Accueil > Modeluxe : sans-papiers cherchent soutiens extérieurs
Modeluxe : sans-papiers cherchent soutiens extérieurs
Publie le jeudi 12 octobre 2006 par Open-Publishingde Paule Masson
Blanchisserie . Les salariés ont repris le travail après 8 jours de grève mais continuent le combat pour la régularisation de leurs collègues en situation irrégulière.
Il ne fait pas encore jour à l’heure où se déroule l’assemblée générale des ouvriers de Modeluxe, blanchisserie de l’Essonne qui emploie des salariés sans papiers depuis des années et menace aujourd’hui de les licencier. Il y a quelques jours encore, entrer dans l’entreprise était chose simple. Hier matin, des vigiles étaient là, avec les chiens, chargés de repérer les « personnes extérieures » à l’entreprise. La tension est subitement montée d’un cran en fin de semaine dernière, au point que les 18 salariés (sur 22) que la préfecture n’a pas jugé « régularisables » ont dû se cacher. « Heureusement que nous avons pris des mesures, témoigne Raymond Chauveau, responsable de la CGT de Massy. Ce week-end, la police est allée frapper à la porte de l’un d’eux. »
« Tout le monde savait »
Depuis une semaine, les quelque 160 ouvriers et ouvrières étaient en grève, révoltés d’apprendre le licenciement de leurs collègues alors que, expliquent-ils les uns après les autres, « tout le monde savait » qu’ils n’avaient pas de papiers. Hier ils ont décidé de reprendre le travail, tout en redoublant d’efforts pour obtenir la régularisation de leurs camarades d’infortune. Car, papiers ou non, tous subissent des conditions de travail indignes, postés sur des machines quasiment 8 heures d’affilée, en horaires décalés, rémunérés au SMIC, sans possibilité d’évolution puisqu’il n’existe ni prime ni ancienneté. « On met fin à la grève mais on ne lâche pas sur le reste, sur les salaires, les heures supplémentaires non payées, les trous dans la toiture, les vêtements non fournis », ont assuré les salariés avant de reprendre leur poste. Le protocole d’accord de fin de grève, négocié en fin de matinée avec la direction, prévoit le paiement de trois des cinq jours d’arrêt de travail.
« Nous allons faire la démonstration que la direction a engagé des salariés sans papiers en connaissance de cause, pour promouvoir ses propres intérêts. La préfecture aussi était au courant. Le 21 avril 2005, elle nous a fourni une liste de 42 ouvriers sans papiers. Si tout le monde sait, alors il faut aller au bout et régulariser », insiste Raymond Chauveau. « Bien sûr que l’on savait ! Tout le monde savait. », avoue un cadre, sous le coup de l’énervement. L’affaire est entendue, mais seulement - officieusement.
Car la ligne de défense de la direction de Modeluxe, blanchisserie qui appartient au groupe anglais Sunlight, est d’avoir été abusée par des personnes qui auraient présenté des faux papiers pour se faire embaucher. Certains travaillent dans l’entreprise depuis plus de cinq ans. Quand, il y a deux ans, un contrôle de police - officialise l’existence de travailleurs en situation irrégulière, la direction ne peut plus nier. Elle autorise pourtant la poursuite du contrat de travail à la faveur d’un processus de régularisation qui s’engage avec la préfecture, mais n’aboutira pas. D’où le couperet, les licenciements « pour faute grave » et la crainte peut-être au final d’être pris la main dans le sac.
Et les vigiles prennent place
Mais retournement de situation, jeudi dernier : une réunion tenue à la direction départementale du travail entre la direction de Sunlight, la CGT - seul syndicat présent dans l’entreprise - et les élus du personnel semble avoir tourné à l’avantage de Modeluxe. Denis Embleton, représentant la direction du groupe, aurait demandé si « la compagnie » pouvait être inquiétée. Mme Lavor, directrice adjointe de la DDT, aurait répondu que l’inspection du travail a conclu à la bonne foi de l’entreprise, accréditant l’idée que l’entreprise aurait été abusée par la présentation de faux papiers. Jointe au téléphone, l’intéressée dément, parle de simple réunion alors que les syndicalistes se disent sûrs des propos rapportés.
Quoi qu’il en soit, le lendemain la direction demande une ordonnance au tribunal de grande instance d’Évry pour faire évacuer les personnes extérieures à l’entreprise. Elle fait vider la cour, encombrée de chariots plein de linge sale « avec l’aide de la police », précise Raymond Chauveau, indigné. Les salariés sans papiers doivent quitter les lieux pour se cacher. Et les vigiles prennent place à la porte de l’entreprise.
http://www.humanite.presse.fr/journal/2006-10-10/2006-10-10-838339