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A partir de la controverse « Route 181 » : une réfléxion.

Publie le vendredi 12 mars 2004 par Open-Publishing

De Armanda Dos Santos, Tarek Naba’a

La diffusion du film « Route 181 » a été revue, annulée, partiellement rétablie dans le cadre du « Festival du cinéma du Réel » ce dernier ayant été accuséde promouvoir l’antisémitisme et la judéophobie.Factuellement, ce film retrace le parcours de deux cinéastes, un Israélien, Eyal Sivan et un Palestinien, Michel Khleifi le long de ce qu’aurait du être la frontiére de 1967. C’est, en 4h30, le film de leurs rencontres sur ce chemin.

Aujourd’hui « Route 181 » est stigmatisé, comme beaucoup d’autre, comme étant un accélérateur, un exagérateur voir un détonateur d’antisémitisme. De manière plus générale, toute parole critique à l’égard d’Israel est, trop souvent, assimilée, de fait, à de l’antisémitisme, de l’irresponsabilité politique au vue de l’atmosphère judéophobe qui régnerait en France, de la provocation, de la mauvaise fois, et bien d’autres qualificatifs encore qui ont tous en commun un point essentiel : nier la réalité des faits.

Le projet concret de construction d’Israel, c’est à dire d’Israël bâtie en sus et place de la Palestine Mandataire, pas le projet biblique hypothétique, pas non plus le droit des juifs à avoir un pays, ce projet concret donc est, de son origine a aujourd’hui, un vol prolongé d’une occupation de 50 ans qui, comme l’écrit, de mémoire, Ilan Halevi1, sans être la plus meurtrière ou la plus violente des occupations, n’en est pas moins une, couverte par le plus grand mensonge et la plus grande hypocrisie tous deux à la mesurede l’ampleur de la mauvaise conscience occidentalepar rapport au génocide nazi des juifs.

Sans entrer dans les détails de définition de ce qu’est le sionisme, le vrai, le faux, ou le galvaudé, en se contentant des faits, de son origine à aujourd’hui, le projet de la construction d’Israel en Palestine s’articule, entre autre, autour de deux axes centraux, théorisés et exploités comme outils idéologiques et rhétoriques :

le rappel politiquement instrumentalisé et systématique du génocide, effectif, de la deuxième guerre mondiale ;

la négation des Palestiniens, de leur existence et de la légitimité de leurs revendications quelles qu’elles soient.

Cette doublette a permis, et permet encore aujourd’hui, aux défenseurs systématiques d’Israel, d’annuler et d’invalider les revendications des Palestiniens sous le fallacieux prétexte que leur acceptation équivaudrait à une négation de celles qu’ils présentent comme les seuls légitimes : celles d’Israel.

Tout ceci, alors que du point de vue historique, en Israel même, et malgré le revirement, politique et non historique, de certains d’entre eux, de Benny Morris2 à d’Ilan Pape3, les nouveaux historiens, les historiens post-sionistes, leurs assimilés ont contribué, de l’intérieur, à établir la réalité du fait de la création d’Israel par spoliation des Palestiniens.
Tout ceci, aussi alors que, politiquement et socialement, en Israel toujours, des voix, certes encore trop isolées, des Refuznik4 à Gush Shalom5, s’élèvent pour dénoncer la honte, l’inhumanité et leur refus de l’occupation.
Tout ceci toujours alors qu’à l’intérieur et à l’extérieur d’Israel, de plus en plus de voix juives, religieuses ou laïques, des Jews Against Zionism6 implantés principalement aux Etats-Unis et en Grande Bretagne, à des associations comme l’UJFP7 ou le SICO8 en France en passant par les Rabbis for Human Rights9, s’élèvent pour protester contre le mensonge institué qui assimile de fait le judaïsme au sionisme, Isarel au juif et toutes critiques d’un des deux à de l’antisémitisme.
Tout ceci enfin alors que d’après le droit international, Israel aujourd’hui existe et a le droit d’exister en tant que pays aux frontières internationalement reconnues10.

Tout ceci enfin et surtout alors que dans la déclaration d’indépendance prononcée par Yasser Arafat en 198811 les Palestiniens, par la voix de leur représentants de fait de l’époque, en dépits de l’opinion que l’on se fait d’eux aujourd’hui, reconnaissaient le droit d’Israel à exister dans les dites frontières internationales.

Il n’est donc, clairement, plus question, aujourd’hui de détruire Israel, de le démanteler ou encore de jeter les juifs à la mer. Le monde ne le permettrait pas, l’éthique, au regard des générations Israéliennes actuelles non plus.

Il n’est donc plus question de taire les revendications des juifs, d’une partie des juifs, à avoir leur pays.

Non, aujourd’hui il est question de savoir qu’elles seront les modalités d’existence des Palestiniens et ces modalités ne se déclinent pas à l’infini. ils ne peuvent hésiter, en situation de faiblesse la table de négociation, qu’entre :

la création d’un état binational où Palestiniens et Israéliens cohabiteraient

la création de deux états souverains où Palestiniens et Israéliens seraient voisins, séparés, comme tout pays qui se respecte, par des frontières reconnues et hermétiques.

Dans ce contexte, la reconnaissance des crimes d’Israel, de l’agression première à l’occupation d’aujourd’hui, n’est pas une remise en cause de son droit à exister, c’est la reconnaissance d’un fait historique. C’est l’acceptation par une nation ou par ses représentants, que sa construction s’est faite au dépend d’un peuple. C’est par là le droit de ce peuple à exister symboliquement et politiquement aux yeux des autres en tant que tel. C’est aussi rendre leur voix au Palestinien et reconnaître l’entière légitimité de leur revendication à vivre libre.

Tous ceux qui aujourd’hui, sous le prétexte d’une quelconque responsabilité morale, éthique ou politique proposent de taire les méfaits d’Israel sous couvert de protection contre la judeophobie commettent un double non-sens.

Premièrement ils entérinent, encouragent, protégent voir participent à un système coloniale en contradiction totale avec les préceptes d’égalité, de liberté et de démocratie que la plus part défendent par ailleurs.

Deuxièmement, considérant les choses sous l’angle du droit et excluant par la même l’arbitrage divin, là encore en total accord avec les défenseurs précités, placer quoi que ce soit hors de la porté du jugement des hommes, octroyer à qui que ce soit la capacité à échapper à la loi des hommes, aujourd’hui le droit tel qu’il est internationalement reconnu, suscite naturellement le rejet y compris le rejet violent, et évidemment Israel, construction humaine comme bien d’autre, n’échappe pas à la règle.

En quoi est-ce que cela concerne « Route 181 » ? Ce film a été qualifié d’antisémite, d’encouragement à la judéophobie, d’incitation à la haine raciale. Ses auteurs qualifiés d’irresponsables parce que contributeurs actifs à la montée de la judéophobie et de l’antisémitisme. Qu’en est-il alors du fait trop souvent oublié, que ce film est, en grande partie, constitué de dialogues avec des Israéliens. Qu’il est, en ce sens et malgré l’approche subjective, le reflet de la vision qu’a, des arabes et des Palestiniens, une partie de la société Israéliennes. N’oublions tout de même pas Sharon.

Aussi repoussante, innacceptablement raciste et haineuse que cette pensée puisse être, elle existe et la cacher, la camoufler sous des justifications de malheurs éternels instrumentalisées dans le contexte, devient fallacieux voir carrément pervers !

Montrer la face "mauvaise", la face indigne, inacceptable des hommes, du racisme à la haine viscérale, n’est en aucun cas un rejet de l’Homme. C’est, au contraire, dans la mesure du possible, la mise à plat des vérités diverses et contradictoires qui peuvent nous définir aussi bien en tant qu’individus qu’en tant que groupes d’individus. Mises à plat grâce auxquelles la compréhension de la complexité du monde réel, irréductible à l’idéologie, et de se fait, les modalités d’actions choisies dans ce monde, sont plus lucides et par la même plus en phase avec la diversité du réel. Tout juif ou Israélien qu’on se déclare on en reste pas moins homme avant tout !

A propos de la Palestine, crier systématiquement au loup dés que le point de vue Palestinien, ou le racisme Israélien s’expriment sans les gardes fous normatifs, idéologiques, castrateurs et institutionnalisés que sont le rappel du génocide de la deuxième guerre mondiale et le rappel de la souffrance éternelle des juifs,c’est faire preuve de racisme ou d’ignorance.

D’ignorance d’abord, parce qu’il existe, en dépit des protestations de beaucoup à ce sujet, une présentation très biaisée du conflit. Qu’il n’est pas acquis que tout un chacun ai le temps, la disponibilité voir l’envie de creuser cette question. Ceci dit, à tout le moins, une telle situation devrait entraîner une prudence épistémologique, dans un sens, à ce sujet.

De racisme enfin, parce que, conscients de la réalité de l’occupation Israélienne, de l’humiliation infligée, des projets dormants (le transfert) ou en cours de réalisation (le Mur), continuer à présenter Israel comme intouchable, quelque soient les prétextes invoqués, revient à cautionner, autoriser, voir encourager le maintient d’une situation coloniale par définition raciste.

Il n’est pas et n’a jamais été question de nier le génocide de la deuxième guerre mondiale ou l’histoire des juifs. Il est question d’attaquer l’inacceptable ici : l’instrumentalisation de la souffrance quelle qu’elle soit ainsi que de la peur qu’elle génère légitimement, à des fins, politiques en générale, coloniales en particulier.

La question se pose à nous de savoir si un des problèmes ne serait pas que, reconnaître le racisme présent en Israel ne reviendrait pas à accréditer la possibilité de l’occupation ?

1 In « Face à la Guerre , lettre de Ramallah ». Edition Actes Sud. Collection Sinbad. Juin 2003
2 Entre autre in « Victimes : histoire revisitée du conflit arabo-sioniste. ». Editions Complexe. 2003
3 Entre autre « La guerre de 1948 en Palestine. Aux origines du conflit Israelo-arabe. ». Editions La Fabrique.
4 Yesh-Gvul : http://www.yesh-gvul.org/french/
Shministim : http://www.shministim.org/english/index.htm
5 prisoners of Concience : http://www.refuz.org.il/
5 Gush Shalom : http://www.gush-shalom.org/english/index.html
6 Jews Against Zionism : http://www.nkusa.org/
7 UJFP : Union des Juifs Français pour la Paix
8 Sico (Soutient aux Israéliens Contre l’Occupation) : http://www.cedetim.org/palestine/Menu_SICO.html
9 Rabbis for Human Rights : http://www.rhr.israel.net/
10 Texte de la résolution 242 de l’ONU : http://www.un.org/french/documents/sc/res/1967/s67r242f.pdf
11 Nous n’avons trouvé, pour le moment, au format numérique que les extraits suivants : http://perso.wanadoo.fr/shalom-salam/maindependance88.htm Ils sont néanmoins suffisamment éloquents.