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AGIR

Publie le dimanche 13 novembre 2005 par Open-Publishing
2 commentaires

de François DELAPIERRE Données et Arguments A Gauche N°1014

Cela fait longtemps maintenant que nous disons que la France est en état d’urgence politique.Nié, occulté, celui-ci resurgit dans les émeutes urbaines qui touchent le pays. Nous aurions sans doute préféré voir la classe ouvrière organisée déclarer soudain : "On ne marche plus".Mieux aurait valu une insurrection civique à cette explosion de violence dont on ne doit méconnaître ni la dimension autodestructrice ni les arguments qu’elle fournit aux tenants d’une réponse sécuritaire. Mais lorsqu’une chaîne craque, c’est généralement en son maillon le plus faible.

Ce qui se joue dans les quartiers en feu nous concerne tous. "Il y a oppression contre le corps social, lorsqu’un seul de ses membres est opprimé" disait déjà la déclaration des droits de 1793. C’est dire autrement que la République est une et indivisible. question de réalisme autant que de principe. Le ghetto fait toujours tache d’huile. Démenti permanent de l’égalité, déni de l’existence même d’un intérêt général, il menace la République tout entière. Dès lors l’issue de la crise dessine l’avenir du pays.

Il faut donc écarter la tentation du commentaire. Tout ce qui est dit prête à conséquence. L’analyse est un guide pour l’action .... ou pour l’inaction.Si l’on considère ces émeutes comme l’émergence d’un mouvement progressiste doté d’une forme de lutte nouvelle et efficace, il faut donc y participer et envoyer ses propres enfants y prendre part ! Si l’on pense à l’inverse, qu’il s’agit des agissements criminels d’un nouveau "lumpen - prolétariat" bras armé du fascisme, il faut alors comme ce maire, socialiste hélas, de Neuilly- sur-Marne en appeler à l’intervention de l’armée (de métier, faut-il le rappeler ?).

Ceux qui sont allés sur le terrain savent que la réalité échappe à ces deux extrêmes. Ils ont vu un continuum. certains, souvent très jeunes, brûlent des voitures. Parmi eux, des jeunes scolarisés. Parfois même de bons élèves. D’autres s’interrogent, hésitent à en faire autant. Il n’y a pas d’un côté la racaille irrécupérable et de l’autre les petits gars sérieux. Certains peuvent basculer dans la violence, d’autres y renoncer. C’est l’objet d’une lutte politique.

Au premier rang des incendiaires qui encouragent l’extension et le durcissement du mouvement, on trouve le gouvernement. Son attitude depuis 2002 est déjà un argument pour les violents. Lorsqu’on leur propose de manifester pacifiquement, ils rappellent la manière dont le pouvoir a répondu aux luttes sociales. Avec le souvenir encore chaud du mouvement lycéen. Lorsqu’on leur dit que voter serait plus efficace, ils rétorquent qu’il n’en est tenu aucun compte. Les jeunes émeutiers ont intégré la morale du système : seuls les naïfs (les "bouffons" disent-ils) peuvent croire encore à l’engagement collectif et au civisme.

Autres provocations, les dérapages policiers hélas innombrables, la pratique du ramassage au faciès pour faire du chiffre, et la justice d’abattage qui condamne sans preuves des dizaines de jeunes à des peines identiques.

Le pire est sans doute à venir avec la réactivation de la loi de 1955. Le symbole de cette loi coloniale est en lui-même désastreux. C’est accréditer la thèse, défendue par certains jeunes comme par le Front Nationale, que c’est la guerre d’Algérie qui continue ; La logique l’est tout autant. Inapplicable là où la situation est la plus dégradée, le couvre-feu conduit ailleurs à laisser la rue au tête-à-tête entre une jeunesse désespérée et des forces de l’ordre opérant sans témoins. En outre cette loi d’exception autorise l’assignation à résidence, les perquisitions de nuit, l’interdiction des réunions ou des rassemblements de plusieurs personnes... que faire alors ?

D’abord, agir. Ne rien faire accrédite l’idée que l’horizon est bouché. C’est laisser la voie ouverte à ceux qui veulent utiliser cette occasion pour substituer la question nationale/sécuritaire à la question sociale. C’est laisser les ennemis de la République avancer tranquillement leurs "solutions" : communautarisme religieux, escalade sécuritaire avec le recours aux forces armées...

Dans ce moment, le rôle des militants de gauche est de discuter, favorise des actions collectives, inviter chaque citoyen à s’impliquer et intervenir. Ici, les militants associatifs protègent les équipements publics. Là, des rondes citoyennes assurent présence et dialogue. Ailleurs, les services municipaux sont sur le pont pour réparer les dégâts dès qu’ils se produisent. Dans tous les cas, une démarche de ré-appropriation de l’espace public se met en place.

Car il ne s’agit pas de prôner simplement le "retour à l’ordre républicain". Ce dernier n’a de républicain que le nom. C’est d’ailleurs dans les quartiers où règne le trafic de drogue que la situation est souvent la plus calme : les dealers entendent bien protéger leur business. Est-ce ce calme là que nous voulons pour les quartiers ? La colère qui s’exprime doit donc être entendue. Nous ne faisons pas confiance au gouvernement pour y répondre. C’est donc à chacun de nous de le faire.

Messages

  • Tract diffusé samedi matin à Aubervilliers :
    " Banlieues les jeunes en colère
    Depuis une quinzaine de jours, les banlieues de la région parisienne et de l’ensemble de la france connaissent des évènements graves : incendies de voitures, saccage de lieux publics et d’enreprises, affrontements avec les forces de l’ordre ; etc. A Aubervilliers, des dizaines de véhicules ont été brûlés ou vandalisés et la salle de sport du collège Gabriel Péri a été incendiée. Le gouvernement de Villepin a décrété l’état d’urgence, ce qui ne c’était pas vu depuis ans !
    Les responsables politiques s’interrogent sur les raisons de ces flambées de violence. On parle de "ghettoïsation", d’échec de l’intégration, de "zones de non droit", d’intégrisme, de trafics, etc. Les journalistes se penchent sur les habitants des banlieues comme si nous étions les indigènes de contrées reculées et dangereuses.
    Pas plus que lors du referendum sur le traité constitutionnel européen, on ne pose les véritables problèmes : la crise économique qui sévit depuis plus de ans, le fossé qui se creuse entre les classes populaires et les élites, le chômage de masse, la casse du sytème social hérité de l’après-guerre, la précarité vécue par les couches les plus pauvres de notre pays. Personne n’aborde le problème de fonds : la violence de la société capitaliste.
    Que veulent-ils, ces jeunes qui "cassent" ? Un travail stable et correctement rémunéré, pouvoir s’installer dans un logement décent, avoir des enfants qui aillent dans des écoles de qualités, etc. En un mot, s’insérer dans la société. Ils se révoltent contre un système injuste qui est en train de les broyer parce qu’il n’offre aucune perspective. Pire, leur seul horizon est fait de chômage, de petits boulots, de débrouille...
    Evidemment, on ne peut pas se réjouir de la manière dont cette révolte se traduit. En s’en prenant aux voitures de leurs voisins aussi pauvres qu’eux, en détruisant les équipements collectifs de leurs quartiers, ils se trompent de cibles. Mais n’est-ce pas normal ? Les partis et les syndicats ont depuis longtemps disparu des quartiers populaires. Les jeunes sont livrés à eux-mêmes. Ils n’ont ni conscience de classe ni perspectives de luttes. Leur révolte s’exprime de la manière la plus stupide qui soit, par la destruction des symboles immédiats de l’Etat et de la société.
    Les mesures annoncées par Sarkozy et de Villepin vont-elles régler quoi que ce soit ? Non.
    Le déploiement policier peut ramener un semblant d’ordre. Mais le malaise social qui existe ne disparaîtra pas avec la répression. Il risque au contraire de s’aggraver. La prochaïne fois, les émeutes pourraient être encore plus violentes. Et les jeunes des banlieues pourraient bien être rejoints par d’autres qui vivent eux aussi l’exclusion : jeunes diplômés, chômeurs, précaires, sans papiers,...
    Comment sortir de cette situation ? Il faut arrêter la politique de casse sociale menée depuis ans par la gauche comme par la droite. Quelques mesure simples permettraient d’améliorer la situation des banlieues :
     augmenter le nombre d’enseignants pour un meilleur encadrement dans les écoles, les collèges et les lycées des quartiers populaires ;
     favoriser l’installation d’industries et d’entreprises, et la création de véritables emplois en CDI correctement rémunérés ;
     construire des logements sociaux de qualité qui manquent cruellement aujourd’hui."
    Gauche communiste / PCF - , Bd Félix Faure - 93300 Aubervilliers

  • Cher François,

    Avez-vous lu le "Canard Enchaîné" de cette semaine ?

    Dans un article de Jean-François Jilliard il est fait état que le premier ministre, Dominique de Villepin, venait de décider de supprimer 310 millions de crédits consacrés aux quartiers et au "publics en difficultés" juste avant le début des émeutes....

    Ils font des promesses, entr’autres celle de rétablir les aides que la droite à supprimées dès son arrivée.

    Et, ils se demandent comment ils vont, en raclant les fonds de tiroirs, arriver à trouver 150 milions ?

    "Les promesses n’engagent que ceux qui les croient"

    Bon courage !

    Michèle