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1993 : Quand Bernard Kouchner préfaçait un livre sur le Tibet
Publie le vendredi 18 avril 2008 par Open-Publishing2 commentaires
Sans autre commentaire, voici la préface écrite en 1993 par Bernard Kouchner pour le livre "Tibet, l’envers du décor" (éditions Olizane). A rapprocher des déclarations du ministre des Affaires Bernard Kouchner depuis le début de la crise en mars :
– http://tempsreel.nouvelobs.com/actu...
« Le Tibet meurt de nos silences
par Bernard Kouchner.
Des cris étouffés s’élèvent de ces montagnes et de ces hauts plateaux. Une population hurle silencieusement vers nous : les Tibétains. Un homme nous tend la main : le Dalaï-Lama. Le Tibet souffre de nos timidités et de nos conformismes. Le Tibet risque de mourir de nos silences. Lhassa ? Interrogés sur la localisation de cette capitale, la majorité des Français avouent leur ignorance. Les souffrances lointaines restent muettes si les messages ne nous parviennent pas. Et le Tibet est hermétiquement clos aux journalistes.
Les envahisseurs chinois ont compris que le premier ennemi de l’oppression demeure l’information. Dès lors pourquoi s’engager et surtout comment protester si on ne sait pas ce qui se passe ? D’autres barbaries sollicitent les indignations. La conscience est en panne. Peut-on prendre l’ensemble du malheur de la planète sur soi ?... Oui. Nous le devons. Ne pas s’indigner devant l’oppression, c’est plier l’échine et se résigner. En tout cas laisser mourir les autres. D’abord, il convient d’affirmer que le Tibet est un pays, avec un passé et un présent, comme le prouve le livre riche et passionnant qui suit. En 1950, la Chine a envahi puis annexé le Tibet.
Les protestations furent timides. Les diplomates occidentaux s’employèrent à gommer l’incident. Nous sortions de l’affrontement avec le nazisme, l’URSS était notre alliée et le communisme se présentait sous la forme d’une utopie acceptée. Si l’espoir collectiviste a tourné court, les peurs sont encore présentes. Avec la Chine, qui offre ses marchés, on a préféré le commerce aux Droits de l’Homme. Cela s’appelle le réalisme politique. C’est une vue de l’Histoire, mais à court terme. Toute stratégie d’ampleur, toute politique de longue haleine auraient-elles disparu, remplacées par le démarchage commercial ? Pourtant, on peut facilement dresser le bilan catastrophique de l’occupation chinoise. Plus d’un million de Tibétains auraient péri de mort violente entre 1950 et 1980 : 175.000 en prison, 156.000 sommairement exécutés, 413.000 morts de faim pendant une de ces « réformes agraires » dont les théoriciens marxistes étaient friands, 92.000 morts sous la torture ; près de 10.000 se seraient suicidés.
L’opinion mondiale s’émut, un temps, de l’effrayante politique de contrôle des naissances qu’impose le gouvernement de Pékin : avortement même au neuvième mois, stérilisation massive des femmes et aussi des jeunes filles, infanticides en nombre. Dissimulé, l’enfant clandestin n’aurait pas de papiers, pas de rations alimentaires. Il ne pourrait pas fréquenter l’école. Privé d’état civil, il ne trouverait pas de travail et serait réduit à l’exil par le chemin périlleux des hauts cols de l’Himalaya ou à la vie d’un animal traqué. L’horreur d’une telle politique demeure, mais les réactions se sont estompées. On n’entend ni les défenseurs des Droits de l’Homme, ni les humanitaires qui devraient tous être à l’œuvre. Que disent les écologistes pour protester contre la dévastation de l’environnement ? Contre les expériences atomiques souterraines ? Contre les stockages de déchets radioactifs ? Dans le Changthang, la haute plaine où vivent les nomades, on a décimé les yaks sauvages, les cerfs musqués, les antilopes, les ânes et les chèvres sauvages.
On ne voit plus les grands oiseaux du Tibet : aigles, canards, cigognes, corneilles. Les poissons dans les rivières et les lacs pollués se font rares. Que disent les démographes alors que les Tibétains sont devenus minoritaires chez eux : sept millions de Chinois importés contre six millions de Tibétains ? De 1.000 à 3.000 Chinois arrivent chaque jour au Tibet. Dans la région de Kong Po, on compte vingt-cinq Chinois pour un Tibétain. Les terres cultivables sont envahies. Les Tibétains ne trouvent plus de travail. Que disent ces médecins en charge de la santé du monde alors que la mortalité infantile atteint le chiffre de 43,7 pour 1.000 ? Que disent les politiques ? Pendant que la Chine accède au capitalisme à marches forcées, créant une impression de modernité et d’ouverture économique, les Chinois au TIbet s’efforcent de détruire la religion, les institutions, la culture et les coutumes de ce peuple.
A Lhassa et dans d’autres grandes villes, les Chinois ont ouvert des bars, des dancings, des salles de jeux et des vidéothèques pour dévoyer les Tibétains. Toute étude de l’histoire du Tibet est orientée, toute manifestation nationaliste réprimée durement. La liberté de religion n’existe plus. Les trésors du palais du Potala qui contient les tombeaux des Dalaï-Lamas successifs ont été détruits ou emportés en Chine. Que faire si la porte est fermée ? Que tenter si le pays est en cage ? Comment aider nos frères les Tibétains ? En soutenant un homme de notre affection et de nos initiatives. En lisant et en faisant circuler ce livre. En n’acceptant pas le fait accompli de la conquête ni l’atroce purification ethnique à l’œuvre là-bas, sur le Toit du monde comme au cœur de notre Europe. Triomphe de la pensée d’exclusion ? Ce concept stupéfiant de purification ethnique a fait son chemin dans nos inconscients comme dans nos consciences.
Le peuple chinois y participe qui nie le Tibet dans son existence. Je fus frappé par l’attitude des étudiants du Printemps chinois, courageux et nobles, mais singulièrement bornés sur la liberté du Tibet. Ils reproduisaient le discours du nationaliste, comme les Démocrates de Belgrade à propos du Kosovo. Oui, il convient de soutenir un homme. Pacifiste et philosophe, le Dalaï-Lama, chef spirituel des bouddhistes tibétains, à la sérénité malicieuse, nous est devenu familier.
J’ai eu l’honneur de m’entretenir avec le Dalaï-Lama à plusieurs reprises. Je me souviens d’une journée précieuse passée ensemble, avec l’abbé Pierre en Dordogne. Nous avons beaucoup parlé, beaucoup appris et beaucoup ri. J’ai du respect et plus encore de l’affection pour cet homme, même si je ne partage pas le mysticisme exalté de certains de ses adeptes. Le Dalaï-Lama affirme vivre pour les autres, préoccupé d’alléger leurs souffrances pour semer à travers eux les graines de la paix. Il porte une robe de moine, se lève à l’aube pour prier et s’endort en priant, mais il ne croit pas en Dieu. Il croit en l’Homme, libre et responsable de ses actes, en la force de l’amour contre la haine, du bien contre le mal. Il pratique une religion athée, ce qui n’est pas si bizarre en ces temps de solitudes multipliées.
Il s’agit d’une science de l’esprit élevée au Tibet à l’échelle d’un art magistral, un art de vivre moderne et réaliste fondé sur le contrôle de soi, l’expérience humaine et le respect d’autrui. Je reste méfiant, mais cela m’intéresse. On dit que le XIVe Dalaï-Lama est la réincarnation d’Avalokiteshvara, Bodhisattva de la Compassion infinie. Mais lui-même n’en est pas certain. En revanche, il dit en riant avoir été une chenille dans une autre vie. Qu’importe ! Une prédiction très ancienne affirme aussi qu’il sera peut-être le dernier Dalaï-Lama d’une lignée jamais interrompue depuis le 14e siècle. Mais lui, y croit-il ? Il vient d’un autre monde, un monde qui fut longtemps meilleur mais qui depuis plus de trente ans agonise, victime des crimes perpétrés si loin de chez nous et de manière si insidieuse et si méthodique qu’on a presque oublié le million de Tibétains morts sous le joug chinois. Déjà dans les livres d’histoire qu’étudient nos enfants, le Tibet n’existe plus en tant que nation indépendante.
On y parle de « province chinoise ». L’histoire, comme les hommes, manque parfois de mémoire. Le Dalaï-Lama, que j’ai rencontré pour la première fois en 1989 à l’insu de tous, est un homme chaleureux, dont le rire fuse souvent en cascade. Lorsqu’il ne rit pas, il sourit. Avec son allure d’éternel étudiant, dans sa robe lie-de-vin frangée de safran, il n’a rien d’un « dieu vivant » comme on l’appelle parfois. J’ai vu des larmes perler à ses yeux devant six mille personnes en évoquant l’océan de douleurs dans lequel est plongée l’humanité. C’était dans le sud de la France, il y a deux ans. Chef spirituel et temporel du Tibet, il a fui son pays pendant la révolte de mars 1959 (10 000 morts) parce qu’il savait qu’il serait plus utile à l’extérieur qu’à l’intérieur, et il a formé dans un village du nord de l’Inde son gouvernement en exil. Un gouvernement démocratique que personne ne reconnaît, surtout pas les gouvernements qui se réclament de la Démocratie. Depuis, il est devenu un citoyen du monde.
Il parcourt la planète pour attirer l’attention de l’opinion internationale sur les souffrances qu’endure son peuple et la tragédie à huis-clos qui se joue depuis quarante ans au Tibet, où la violation des Droits de l’Homme s’avère quotidienne et systématique. Après la Révolution culturelle et la chute de la Bande des Quatre, un tout petit pan du rideau de fer chinois s’est déchiré, dévoilant des horreurs : les enfants obligés de tirer sur leurs parents, les gens jetés vivants des avions, les moines forcés de copuler avec les nonnes, 6.000 temples détruits (des monastères parfois grands comme des villes), et des centaines de lamas, porteurs d’une culture unique sur notre planète, torturés à mort. Malgré une libéralisation de surface et la soi-disant ouverture du Tibet aux investisseurs étrangers, moyen habile de masquer la colonisation, la répression n’a jamais cessé : arrestations massives et arbitraires, transferts de population, tortures de plus en plus sophistiquées, déforestation, exploitation abusive des sous-sols miniers pour le compte des colons chinois, pollution des rivières par l’extraction inconséquente des gisements d’uranium, bases de recherches nucléaires dispersées à ciel ouvert dans le Nord. C’est clair : Pékin veut un Tibet non seulement chinois, mais un Tibet sans Tibétains.
Sa situation géographique en fait une plate-forme unique pour lancer une offensive contre l’Inde et la Russie puisque les six grands fleuves d’Asie y prennent leur source. L’an dernier, Amnesty International a dénoncé la poursuite de la répression au Tibet et le parlement en exil a adopté le principe de l’envoi d’une mission à Pékin alors que les négociations entre les deux pays étaient interrompues depuis 1984. Mais ces négociations n’ont pas abouti. Un pas en avant, deux en arrière, c’est la méthode des Chinois qui continuent de refuser le compromis avancé par le Dalaï-Lama : la Chine conserverait son autorité sur les affaires étrangères et la défense si le Tibet devenait autonome dans tous les autres domaines. Le Dalaï-Lama pense que la solution des conflits est fondamentalement spirituelle, que les hommes devront se désarmer eux-mêmes avant de désarmer le monde. Il prône la responsabilité universelle (tous les êtres sont interdépendants et la notion de frontière disparaît ou tend à disparaître), ne croit pas aux idéologies, pense que la religion provoque parfois plus de querelles qu’elle n’en résout et que le but commun à toutes les religions, un but que chacun doit tenter de retrouver, est de cultiver la tolérance, l’altruisme et l’amour. J’espère qu’il a raison, même si je le trouve bien optimiste.
Si le bouddhisme authentique des lamas tibétains disparaît de la surface de la terre, cette perte va créer un déséquilibre qui nous concerne tous. C’est pourquoi le drame du Tibet est aussi notre drame à tous et que nous devons en prendre la responsabilité : tel est le sentiment profond du Dalaï-Lama. Le Tibet meurt de nos silences. Est-ce un crime de lèse-majesté que d’exiger des autorités de Pékin l’ouverture sur cette zone d’ombre ? Là encore, calmement, sans provocation, avec le respect qui est dû aux autorités de la Chine, la communauté internationale, et surtout la communauté asiatique, doivent proposer, voire imposer un jour, le droit d’ingérence médiatique, le devoir et le droit d’ingérence tout court, au nom de l’urgence en faveur des Droits de l’Homme.
En ces temps de certitudes brisées et de triomphe apparent de la Démocratie, alors que partout exclusions et nationalismes se renforcent, nos enfants nous jugeront sur notre attitude face aux malheurs des Tibétains. »
Préface de Bernard Kouchner pour le livre "Tibet, l’envers du décor" (1993, éditions Olizane)





Messages
1. Kouchner : les preuves de la trahison, du cynisme, du déshonneur., 18 avril 2008, 15:50, par Canaille le Rouge
Bon, d’accord pour dénoncer les acrobaties politico-artistique de notre "rémoulade" de service.
(ben oui, Kouchner, c’est le riz...donc rémoulade s’impose... c’est la seconde "humour douteux", indulgence SVP).
Cela règle-t-il la nature historiquement féofalo-esclavagiste du régime des lamas tibétains ?
Au nom du refus de la terreur stalinienne, faut-il exiger le retour de Nicolas II ?
Au nom des dérives insupportable de "notre" Nicolas 1,2,3...on abroge la République ?
Combattre la réaction n’autorise aucune concession à ceux qui lui fourbissent ses armes : voila pourquoi il faut combattre les choix du P"C"C.
Mais ce la ne doit ni conduire à s’engager dans la LVF Tibétaine ou dans les armées Vlasov de ce début du 21ème siècle.Ni demander le retour du colonialisme au Cambodge au nom de la dénonciation de Pol pot.
Et encore moins à hurler avec les "Ménard-Paquis" des "Radio Paris" d’aujourd’hui.
j’attends toujours un mots de ce sinistre vendu à propos de Guantanamo ou sur la mort du journaliste assassiné la semaine dernière.
http://canaille-le-rouge.over-blog.com/
2. 1993 : Quand Bernard Kouchner préfaçait un livre sur le Tibet, 19 avril 2008, 18:04, par wilsdorf
Sur Kouchner tout a été dit ou presque... Passé du tiers mondisme au tiers-mondain "du col Mao au Rotary Club", du droit d’ingérence (1 millions de civils irakiens tués directement ou indirectement par les anglo-américains) du droit de dédouanner Total de ses exactions en Birmanie moyennant 25 000€ au soutien de Ségolène puis à ce retournement de veste du lendemain des élections en faveur de Sarko.
Cet homme-girouette prêterait à sourire si ses positions n’entraînaient la mort de centaines de milliers d’êtres humains.