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Bloomberg contre la Fed

Publie le mercredi 12 novembre 2008 par Open-Publishing
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Bloomberg contre la Fed, par Paul Jorion

11 novembre 2008

L’agence Bloomberg intente une action contre la Fed qui refuse de divulguer quels sont les bénéficiaires des prêts accordés en échange de la prise en pension de collatéraux, de titres gagés, suspectés d’être toxiques. Notons au passage que le problème n’est pas spécifiquement américain.

La BCE, dont le bilan, comme celui de son homologue US gonflé par les prêts octroyés, vient lui aussi de dépasser - en euros - la somme astronomique de 2 000 milliards, s’était alarmée il y a peu de la qualité des titres reçus en dépôt. Tout cela peut sembler très technique, pourtant l’enjeu est on ne peut plus simple. En cas de faillite de l’emprunteur ou de dépréciation massive des titres gagés, c’est le contribuable qui paiera tout ou partie de la facture.

Par Paul Jorion, 11 novembre 2008

Ce texte est un « article presslib’ » (*)

Un fait divers passé relativement inaperçu mais pourtant fondamental : l’agence de presse Bloomberg a déposé plainte le 7 novembre contre la Fed dans le cadre du Freedom of Information Act pour refus de divulguer des informations publiques.

Jusqu’au 14 septembre, la Fed n’acceptait de prêter de l’argent aux établissement financiers que contre la mise en gage d’instruments de dette de bon aloi : Bons du Trésor et Mortgage-Backed Securities (MBS) émises par Fannie Mae et Freddie Mac. Depuis, elle a ensuite étendu les options en acceptant comme collatéral un peu importe quoi : Asset-Backed Securities (ABS) adossées à des prêts subprime et Collateralized-Debt Obligations (CDO) en particulier. Le résultat ne s’est pas fait attendre : les sommes empruntées ont grimpé de 140 % en sept semaines.

La Fed refuse de divulguer de qui elle a accepté de prendre en pension ces instruments de dette potentiellement toxiques et à quelles conditions. Pourtant si l’emprunteur devait faire défaut elle s’en retrouverait propriétaire. Bloomberg la poursuit en justice : il s’agit dit l’agence de sommes considérables (2 000 milliards de dollars à ce jour) et de l’argent du contribuable et celui-ci a le droit de savoir comment ces sommes sont utilisées.

Bloomberg n’en dit pas plus quant aux motifs propres de l’agence mais on peut penser à deux choses : tout d’abord bien sûr le souci d’une agence de presse spécialisée dans l’information financière que cette information lui demeure accessible, ensuite peut-être une préoccupation de son patron, Mr. Mike Bloomberg lui-même, le maire actuel de New York qui, s’il s’est finalement abstenu de poser sa candidature à la présidence des États-Unis, n’a pas pu manquer de remarquer que la défense du contribuable est en ce moment très appréciée des électeurs. Son second mandat de maire de New York touchant bientôt à sa fin, il a récemment réussi à faire voter une mesure lui permettant de briguer un troisième mandat au lieu des deux autorisés jusque-là. Le poste de gouverneur de l’état de New York, auquel il s’intéresse aussi, doit être lui renouvelé en 2010.

La Fed justifie à mots couverts son refus de communiquer le nom des bénéficiaires des prêts ainsi que les sommes avancées pour les instruments de dette mis en pension auprès d’elle, laissant entendre qu’elle ne leur fait pas de cadeau en ne payant que des clopinettes mais qu’il ne serait pas bon que ces prix ridiculement bas soient connus du public. Elle s’expose toutefois à la suspicion légitime qu’elle paie au contraire des prix beaucoup trop élevés, renflouant avec trop de largesse les banquiers avec l’argent du contribuable.

Il existe bien entendu un paradoxe dans le fait que Mr. Paulson, le Ministre des Finances américain, crie sur tous les toits : « Transparence ! Transparence ! », rejoint en cela par Mr. Bernanke, président de la Fed, s’égosillant en chœur : « Transparence ! Transparence ! » mais que quand il leur est demandé de communiquer l’information dont ils sont seuls à disposer, ils s’indignent et déclarent que ce serait très malvenu.

Voilà donc que depuis des mois on s’inquiète de trouver un prix à ces instruments de dette dont plus personne ne veut et que quand la Fed leur assigne précisément un prix en acceptant de les prendre en gage, elle refuse obstinément de dire ce qu’il est. Pourquoi ? Parce que, selon ses dires, elle devrait alors mentionner aussi le nom des parties impliquées et que cela, non seulement les stigmatiserait, mais les désignerait à l’attention des vendeurs à découvert qui se rueraient comme un seul homme pour précipiter leur chute.

Je n’y crois pas. Je ne crois pas non plus que ce soit parce que la Fed brade - encore qu’on ne soit jamais entièrement à l’abri d’une mauvaise surprise de ce côté-là - je crois plutôt qu’elle se refuse à communiquer l’information en raison d’un tabou idéologique : parce qu’il est question ici de prix fixés par la Fed - donc d’une manière détournée par l’État - alors qu’un prix ne dispose que d’une seule manière légitime d’être formé : par le dieu tout-puissant Marché et que tant que celui-ci est dans le coma - comme il l’est depuis plus d’un an déjà - on préférera continuer à prétendre qu’il n’y a pas de prix.

Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment La crise. Des subprimes au séisme financier planétaire L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008) et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).

Sur le Web :

Bloomberg : Fed Defies Transparency Aim in Refusal to Disclose - 10/11/08

Article communiqué par Paul Jorion

* Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.

http://www.pauljorion.com/blog/?p=966

http://contreinfo.info/article.php3?id_article=2333

Messages

  • Les centaines de milliards qui ont été injectés dans les systèmes bancaires, ne sont parvenus pour le moment qu’à ramener le TED spread sous les 2%, alors qu’une valeur « normale » serait de l’ordre de 0,5%.

    On peut sans doute sourire aux propos de René Ricol avertissant qu’il allait dénoncer - menace suprême ! - à Nicolas Sarkozy les banques qui refuseraient d’octroyer des crédits. Ils manifestent le désarroi d’autorités qui, si elles sont parvenues à interrompre la chute vers les abysses, ne savent toujours pas comment elles parviendront à relancer la machine économique et financière, tant les dégâts sont importants.

    Cette première phase aigue de la crise financière semble derrière nous. Mais ce n’était pourtant que le prologue de ce qui s’annonce aujourd’hui. La pire récession jamais vue depuis les années 1980, avec son lot de faillites, de chômage et de misére sociale.

    Et ce deuxième round est abordé avec un lourd handicap.

    Brad Setser notait récemment la naissance d’un club très fermé. Celui des banques centrales dont le bilan excède les 2000 milliards, constitué par la Chine et les USA.

    Il a pourtant commis un oubli de taille : la BCE et l’ensemble de l’Eurosystème a atteint un bilan consolidé de 2 031 milliards au 31 octobre, dont 839 sous forme de prêts accordés aux banques.

    La Fed et la BCE, les deux quartiers généraux de l’opération de sauvetage désespérée de l’économie et de la finance mondiale sont chargées à ras-bord de créances douteuses déposées en gage des refinancements qui se traduisent déjà côté US par une augmentation de la dette de plus de 900 milliards en deux mois.

    Le risque est grand de ne pouvoir soutenir encore longtemps ce rythme effréné de la valse des centaines de milliards engloutis dans les renflouements pour soutenir le cours d’actifs dévalués et invendables et venir en aide aux entreprises de l’économie réelle étranglées par la dette et l’effondrement de leur chiffre d’affaire, comme l’illustre la situation de General Motors qui a annoncé qu’elle serait à court de trésorerie avant la fin de l’année à défaut d’un soutien de l’Etat.

    En l’absence de la mise en place d’une solution extraordinaire de refinancement à coup de Droits de Tirage Spéciaux - sorte de super monnaie qu’imprimerait le FMI - ne resterait alors face au coup de ciseau de la déflation des actifs et du ralentissement économique que l’arme ultime de liquidation de la dette, l’inflation généralisée.

    On attend toujours une plainte d’ATTAC ou d’autres contre la BCE sur le modele de celle de l’agence US ? :

  • La « Plunge Protection Team » ou le détournement d’un instrument de protection au profit d’une politique de manipulation

    - Extrait GEAB N°8 (15 octobre 2006) -

    Si vous étiez abonnés au GEAB, vous auriez lu ce qui suit dès le 15 octobre 2006 :

    Dans ce contexte, une vaste offensive s’est mise en place en terme de communication. Elle reprend les mêmes logiques que celles concernant l’Irak avant l’élection présidentielle de 2004 : empêcher les électeurs de prendre conscience de l’ampleur du désastre en cours en les inondant de nouvelles fictives, en noyant toute « mauvaise » nouvelle objective dans une multitude de « bonnes nouvelles » subjectives (c’est ce qu’un économiste américain a appelé « la transformation des indicateurs en vindicateurs » (1)), en élaborant chaque semaine de nouvelles explications prouvant que l’actualité si « positive » est durable,…

    En fait, on assiste depuis deux mois, et pour encore un mois, à un remarquable exercice de guerre psychologique probablement coordonné par le très secret « Working Group on Financial Markets » (Groupe de Travail sur les Marchés Financiers) créé par l’Executive Order 12631 (2) sous Reagan (3) en Mars 1988, ou autrement dénommé par le Washington Post (4), le « Plunge Protection Team » (Equipe de Protection contre les Plongeons). Ce groupe de travail a été créé à la suite de la crise boursière d’Octobre 1987 avec l’objectif de « promouvoir l’intégrité, l’efficacité, la régularité et la compétitivité des marchés du pays, et de maintenir la confiance des investisseurs ».

    Ce groupe qui ne produit aucun rapport, n’a aucune visibilité publique et ne détaille ni l’ordre du jour, ni la composition de ses réunions, est dirigé par le ministre des Finances (Henry Paulson) et comprend le président de la Réserve fédérale (Ben S. Bernanke, ancien conseiller de G.W. Bush, nommé à ce poste fin 2005) et les deux présidents des autorités de surveillance des marchés : le président de la Securities and Exchange Commission Christopher Cox (nommé à ce poste par G.W. Bush en 2005), et Reuben Jeffery III (nommé également par G.W. Bush à ce poste, après avoir été son conseiller), un des directeurs de la CPA, autorité américaine de transition en Iraq et également un ancien de Goldman Sachs comme H. Paulson.

    Comme on peut le constater, la double influence de l’administration Bush et de la banque Goldman Sachs est totale sur cette entité qui a vocation à coordonner l’action des principaux acteurs publics et privés américains (invités à participer aux travaux du groupe) autour de l’objectif de « bonne santé » des places financières américaines. Avec la disparition de la publication de M3, fin Mars 2006, et de nombreux indicateurs permettant de suivre l’évolution notamment des flux d’actifs en dollars dans le monde, ainsi que les actions éventuelles de la Fed et du Trésor américain sur les marchés (5), ce groupe de travail possède désormais des possibilités d’action accrues puisque non traçables ; et comme indiqué précédemment (cf. note 6), les « hedge funds » semblent être les premiers opérateurs sollicités pour acheter du Dollar et maintenir son cours. Pour combien de temps ? Et à quel prix ? Réponse dans quelques semaines après les élections.

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    Notes :

    (1) Source : Energy Bulletin, 05/10/2006 : Economics Hallucinated Wealth

    (2) Source : Federal Register , US National Archives, 11/1998, Executive Order 12631 / Working Group on Financial Markets

    (3) Quand George H.W. Bush, le père de l’actuel président américain était vice-président.

    (4) Source Washington Post, 23/02/1997 : Plunge Protection Team

    (5) Source LEAP/E2020, 15/02/2006 : GEAB N°2

    http://www.24hgold.com/actualite-or-argent-La--Plunge-Protection-Team--de-la-protection-a-la-manipulation.aspx?langue=fr&articleid=252893_Manipulation_des_marches