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A quand la suppression de la peine de mort ?

Publie le lundi 31 mars 2008 par Open-Publishing

A quand la suppression de la peine de mort ?Libre opinion / lundi 31 mars par Michel Godest
cf bakchich

Nedhal, le matricule 921130 de la troisième division de Fresnes, s’est pendu le 19 mars 2008. Tué par l’indifférence. Rongé par l’attente interminable sous le poids de laquelle la Justice l’avait abandonné. Oubliée, sa présomption d’innocence ! Sa légitime incompréhension de cette situation ne pouvait que le pousser vers cette solution de désespoir.

Ce musulman avait tenté, le 3 octobre 2005, à la demande de l’intéressé et d’un petit groupe d’amis, d’exorciser l’un des siens. De façon totalement involontaire, la « Ruqiah », l’exorcisme, s’achève par un décès. Les secours sont appelés. La Police intervient. Nedhal est aussitôt placé en détention. Abattu par cette catastrophe, il doit affronter les arcanes du système judiciaire français. Choc de cultures.

Les mois passent. L’instruction est close le 3 juillet 2006. Différents rebondissements de procédure entraînent la poursuite de sa détention et une décision judiciaire sur sa responsabilité n’est toujours pas prononcée.

Nedhal ne comprend pas. Il est contraint d’attendre. La douleur terrible de l’attente, de l’inconnu. Ce mal qui vous ronge en permanence, vous lamine. L’attente est bien plus douloureuse que l’exécution d’une peine déjà connue. Pour accepter une détention avant tout jugement, le détenu doit savoir, avec le plus de précisions possible, quand, effectivement, sa culpabilité sera, ou non, reconnue et donc quand il pourra recouvrer la liberté.

Enfin, le 16 octobre 2007, la Cour d’Appel tient l’audience à l’issue de laquelle doit être prononcée la décision tant attendue, non pas sur le fond, mais sur la procédure à suivre. Le délibéré est fixé à un mois.

A nouveau, trente jours d’une nouvelle attente épuisante. Au jour fixé, deux nouvelles souffrances : le délibéré est repoussé et sans indication de date ! Pas la moindre information ne sera ensuite donnée jusqu’à ce que soit enfin rendue la décision, le 21 février 2008, soit… quatre mois après les plaidoiries !

Et cette décision se limite à donner compétence à la Cour d’Assises, après une procédure de « Règlement de Juges ». Quatre interminables mois d’attente pour une décision sur une question de compétence, déjà examinée deux fois par les juges du fond.

Pour toute réponse, le détenu aura un : « Encombrement de la Cour ! », ne souffrant aucune discussion.

La Cour était pourtant parfaitement informée de l’état psychologique catastrophique dans lequel se trouvait Nedhal. L’administration pénitentiaire avait également pu constater les manifestations bien concrètes du désespoir extrême de ce détenu ayant perdu tous repères. Rien n’a été fait.

L’incompréhension a fermé la porte à tout espoir. Cette nouvelle attente a fait peser tout le poids du temps sur cet homme, ingénieur, père de famille sans la moindre histoire. Chaque jour qui passait est alors devenu plus long encore. Le sentiment de ne plus être qu’un dossier, qu’un dossier abandonné, une suite de procès-verbaux, vous laisse au bord du chemin de la vie. « Encombrement ! » « Plus tard ! » Les prolongations de délibéré se sont succédées froidement.

Attente d’autant plus insupportable que le détenu savait bien que la décision en cause n’était qu’une simple nouvelle étape et qu’il lui faudrait à nouveau attendre l’audience au fond. Condamné à attendre pendant plus de vingt-sept mois, condamné à survivre dans le noir, Nedhal était condamné à mourir.

Imagine-t-on ce qu’a dû être la tourmente de cet homme tant pétri d’une religion qui condamne aussi sévèrement une telle fin ? A quel point, ces jours d’attente d’un peu de lumière ont dû être douloureusement vécus, heure après heure. A quel point, ce dernier chemin harassant dans l’obscurité n’a pu être que le catalyseur d’un profond désespoir entretenu par une légitime incompréhension. Oui, mais … « l’encombrement » !

Un prestigieux ancien confrère a estimé que nous sommes dans une période sombre pour notre Justice. Que pèse, effectivement, la présomption d’innocence face aux poids des dossiers qui s’empilent sur les bureaux des magistrats au point de leur cacher leur obligation de respecter ce principe prioritaire ? Que pèse-t-elle, cette loi suprême de la présomption d’innocence lorsque l’indifférence – nourrie d’une bonne conscience administrative – vous condamne à mourir ?

Michel Godest

Avocat au barreau de Paris