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Haïti : Quel développement ?

Publie le vendredi 9 avril 2010 par Open-Publishing

A l’heure où la vague médiatique s’est complètement retirée où en est Haïti ? Comme Primitivi ne connaît personne dans le coin nous sommes partis à la recherche des blogs qui suivent ce qui se passe sur l’île.

Voilà le relais d’un post paru sur agir-avec-haiti.over-blog.com qui nous a paru tout à fait pertinent.

Haïti est bien loin aujourd’hui. La distance a repris toute sa place alors que l’émotion se fatigue de tant de compassion. A l’heure où des conférences internationales d’une ampleur surprenante discutent du destin de ce pays,nos médias délaissent un sujet qui n’est plus assez racoleur. Et pourtant, comme Jean-François Labadie l’écrit dans son blog ("et si les médias s’intéressaient à la reconstruction"), ce serait le moment pour les citoyens des pays "riches" de contrôler ce que font leur gouvernement de leur puissance et de l’argent de leurs contribuables.

Le Monde Diplomatique analyse dans un article du mois de mars les enjeux de cette "reconstruction" : "L’humanitaire, du tsunami à Haïti, inégerence étrangère ou mobilisation des savoirs locaux ?". On retrouve le même genre de questionnement dans un chronique du CNCD : "Haïti, de l’urgence au développement" : "Une première évidence est que le développement de Haïti ne pourra se faire sans les Haïtiens. Si les gouvernements et les ONG internationales ont massivement réagi lors du tremblement de terre, ce sont avant tout les populations haïtiennes qui ont construit des camps de réfugiés, partagé les ressources disponibles et sauvé des milliers de vies. Ce sont aussi les populations rurales haïtiennes qui ont accueilli les dizaines de milliers de personnes fuyant la capitale en ruines. Cet exode urbain provoqué par la catastrophe représente une opportunité de penser le développement d’Haïti de manière globale, en investissant dans l’agriculture, les services publics, les logements et les emplois dans les provinces, en vue de désengorger la capitale et de promouvoir un modèle de développement moins inégalitaire que par le passé. A contrario, le risque est grand de voir se développer des « bidonvilles provinciaux » condamnés à l’assistance humanitaire."

Une conférence passionnante a été donnée à Marseille par Jean-Pierre Olivier de Sardan : "Les effets négatifs de l’aide humanitaire et de l’aide au développement". L’anthropologie du développement permet de faire un pas de côté pour analyser les dynamiques de fond qui agitent nos relations avec les "suds" et "le développement", cette grande entreprise si à la mode de par le monde. Une chose (parmi bien d’autres) m’a particulièrement marqué dans cet exposé : la mise en lumière de "l’injonction contradictoire" (double bind) faite aux pays du sud concernant leurs actions. D’un côté, les politiques d’ajustement structurel imposées par le FMI et autres ont forcé les États à limiter, rentabiliser et privatiser leurs services publics dans une logique néolibérale d’efficacité économique ; d’un autre côté, l’aide au développement critique le "sous-développement" et l’absence d’accès aux soins et aux services, en développant des projets sans réelle coordination qui court-circuitent le cadre étatique et les services publics des États concernés. On n’imagine pas tous les effets déstructurant provoqués par ce double langage simultané...

Haïti n’échappe pas à cette réalité. On ne parle pas assez de la dette démesurée d’Haïti et de ses implications. Avant tout, il faut rappeler que cette dette est équivalente à quelques Gourdes près à la fortune des Duvaliers, dictateurs Haïtiens longtemps soutenus par nous et aujourd’hui gentillement hébergés par la France sur la côte d’Azur (la France, véritable terre d’accueil pour [certains] réfugiés !). A partir de 1986 et la chute de Baby-Doc, Haïti est soumise à un tournant libéral imposé par le FMI en contrepartie d’un soutien financier (permettant de payer les intérêts d’une dette tout à fait méritée...). Ces réformes se sont par exemple attachées à ouvrir les barrières douanières, contribuant à déstructurer l’agriculture locale par l’invasion des produits américains (du riz, notamment). Elles ont également permis de privatiser la plupart des entreprises publiques, de réduire et de baisser le salaire des emplois publics, ou bien encore d’inciter les entreprises étrangères à venir s’installer. Vous pourrez suivre les étapes de cette grande aventure sur le site du CADTM (http://www.cadtm.org/Fiche-Haiti).

Pour illustrer les effets du double bind évoqué plus haut, prenons l’exemple des salaires de la fonction publique en Haïti. Il faut être fou ou très peu qualifié pour accepter de faire carrière dans une fonction publique peu gratifiante et inefficace, alors que l’on peut gagner de 10 à 50 fois plus d’argent en travaillant pour les organisations internationales qui pullulent en Haïti : on appelle ça la "fuite interne des cerveaux", mécanisme autrement plus grave et moins visible que la fuite vers l’international... Que voulez-vous ? L’État n’est plus en capacité de trouver des ressources humaines qualifiées, alors que le personnel restant voit dans la corruption une des seules voies pour rétablir un certain équilibre face à cette écrasante inégalité de salaire imposée par les institutions internationales elles-mêmes.

Quel développement, alors, pour Haïti ? On peut malheureusement être sceptique sur l’évolution de la situation...

Pour creuser ces questions, vous pourrez trouver l’ensemble des travaux du centre de recherche en anthropologie du développement (LASDEL) basé au Niger et au Bénin sur leur site : de quoi réfléchir !

Pauline L.

http://www.primitivi.org/spip.php?a...