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BIRMANIE : FRANCE CULTURE EST-ELLE LA VOIX DE LA DIPLOMATIE FRANCAISE ?
Publie le mardi 19 juin 2007 par Open-PublishingBIRMANIE : FRANCE CULTURE EST-ELLE LA VOIX DE LA DIPLOMATIE FRANCAISE ?
La nomination de Bernard Kouchner comme ministre des Affaires étrangères du gouvernement français aurait-elle une influence sur le traitement médiatique de la situation en Birmanie ? Il semble que oui au vu de l’émission « La société des nations » du vendredi 25 mai consacrée à la Birmanie sur France culture.
La diplomatie française s’est toujours montrée soucieuse des investissements français dans ce pays, malgré ses appels récurrents à la libération de Madame Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix 1991 et secrétaire générale de la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND), qui remportait les élections législatives de 1990, non reconnues par les généraux au pouvoir . Le nouveau locataire du quai d’Orsay avait en 2003 rédigé un rapport dédouanant Total des accusations qui lui ont été faites d’avoir bénéficié du travail forcé des populations locales sur le chantier de son gazoduc.
Peut-être la direction de France Culture n’a-t-elle pas souhaité revenir sur ce dossier toujours sensible ? Tout s’est en effet passé comme s’il y avait eu une volonté délibérée de décrédibiliser toute opposition à la junte au profit d’une approche attentiste, et favorable aux intérêts français en Birmanie. A commencer par le remplacement complet du plateau, initialement constitué avec la collaboration d’Info Birmanie. Ainsi a-t-il été demandé à M. Harn Yawnghwe, directeur de l’Euro Burma Office, de même qu’à Madame Claude Delachet-Guillon, auteur d’ouvrages sur la Birmanie et présidente du COSEFEB , de se désister au profit d’experts pour la plupart issus des rangs de la diplomatie française. Pour préserver l’illusion d’un débat contradictoire, Info Birmanie se voyait substituer la comédienne Philippine Leroy-Beaulieu, imposée par la direction de la radio comme représentante des défenseurs de la démocratie en Birmanie.
Face à un panel d’experts égrenant approximations et erreurs (le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies devenant le « Haut Commissariat de la Croix-Rouge »), l’actrice aura été incapable de se départir d’une vision romantique des enjeux politiques. D’Aung San Suu Kyi, de nouveau assignée à résidence par la junte militaire, elle déclarera : "C’est très beau de se prendre soi-même en otage".
Bien plus grave sera l’affirmation du géographe Guy Lubeigt selon laquelle la population Rohingya n’existe pas, assertion soutenue par la junte, qui s’appuie sur une reconstruction de l’histoire birmane justifiant l’oppression de cette minorité musulmane de l’ouest du pays .
L’essentiel de l’émission aura en fait consisté en généralités renvoyant tout ce qui peut être entrepris à un échec programmé. Les sanctions économiques seront décrites comme préjudiciables aux populations, sans préciser que ce sont les démocrates birmans eux-mêmes qui réclament cette politique et qu’il s’agit de sanctions ciblées visant des intérêts stratégiques. Qu’en est-il des investissements occidentaux, et notamment français, dans la région ? On aura appris que Total a « fait plutôt mieux que les autres compagnies étrangères ». Il n’est pas apparu aux intervenants que les 12 millions de dollars US investis dans quelques projets sociaux sont sans commune mesure avec les 400 à 450 millions de dollars US apportés par Total à la junte militaire, sur laquelle le pétrolier ne saurait exercer aucun contrôle. Quant aux accusations de travail forcé, Total a choisi d’indemniser les plaignants en échange du retrait de leurs plaintes, et a bénéficié en mars 2006 d’un non-lieu pour des raisons de procédure. Toutefois la juge Katherine Cornier estimait que « la réalité des faits dénoncés ne [pouvait] être mise en doute ».
Il n’a été à aucun moment question des revendications d’une opposition qui demeure pourtant active à l’intérieur comme à l’extérieur du pays.
Elle demande une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies sur la Birmanie (une initiative soutenue par la France) et la mise en place d’un processus de négociations multipartites sur le modèle de ce qui a pu être entrepris en 2003 avec la Corée du nord. Les presque vingt ans d’engagement d’Aung San Suu Kyi en faveur de la démocratie et de l’amélioration des conditions de vie de son peuple sont ramenés à une « inflexibilité » quasiment identique à celle des généraux. Jean Hourcade, ancien conseiller culturel à l’Ambassade de France en Birmanie, expliquera que le parti d’Aung San Suu Kyi avait refusé de prendre part à la Convention nationale pour la rédaction d’une nouvelle constitution voulue par le régime. Une affirmation pourtant contredite par les faits : de janvier 1993 à novembre 1995, la LND aura participé à la Convention nationale, qu’elle quittera en déclarant y avoir été forcée de ratifier les décisions de la junte.
Mais à renvoyer quasiment dos à dos dictateurs et démocrates, à omettre la mobilisation toujours vive d’une grande partie de la population (530 000 personnes ont eu en octobre 2006 le courage de signer une pétition demandant la libération des prisonniers politiques, et des opposants continuent de manifester leur opinion dans les rues de Rangoon malgré les persécutions et les arrestations), l’émission de France Culture sur la situation birmane aura abouti à un unique constat : tout a été tenté, il n’y a plus rien à faire. Et puisque les investisseurs français ont plus d’éthique que leurs homologues asiatiques, leur présence en Birmanie est encore la moins mauvaise chose qui puisse arriver à ce pays. L’émission, si elle n’a pas réveillé les consciences, aura au moins permis à la diplomatie française de dormir sur ses deux oreilles.
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