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Brexit, et les gagnants sont....

par Lenoir

Publie le mercredi 6 juillet 2016 par Lenoir - Open-Publishing
3 commentaires

Suite au Brexit, les réactions sur la toile et les réseaux sociaux sont allés vite, très vite et trop vite. Nous avons pu voir les tenants du système étaler leur amertume. Nous avons pu entendre l’extrême droite exulter... Et nous avons aussi pu lire et écouter des déclarations émanant de « forces de gauche » (de la « gauche radicale », à l’extrême gauche jusqu’aux libertaires...), se réjouir (avec plus ou moins de prudence et de retenue) de cette expression « du peuple » qui mettait à mal les schémas de « l’oligarchie » européiste et atlantiste...

Mais fêter ce brexit comme s’il constituait une victoire contre les classes dominantes et le capitalisme est, de notre humble point de vue, parfaitement absurde ! Et comment ne pas voir que deux pièges grossiers nous sont tendus ?

Le premier est lié à la question du positionnement politique à adopter sur la question de l’Europe (et donc, par ricochet, sur la question du retour au souverainisme et à l’Etat Nation). Le second est lié, de façon quelque peu tortueuse et perverse, à la question de la démocratie et de ce que pourrait être (ou pas) un dépassement de la démocratie représentative. Commençons par le premier...

Quelle « victoire » ?

Tout d’abord, il faut une sacrée capacité d’auto-suggestion pour se convaincre qu’un tel vote pourrait être « positivé » ou, comme l’a récemment déclaré J.L. Mélenchon que « le peuple a voté avec des aspirations profondes à être maître de sa vie, individuellement et collectivement »... C’est sans doute pour cela que le même « peuple » avait majoritairement porté les conservateurs et Cameron au pouvoir ! Tant que l’on y est, pourquoi aussi ne pas y voir des aspirations à la révolution sociale et libertaire... Et justement, quelle ne fut pas notre surprise de lire dans les colonnes d’Alternative Libertaire que ce vote « met en échec le capitalisme », qu’il est un « vote de classe sans appel » et que « Les perdants de la mise en concurrence exacerbée de tous contre tous ont pris leur revanche »... La majorité électorale de Grande Bretagne serait donc devenue, sans que l’on ne s’en rende compte, un fer de lance de la lutte pour l’émancipation économique, sociale et solidaire !

Soyons sérieux. La campagne électorale a été un grand moment de non débat. Caractérisée par une vacuité extrême de tout programme d’alternative digne de ce nom. Dans un contexte de peur et de replis sécuritaire, c’est le racisme, la xénophobie qui en sont les principaux traits. Et, malheureusement, il n’y a pas que cela. La nature des critiques adressée à « l’Union Européenne » est dérangeante. On peut, on doit critiquer son ennemi, mais pour les bonnes raisons. A contrario, de mauvaises raisons peuvent nous embarquer sur des voies aux antipodes de l’objectif recherché... Et pour l’épisode dont nous parlons, ce ne sont même pas des « arguments » sur le fond, qui ont joué mais de vagues représentations largement manipulables et manipulées par les classes politiques nationales. A aucun moment il n’y a eu prédominance d’une approche rationnelle. Le fameux « peuple » (et personnellement, je ne sais trop à quoi correspond ce concept vaseux), qu’il s’agisse de sa fraction anti ou pro « Union européenne » s’est laissé raconter des histoires, une fois de plus. Nous avons l’habitude de déconstruire les sornettes des « pro UE » qui n’ont plus aucun projet, plus aucune morale, plus aucune retenue dans l’application d’une politique de casse de tout ce qui peut ressembler de près ou de loin à des garanties sociales. Il faut aussi s’intéresser aux fables « anti UE » car, comme dit le proverbe, l’enfer est pavé de bonnes intentions.

L’empire du mal ? Où ça ?

Alors, interrogeons-nous un peu plus intensément sur l’origine de cette propension à croire que « De l’union européenne ne viennent que chômage et misère » (Dixit sieur Mélenchon). Quelle est donc cette étrange idée selon laquelle les maux du capitalisme viendraient seulement des institutions européennes ? Prenons par exemple la loi El Khomri... Elle serait là parce que l’UE l’aurait recommandé ? Mais depuis quand un Etat est-il obligé de suivre une recommandation de la commission européenne ? Bien sûr, on nous ressortira toute la liste des critères européens de convergence, les fameux « critères de Maastricht », à savoir (interrogation écrite..?)... et bien : la stabilité des prix avec lutte contre l’inflation, un déficit public inférieur à 3% du PIB, et une limitation des taux d’intérêt à long terme. On pourrait trouver à redire, bien entendu, sur le « 3% » (qui est une invention bien de « chez nous », du gouvernement français). La principale critique étant la non discrimination entre la « bonne » et la « mauvaise » dette (celle qui a pour vocation de couvrir des investissements publics). Mais en tout état de cause, faut-il rappeler (tellement ce devrait être évident) que ces critères n’empêchent en rien de pratiquer une autre politique de redistribution des revenus, d’aller sur une réduction conséquente des inégalités, de mettre en place une toute autre politique fiscale, de mettre un terme à la fraude fiscale des puissants, aux cadeaux fiscaux et sociaux en faveur des grandes entreprises ! Tout cela serait possible, dans le cadre de l’Union Européenne et en Euros. Et je mets quiconque au défi de prouver le contraire... Mieux encore, nous pourrions nous demander pour quelle raison il faudrait absolument creuser les déficit pour relancer la « machine » économique (et quelle machine ?).

La question n’est pas celle-là.

La question est de s’attaquer aux causes de l’appauvrissement programmé de l’Etat et de la casse, par sabotage, de notre protection sociale (et au fait, entre autres choses, qu’aucun grand groupe ne paye l’impôt sur les sociétés ou que les grandes firmes arrivent à extorquer, par évasion fiscale, quelques mille milliards d’euros à l’échelle européenne !). Passons. Ce que nous affirmons ici doit être clair : faire de l’union européenne l’alpha et l’Oméga du Mal incarné est politiquement désastreux.

Ce sont d’ailleurs largement les classes politiques des Etats membres qui se retranchent derrière l’UE pour ne pas avoir à assumer des choix et des orientations qui leur sont propres. Le citoyen lambda zappe très vite le fait que les politiques européennes en questions sont celles qui sont décidées par les Etats Membres. Ce n’est pas la commission européenne qui décide. la Commission européenne est, par délégation du Conseil, l’organe d’exécution des politiques et des actes adoptés par le Conseil. Et le Conseil, ce sont les ministres des Etats membres (en dix formations « compétentes » au sens juridique du terme !). Donc, soyons précis. La politique de l’Union Européenne est faite par les Etats membres et par personne d’autres.

« Sortir »... de quoi ?

Sortir de l’Union Européenne sans rien changer d’autres, sans toucher à la « loi du marché », sans remettre en question un système qui fonctionne par et pour le Profit maximum, qui repose sur la propriété privée des entreprises et sur des rapports d’exploitation, nous permettrait d’aller vers plus de bien être social ? Allons donc ! « Sortir », tout joyeux de la « victoire contre l’oligarchie » (?) pour retomber , dans les bras du bon vieux capitalisme national, avec la bonne vielle bourgeoisie nationale, et une bonne vielle monnaie nationale... ? Qui sont les dindons de la farce ? C’est une supercherie grotesque, un jeu de dupe, un piège à rat !

Tout ce qui peut surgir du chapeau, c’est une crispation renforcée et nauséabonde autour de « l’Etat Nation ». A ce bel Etat Nation, qui va enfin nous permettre de décider « entre nous » ce que l’on veut (on entend d’ici le « on est chez nous ! » scandé par les partisans enfiévrés du Front National). Ce merveilleux Etat Nation qui va nous protéger, qui va sauver... quoi ? Notre protection sociale ? Notre Code du travail ? Notre liberté d’expression et de manifestation ? Parlons-en, surtout en ce moment ! Ce n’est pas l’Union Européenne qui, en France, bafoue les droits démocratiques les plus élémentaires.

La réalité, sur ce point, comme sur d’autres, c’est que notre seul salut est non pas dans la sortie de l’UE mais dans une sortie du capitalisme, sans hésitation, sans tergiversations. Car le capitalisme, à fortiori lorsqu’il est financiarisé comme aujourd’hui, ne se régule pas, ne se dompte pas. Sans remise en question de ses bases (la propriété et le salariat) nous n’aurons rien que ce soit « dans » ou « en dehors » de l’UE. Et nous rajouterons même, au risque de provoquer les hurlements des tenants de la nouvelle pensée politiquement correcte d’une certaine frange de la gauche radicale (qui ne veut plus rien entendre d’autre que les « exit »), que cela peut et doit se construire

1/ en restant dans l’Union Européenne,
2/ en pratiquant une désobéissance aux points précis des traités qui doivent être redébattus (et personne ne « sortira la France de l’UE pour cette raison !)
3/ en continuant à lutter pour une autre Europe, en sachant que le développement d’une alternative anticapitaliste et citoyenne ne peut se penser « dans un seul pays ». Si un tel mouvement voit le jour, il sera forcément commun à plusieurs régions et pays de la zone Europe. Mais encore faut-il avoir des revendications et des propositions de transformations claires, compréhensibles, audibles.

De l’arnaque référendaire... pour mieux enterrer l’idée d’une démocratie réelle et continue ?

Pour terminer, disons quelques mots sur le second piège que nous évoquions en début de billet. C’est celui de l’image du « référendum » que l’on nous vend. Il y a encore dans cette affaire une belle escroquerie ! Nombre de commentateurs (partisans) et d’éditorialistes (idéologues) se plaisent depuis quelques jours à nous mettre en garde contre cette folie que représenterait la « démocratie directe ». Voyez, braves gens, comment ce référendum a conduit à une telle « monstrueuse erreur » ! Le peuple est donc « bête » et la Raison nous commanderait de rester sagement dans le giron de la démocratie représentative car nul ne peut, mieux qu’un professionnel de la politique, être suffisamment informé et compétent, et donc savoir ce qui est bon, ou pas, pour nous... Haro sur la populace qui tente de faire comme si elle était « adulte ».
Seulement voilà, il y a un hiatus. Jamais les révolutionnaires, et les partisans d’une démocratie réelle, ne sont sont illusionnés sur le caractère « ultra démocratique » du référendum. Historiquement, les référendums ont toujours été utilisés par les classes dominantes comme des plébiscites. Ils consistent, par définition, à poser une question simple et simpliste, à laquelle on doit répondre par « oui » ou par « non ». Cela ne peut que cliver des débats qui restent, en règle générale, faussement publics et réellement manipulés par les Chiens de Garde des grands média (aux mains que quelques milliardaires). J’avais récemment découvert l’ouvrage de Dominique Rousseau (« radicaliser la démocratie »). J’y retrouvais d’anciennes et justes critiques du mode référendaire (et cela me rappela également certains textes de Proudhon en critique de la « démocratie directe »). Bref, le référendum est avant tout un « acte d’acclamation », et ce n’est pas pour rien que le FN le revendique. Il est d’autant plus dangereux qu’il se targue d’être l’expression directe du Peuple ». Qui peut donc aller contre la décision du Peuple ?

Mais ce faisant on en oublie le contexte et la méthode.

D’abord, sur le contexte. Dès le départ les dés sont pipés. Le référendum se pratique dans une situation générale et ancienne de désinformation massive. Les citoyens sont consultés (le référendum n’est pas décisionnel), à la demande du pouvoir, sauf dans les très rares pays où il existe « l’initiative populaire » (la Suisse et l’Italie en Europe). Ainsi, chacun pourra observer qu’il n’y a pas de référendum envisagé sur la loi Travail... Mais que le gouvernement fait un référendum sur un panel tronqué de la population pour obtenir la réponse qui l’arrange, sur l’aéroport de NDDL. Le « peuple » est consulté sur des micro-segments de problématiques politiques : une « mesure phare », un bout de réforme constitutionnelle, etc. Avant, pendant et après que soit offert ce spectacle référendaire, les citoyens demeurent tout aussi dépossédés de pouvoir réel que dans une démocratie représentative « pur jus ».
Ensuite, du point de vue de la méthode, un référendum ne peut être intéressant pour les démocrates que nous sommes, que s’il signifie l’organisation et la conduite d’un authentique débat public. Ce qui peut d’ailleurs permettre de complexifier les questions, avec différentes options, sans ramener le sujet à un « oui » ou « non ». C’est là que se fait la différence entre la démocratie référendaire (qui reste une « annexe » de la démocratie représentative) et la démocratie que nous nommons « continue ». Dans la démocratie continue, on débat, on analyse, on informe, on se forme, on parlemente, on étudie les différentes pistes, on imagine, on recherche des solutions et, autant que possible, on fabrique du consensus. Chacun est amené à altérer ses positions, et le débat amène quelque chose de nouveau (rappelez-vous le « thèse, antithèse, synthèse » !). Cela peut se faire dans le cadre d’une démocratie refondée, à partir de l’échelle locale (communale) jusqu’aux plus grands territoires géographiques, en privilégiant les travaux de groupes citoyens, en organisant partout et localement des conventions citoyennes chargées de faire les synthèses des travaux locaux, etc. C’est à ce prix que l’on peut envisager, si nécessaire au bout de plusieurs mois de débats publics, des prises de décisions citoyennes solidement étayées et argumentées, et signant une volonté d’un peuple réellement existant parce qu’en action.

Car, pour finir sur une pointe quelque peu polémique, nous nous permettrons d’adresser une recommandation aux actuels (ex ?)-marxistes reconvertis au plus traditionnel nationalisme (rebaptisé « souverainisme » pour l’occasion). Ces militants devraient se souvenir des analyses d’un Marx qui soulignait la différence notable entre les notions de « classes en soi » et de « classes pour soi ». Ainsi, en paraphrasant cet illustre ancêtre de la vraie gauche (je dis cela d’autant plus facilement que je n’ai jamais été de culture marxiste mais libertaire), on pourrait affirmer que le « peuple en soi » n’existe pas, qu’il n’est qu’une vision fantasmatique d’une production idéologique (toujours au sens marxiste !). Ce qui peut exister, c’est le « Peuple pour soi », à partir du moment où la conscience de classe le fait se définir en opposition avec les exploiteurs capitalistes (qui ne font pas partie de « lui ») et qu’il se met en marche, physiquement et intellectuellement.

A bon entendeur,
Et vive la sociale !
Régis Lenoir

Messages

  • On ne sait pas trop ce Junker manigance avec les extraterrestres.
    https://www.youtube.com/watch?v=tR6rPdlr0Z0
    Plus sérieusement, tout cela concerne les bourgeoisies des différents Etats européens, en aucun cas les travailleurs. Il n’y a pas grandes différences entre la condition ouvrière en Norvège ou en Suisse et en Suède ou en Allemagne. Cela dépend de la force des syndicats, ça n’a rien à voir avec l’appartenance ou non à l’UE

  • il faut etre aveugle et sourd pour ne pas comprendre que l’ue est la forme qu’ont choisi les capitalistes a un moment de l’histoire pour défendre leur domination ce qui s’est passe en grece et au Portugal avec les manifs contre la troika était assez parlant et la déconfiture de tous les fanatiques de l’ue aussi

    • Oui se débarrasser de l’UE et de sa classe dominante pour retrouver la France et sa classe capitaliste MEDEF cocorico acoquinée avec le gvnmt Valls telle qu’elle se montre aujourd’hui c’est du routage de gueule !

      Il faut lutter contre deux voire trois oligarchies, la continentale (UE), la nationale et celle des USA (ou de la Triade)