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CONSCIENCE ASSASSINE

Publie le mardi 30 mai 2006 par Open-Publishing
15 commentaires

de Le Yéti

Le grand problème des volatiles humains, c’est la conscience dont ils sont affublés. À la différence des animaux qui vivent au jour le jour sans se soucier du hier et du demain, les bipèdes que nous sommes se voient sans cesse rappeler par cette conscience sarcastique leur triste condition d’êtres éphémères, mortels, condamnés au dépérissement sans l’ombre d’un échappatoire. Vous connaissez un chien, vous, qui envisage son vieillissement, l’heure de sa retraite, l’arrivée de sa mort ?

Pire, la sournoise enfonce le clou en nous faisant miroiter des possibilités d’infini, des rêves d’éternité, des désirs d’absolu que nous ne connaitrons jamais. C’est plus que nous n’en pouvons supporter.

Affolés, nous vouons aux gémonies notre enveloppe charnelle de pacotille. Et nous nous précipitons comme des furieux vers tout ce qui nous donne une sensation de puissance, d’absolu.

Le corps, l’enveloppe charnelle, voilà l’ennemi. Vous êtes-vous demandé pourquoi tout ce qui sort de notre corps éphémère ne parvient pas à trouver grâce à nos yeux ? Tout y est "sale" : la morve, le crachat, l’urine, le sang, le sperme, les excréments... Et même la sueur, l’odeur de la sueur, cette odeur pourtant enivrante qu’exhale la fusion des corps amoureux.

Les seuls corps que nous admettons sont ceux qui ne présentent aucune empreinte du temps qui passe. Des corps désodorisés comme ces beautés glaciales qui peuplent les couvertures des magazines féminins, entre deux pubs sur les anti-rides et autres "effaceurs de gueule", à grands coups de retouches photographiques expulsant le bouton scélérat ou le pli offensant.

Ah non, vraiment, faut croire qu’on est atteint sérieux ! Et si encore il n’y avait que ça, des petites retouches fantasmatiques à la réalité sur papier glacé. Mais non, poussés à l’inconscience par la conscience, nous nous sommes mis en tête d’atteindre l’absolu.

D’abord, on a créé Dieu. Bien pratique, celui-là. Une pommade à nos douleurs existentielles qui permet d’expliquer l’inexplicable, de se créer un bon petit paradis éternel après cette salope de mort. Un "gommeur de gueule" à grande échelle idôlatré par des foules en délire. La science a mis un peu de plomb dans l’aile à ce conte à dormir debout. Mais d’aucuns s’y accrochent comme des forcenés terrifiés. Et que je te massacre, que je t’anathémise, te fatwatise tous ceux qui s’en prennent à notre hochet.

Vous ne parvenez pas à vous accrocher à l’idée de l’existence de Dieu, c’est pas grave, on va le remplacer nous-mêmes au pied levé, on va devenir les MAÎTRES DU MONDE. À quelque niveau que nous nous trouvons, le monde doit ABSOLUMENT nous appartenir. Les missionnaires éclairés - allumés, même, dirais-je - vont civiliser les sauvages, les dictateurs sanguinaires s’emparer des pays, le petit chef de service imposer sa petite autorité au petit troupeau de subalternes dont il est lui-même issu, le nouveau riche à bedaine plastronner dans son 4x4 rutilant, les amoureux, les maris posséder leurs amoureuses et leurs épouses (ou vice-versa)...

Et que je te déchire, que je te déchiquète le ou les réfractaires qui chercheraient à échapper notre emprise, quitte à nous-mêmes être emportés dans la tourmente. Le crime passionnel, qui est déjà à lui seul une circonstance atténuante, a encore de beaux jours devant lui.

Tiens, depuis quelque temps, on a d’obscurs fonds de pensions qui se sont mis en tête de s’emparer de toutes les richesses du monde au nom d’une évolution inéluctable vers une mondialisation libérale, capitaliste. "Évolution (forcément) inéluctable", "mondialisation" comme "maître du monde", tous les ingrédients de la secte assoiffés de sang et de pouvoir sont réunis*.

Croiriez-vous que c’est l’appât du gain qui les meut ? Même pas. Que voulez-vous qu’ils en fassent, de tous ces gains faramineux ? Z’auront jamais le temps de les dépenser. Non, la vérité, c’est qu’ils pètent de trouille à l’idée qu’eux-mêmes, les "importants", ne vont pas échapper au sort final du volatile humain qu’ils demeurent. Ils essaient de s’enivrer sous le flux des billets de banque et les taux de croissance exponentiels, mais le soir, quand ils se lavent les dents, et qu’ils voient poindre la petite carie, le cheveu qui tombe... Le problème, c’est que cette conscience de l’éphémère les a rendus fous et qu’ils foncent dans le mur en entraînant le reste du monde dans leur naufrage.

- Tu nous dresses un portrait bien noir de l’humanité, mon Yéti. Ne vois-tu point raison d’espérer ?

Ah oui, tu as raison, gravelot besogneux. J’ai le cerveau échauffé par cette folie frénétique d’êtres prétendument supérieurs.

Quand je pense qu’il suffirait juste de ne plus essayer de péter plus haut que notre cul, d’admettre la réalité telle qu’elle est. D’essayer juste, pour le panache, d’être grandioses, mais à l’intérieur des limites qui nous sont imposées. De ne plus faire chier le monde comme nous nous acharnons à le faire, mais seulement de lui caresser les fesses autour d’un petit verre bien convivial (cépage viognier de chez Montine au moment où je vous cause).

- C’est la définition de l’humour, non ?

Oui, oui, l’humour ...

Le Yéti

* Philippe Courcuff a fait un papier intéressant, à propos d’un livre, sur ce sujet : Du vide existentiel du capitalisme.

Messages

  • Pour le côté noir, sombre, tout est dit et bien dit. Reste l’autre face, côté blanc, brillant , lumineux : l’amour, les rêves... Allez, le Yéti, il nous faut l’autre moitié pour compléter le tableau. A vous lire.

  • " Selon un scientifique anglais, pas de doutes : l’œuf est arrivé le premier.

    Et Dieu créa la poule ? Pas à en croire John Brookfield. Ce scientifique britannique estime avoir résolu la question qui tourmente l’humanité et les philosophes en herbe depuis la nuit des temps. Et pour lui, c’est une évidence : l’œuf a devancé la poule.

    John Brookfield l’explique, la clé de l’énigme millénaire se trouve dans le fait que le matériau génétique n’évolue pas durant la vie d’un organisme vivant. Par conséquent, le premier oiseau à devenir une poule a du d’abord exister en tant qu’embryon à l’intérieur d’un œuf.

    Le scientifique – et philosophe – spécialiste de la génétique évolutive a affirmé à plusieurs quotidiens qu’il est possible de « conclure sans aucun doute que la première matière vivante membre de l’espèce doit être cet œuf. L’œuf était nécessairement avant la poule ».

    Cette conclusion a reçu le soutien du professeur David Papineau du King’s College de Londres, ainsi que du président de la Fédération britannique des éleveurs de poulets (Great British Chicken), Charles Bourns.

    Selon David Papineau, philosophe des sciences, « le premier poulet a dû sortir d’un œuf pondu par une autre espèce. Mais c’était bien un œuf de poule puisqu’il contenait un embryon de poulet » conclut-il. Reste encore à savoir si l’Idée de l’œuf de poule se définit par rapport à son contenant ou au parent. Les professeurs de philosophie peuvent dormir tranquille."

    Dans le Figaro, ce matin

    C’est rapport à l’aspect "volatile" de l’humain. C’est rapport aussi à l’actualité politique (la grande affaire qui nous passionne tous, Buffet, Bové tout cà, et le vilain petit canard Besancenot). C’est aussi pour faire un peu de "matérialisme" (on est "maRRe...xiste oui ou merde ?!). C’est aussi (mais c’est sans doute raté) pour faire un peu d’humour.

  • Dans le genre peinture noire je pense que le travail est assez minutieux si l’on se place d’un point de vue proche du tient.

    Cependant ton écrit relate les faits et gestes d’une majorité qui se conforte dans ce joli monde pour arriver finalement à ton sentiment personnel face à cela ; mais je pense qu’une grande partie des gens vivants dans ce pays y sont heureux ou ne se rendent pas compte de tout cela.

    Est-ce à eux d’ouvrir les yeux ou aux autres de s’y faire ?Je suis indécise.

    Sabina.

  • Pour le côté noir, sombre, tout est dit et bien dit. Reste l’autre face, côté blanc, brillant , lumineux : l’amour, les rêves...

    Dans le genre peinture noire je pense que le travail est assez minutieux si l’on se place d’un point de vue proche du tien.

    Il est vrai qu’en écrivant ce billet, j’avais l’humeur un peu sombre. Impression sans doute renforcée par ma décision d’employer le "nous" (qui nous implique directement) plutôt que le "eux" (qui permet une distanciation par le lecteur).

    Et je conçois que la petite bouffée d’air que j’ai essayée de donner dans le tout dernier paragraphe sur l’humour peut paraître un peu courte.

    Pourtant, l’humour me paraît être la seule solution individuelle pour échapper au dilemne que nous pose la conscience. L’humour, c’est l’art d’admettre nos limites sans gémir, avec son complément indispensable : le panache, au sens où l’entendait Edmond Rostand dans son Cyrano de Bergerac.

    Vais-je "compléter le tableau" en exposant "l’autre face, côté blanc, brillant, lumineux", comme m’y invite le premier commentateur (anonyme) ? Sans nulle doute, comment vivre sans ?

    Mais, bien que je répugne à me citer, je voudrais dire que j’ai déjà tenté de le faire. Quelques liens :

     Plop !

     Le retour du soleil

     Le cul sur le perron

     Vivre ou mourir

    Le Yéti

  • Il est beau ton texte, Le Yéti, j’admire ta plume légère. Et puis, il donne à refléchir. Par exemple, ce passage où tu dis "on a créé Dieu" et où je me suis demandée : c’est qui, "on" ? ou plutôt, c’est quoi ? Larousse répond que c’est un pronom impersonnel, indéfini, indéterminé, toujours sujet. Mais aussi, un pronom personnel qui désigne tantôt le locuteur, tantôt le " locuteur (je) et le groupe auquel il appartient" (nous) , aussi bien que l’interlocuteur (tu, vous).
    Le "on" a donc une fonction de joker dont nous pouvons nous servir pour exprimer des pensées tout en évoquant le doute quant à l’origine, à l’auteur de ces pensées.
    Puis, ah, Dieu, et oh, l’existence de Dieu. Au début du Psaume 52, le fou dit (en son coeur) : Dieu n’existe pas. Ce passage a fait couler beaucoup d’encre, au moins depuis Saint Anselme. Mais ce que je trouve d’étonnant, c’est ce lien qu’on peut établir entre la notion de Dieu et celle de la conscience, du moins en allemand : des éthymologues suisse-allemands affirment que "Gott"(=dieu) est un dérivé de "Götti" qui signfie "parrain". En termes religieux, le parrain est le père spirituel d’un enfant, en termes laïcs et politiques, il est la personne qui représente la collectivité et qui reconnaît l’enfant comme une nouvelle personne et un nouveau citoyen (cf. le baptême civique instauré par Napoléon).
    En suivant cette pensée, on peut supposer que la conscience se forme à partir du souvenir que nous avons gardé des figures d’autorité, de celles qui nous ont entouré depuis notre prime enfance (parrain, marraine, mère, père, nourrice, tuteur, professeurs, médecins, patrons etc.), et de leur pouvoir physique et affectif.
    Je ne sais pas s’il convient de se demander qui a été le premier, le parrain ou Dieu le père (où est la mère ?), l’oeuf ou la poule (où est le coq ?). Je pense qu’il faut un peu de chaque (et de chacun) pour créer une conscience. Mais comment savoir à quoi elle ressemble ?
    angela anaconda

  • D’un point de vue strictement personnel je pense que le panache de l’humour a plus de facilité à s’exprimer dans le cadre de la collectivité que de l’individualité à cause la nature de l’Homme quoique des exceptions existent.

    L’humour si l’on s’y enferme devient vite une barrière donc s’y jeter à esprit ou "conscience" perdue serait une action analogue au suicide social, mais ceci toujours en ce basant d’un point de vue collectif.

  • "la seule solution individuelle " : ça ce n’est pas de moi.

    • "la seule solution individuelle."

      Oui, oui, c’est bien de moi. Comme l’élégance, son complément indispensable, qui est l’art de faire sentir aux autres l’importance qu’ils ont à nos yeux, je pense que l’humour n’a rien de collectif. Il ne "s’exprime" pas, il est une attitude exclusivement personnelle, un état d’esprit, une prise de conscience des limites du terrain sur lequel il nous faut jouer, une acceptation détachée de notre condition humaine éphémère.

      On peut juxtaposer plusieurs humours personnels, auquel cas on peut avoir l’impression d’une expression collective. Mais ce n’est qu’une impression.

      Le Yéti

    • Petit rajout à ce qui précède :

      Par contre, ce qui peut "s’exprimer" collectivement, c’est le sens de l’humour, cad le sens que l’humour donne à notre vie, un certain détachement apaisé, porté vers le rire libérateur à l’encontre de toutes les manifestations de nos petits et grands travers, de nos faiblesses congénitalement humaines comme de nos prétentions grotesques à l’absolu.

      Le Y.

    • "On peut juxtaposer plusieurs humours personnels, auquel cas on peut avoir l’impression d’une expression collective. Mais ce n’est qu’une impression."
      Groucho, Harpo, Chico, c’est de l’humour ou du sens de l’humour ? ;)
      foma.

    • bergson, comme Durkheim n’auraient pas du tout partager vos points de vie sur l’humour. le rire comme stigmate de la "société mécanique" chez le second, l’humour comme tentative -impossible- de dépassement du spasme ricanant chez le premier, il y aurait ici comme une sorte de critique radicale, et de rire, et de l’humour, et de tout ce qui pourrait prétendre s’y substituer. Comme une sorte de gravité qui ne se prendrait même pas au sérieux, mais qui s’interdirait de rire, et même de sourire ?!

    • Pour moi l’humour , cher yeti , c’est le sourire desespéré qui cache l’angoisse de la solitude , l’humour ne rapproche pas , il met les autres à distance ,il peut etre aussi l’expression toute aussi déséspérée d’un orgueil et d’un sentiment de superiorité qui ne peut s’avouer .
      claude de T.

  • Réponse aux 3 commentaires qui précèdent (et à la question sur notre âge) :

    Il me semble y avoir une confusion entre rire et humour. L’humour vient de l’anglais humour*, qui vient lui-même du français humeur. "Il s’agit d’une forme d’esprit qui consiste à présenter la réalité de manière à en dégager les aspects plaisants et insolites", dit le dictionnaire Le Robert, en en limitant un peu la portée, me semble-t-il.

    Dans un article très intéressant, Wikipédia y ajoute cette définition importante : "L’humour peut se révéler important dans la vie de l’Homme : il lui permet en effet de prendre du recul sur ce qu’il vit."

    L’humour peut être associé au rire (jubilatoire ou désespéré, mon cher Claude), mais ne peut se confondre avec lui. J’ai déjà vu pouffer de rire des gusses totalement dépourvus d’humour.

    Quant au Marx Brothers, il s’agit bien sûr de l’expression d’un sens particulier de humour : l’humour absurde (non sense(sic) humour, en anglais)

    Enfin, pour répondre au loustic qui OSE nous demander notre âge, je lui réponderai que ça dépend des jours. Ha ha ha, c’est drôle, non ?

    Le Yéti

    * Le mot anglais humour "désigne à la fois les dispositions du tempérament et les fluides corporels ("humeurs") dont on pensait qu’ils régissaient le comportement et la santé" (Wikipédia).