouflantes de la science sur la biologie du cerveau humain. Les vedettes de cette présentation étaient deux souris qui n’avaient probablement pas demandé à faire voter Sarkozy. Comme dans un espace publicitaire, celle de droite avait pris une pilule et celle de gauche non (ou le contraire…). Les deux avaient été également traumatisées par des chocs électriques précédées par une sonnerie : à la mode de Pavlov. Les deux étaient donc conditionnées. Mais grâce à la pilule, celle de droite – ou de gauche – ne réagissait pas à la sonnerie. Elle avait donc oublié ce qui dans son modeste psychisme lui permettait de saisir les dangers de son environnement. En soulignant la métaphore d’un produit détergeant pour un lavage de cerveau, le Nouvel Observateur allait appeler cela, le « souvenir sans tâches ». Le journaliste d’Antenne 2 présentait cela comme un traitement épatant des traumatismes, parce que, quand on ramène la psychologie à un comportement et quand on évacue le sujet, toutes les fééries animalières semble pouvoir s’appliquer à l’humain.

Il ne faut évidemment pas railler ce travail scientifique. D’abord, il procède d’une vraie découverte, publiée dans la revue Nature 1 mois auparavant. Et puis, sans entrer dans les détails, disons que dans une société où le monde médical ne marcherait pas sur la tête, un usage réglé d’une telle molécule, pourvu qu’il soit lié avec un travail de resymbolisation de l’événement traumatique, pourrait probablement aider à dépasser le syndrome traumatique. Mais pour une multinationale, l’extension du marché serait une source de profit infiniment supérieure à ce qu’elle peut attendre, par exemple, de la mise au point du bon usage médical et légal de sa molécule, ou de la recherche d’autres molécules. Tout pousserait alors à un usage aussi large que possible de ce produit pharmaceutique. Alors, imaginons la carrière de soi-disant remède miracle aujourd’hui en Irak : l’éradication des traumatismes dans des psychismes devenus malléables, des soldats reenregistrables toujours prêts pour toutes les tâches, et à qui il n’y aurait pas à verser plus tard de compensations pour leurs souffrances psychiques. Et puis, ce serait bien probablement la porte ouverte à ce qu’on appelerait probablement la “torture propre“.

Et dans nos consultations, que serait la chosification marchande des traumatismes avec le médicament amnésique pour centre ? Dans nos consultations, tous les traumatismes donnent lieu, peu ou prou, à un travail de resymbolisation active. Ce travail vise à donner aux événements difficilement pensables, un statut d’événement réel, donc relatif, et inscrit dans l’histoire réelle de la personne et de son contexte. Ce n’est pas très différent dans les traumatismes collectifs. Par exemple, après le séisme algérien du 21 mai 2003, nous avons soutenu notamment des associations militantes dans un travail de la Culture où le séisme faisait parler le silence de 10 années de peurs liées au terrorisme intégriste.

À l’inverse, le placage, sur les béances traumatiques de l’histoire des personnes et des groupes humains, d’une méthode animalière avec au centre une amnésie chimique, ce serait le contraire. Et cela comporterait probablement des risques éthiques et cliniques considérables que je ne détaillerai pas ici.

Ce n’est là qu’un exemple, attrapé au vol, du fait que, socialement, une politique de biocontrôle des comportements, pourrait effectivement dissoudre partiellement la Culture dans le biologique, mais ce serait au prix d’un coût humain considérable. Alors, n’attendons pas ce genre de catastrophe pour dire, après-coup, que nous avions raison.