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Le barrage cédera-t-il en 2007 ?

Publie le lundi 29 janvier 2007 par Open-Publishing

JOSEPH E. STIGLITZ, Prix Nobel d’économie 2001, est professeur à l’université Columbia (New York).

Le monde a survécu à 2006 sans catastrophe économique majeure, malgré des prix du pétrole au sommet et un Moyen-Orient parti en vrille. L’année a pourtant été prodigue en leçons pour l’économie mondiale, ainsi qu’en signaux d’alerte sur ses performances futures. Elle a été marquée par un retentissant rejet des politiques néolibérales fondamentalistes par les électeurs du Nicaragua et d’Equateur. A côté, au Venezuela, Hugo Chavez a remporté un succès électoral écrasant : il a au moins apporté un peu d’éducation et des soins médicaux aux barrios pauvres qui, auparavant, n’avaient récolté que très peu des bénéfices de l’énorme richesse pétrolière du pays. Pour le reste du monde, le fait que les électeurs nord-américains aient retiré leur confiance au président George W. Bush, désormais tenu à l’oeil par un Congrès démocrate, revêt peut-être davantage d’importance.

Lorsque Bush a accédé à la présidence en 2001, beaucoup espéraient qu’il gouvernerait habilement au centre. Nous savons maintenant qu’il n’en est rien. La réputation de l’Amérique aux yeux du monde n’a jamais été aussi mauvaise. Les valeurs de base, que les Américains considèrent au coeur de leur identité, ont été corrompues. L’impensable est arrivé : un président américain a défendu l’utilisation de la torture, utilisé des points de procédure pour interpréter les Conventions de Genève et passé outre la Convention sur la torture, qui l’interdit en toutes circonstances. De même, alors que Bush avait été salué comme premier « MBA president » [diplômé en économie à Harvard], la corruption et l’incompétence ont régné pendant son mandat, de la réaction bâclée face à l’ouragan Katrina à sa conduite des guerres en Afghanistan et en Irak.

Les Américains n’aiment pas perdre les guerres. C’est l’échec irakien qui a poussé les électeurs à rejeter Bush. Mais le chaos au Moyen-Orient a d’autres répercussions : il représente un risque central pour l’économie mondiale. Depuis que la guerre en Irak a débuté en 2003, la production de pétrole du Moyen-Orient, le producteur le moins cher du monde, n’a pas augmenté comme on pouvait s’y attendre pour satisfaire la demande mondiale croissante. Le phénomène est en grande partie dû à une modération perçue de l’augmentation de la demande, engendrée par le ralentissement de l’économie nord-américaine.

A la racine du problème économique nord-américain, on trouve les mesures adoptées au début du premier mandat de Bush. L’administration a imposé une réduction d’impôts qui a largement échoué à stimuler l’économie, car elle était conçue de manière à ne bénéficier qu’aux contribuables les plus aisés. La Fed a pris le relais de la stimulation en abaissant les taux d’intérêt à des niveaux sans précédent. L’argent bon marché a eu peu d’impact sur l’investissement des entreprises. Il a en revanche alimenté une bulle immobilière qui explose aujourd’hui, mettant en danger des ménages qui ont fait des emprunts sur la valeur en hausse de leur immobilier pour soutenir leur consommation.

Pire encore, des dépenses gouvernementales non maîtrisées ont gonflé les déficits. Bien que Bush ait longtemps cherché à rejeter la faute sur les autres, il est clair que la consommation débridée nord-américaine et son incapacité à vivre selon ses moyens est la principale cause des déséquilibres mondiaux... Si rien ne change, ces déséquilibres continueront d’être la source d’une instabilité mondiale, quoi que fassent la Chine ou l’Europe.

A la lumière de toutes ces incertitudes, le mystère tient au fait que les primes de risque restent aussi basses. Avec l’impressionnante réduction de la croissance des liquidités mondiales due au relèvement des taux d’intérêt par les banques centrales, la perspective qu’elles retrouvent des niveaux plus normaux est en soi l’un des principaux risques auquel le monde fait face aujourd’hui.

http://www.lesechos.fr/info/inter/4...