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Débat sur le bilan du socialisme à l’Est à Calonne-Ricouart (62)
Publie le samedi 8 mai 2010 par Open-Publishing5 commentaires
A Calonne-Ricouart (Pas-de-Calais), à la salle des mariages de l’hôtel de ville, ce vendredi 14 mai à partir de 18h 30 ;
Débat : « Le socialisme à l’Est : un bilan positif ? »
En novembre 2009, le 20e anniversaire de l’ouverture des frontières berlinoises baptisée « chute du Mur » par la propagande occidentale, a suscité un matraquage médiatique d’une rare intensité. Comme si la perspective d’une société débarrassée des miasmes du capitalisme, continuait à hanter l’esprit des possédants ?
La municipalité de Calonne-Ricouart et l’association des Amis d’Edward Gierek se posaient alors la question : « Les tentatives de dépassement du capitalisme menées en Russie puis en Europe centrale de 1917 à 1990 se sont-elles révélées positives pour le mouvement ouvrier international ? »
C’est en tout cas ce qu’affirmait Georges Marchais, le secrétaire général du Parti communiste français en 1979 !
Pour en débattre à la lumière des expériences de « construction du socialisme » tentées en Allemagne de l’Est et en Pologne, ils ont invité Maxime Gremetz, député communiste de la Somme, André Démarez, journaliste honoraire, et André Delcourt, maire et conseiller général de Calonne-Ricouart. Maxime Gremetz a animé, de 1978 à 1991, la politique internationale du PCF, et ainsi rencontré la totalité des dirigeants des ex-pays de l’Est de Brejnev à Jaruzelski. André Démarez a pour sa part été le correspondant du quotidien L’Humanité à Varsovie de 1977 à 1979, à l’époque où Edward Gierek, l’ancien mineur de Leforest, exerçait les fonctions de chef d’Etat. Quant à André Delcourt, il a été, à la demande d’André Mancey, le député-mineur, l’artisan du premier jumelage d’une ville française (Calonne-Ricouart) avec une commune de RDA. Son premier voyage en Saxe, en 1961, le convainc d’ailleurs de la « supériorité du socialisme sur le capitalisme » et ainsi de prendre sa carte au Parti ! La réflexion sera envisagée à l’aune de deux décennies de restauration capitaliste génératrice de chômage, de criminalité et d’importants reculs dans le domaine de la santé, du droit des travailleurs et des mœurs notamment… Table ronde animée par Jacques Kmieciak, journaliste. Entrée libre.
Messages
1. Débat sur le bilan du socialisme à l’Est à Calonne-Ricouart (62), 8 mai 2010, 21:32, par gb26100
A tort ou à raison, les populations de l’Est ont déjà répondu à la question du bilan.
Il vaudrait mieux s’interroger sur les raisons de l’échec. Ce serait plus éclairant pour nos contemporains.
1. Débat sur le bilan du socialisme à l’Est à Calonne-Ricouart (62), 9 mai 2010, 08:56
AH non, elles n’ont pas répondu "non".
Ce sont les capitalistes européens et américains qui ont fait tomber les vértables démocraties. On ne parle jamais de la censure du OUI au maintien de l’URSS dans quasiment toutes les républiques soviétiques. Eltsine et ses comparses de l’Otan ont balayé le référendum d’un revers de main.
On ne parle jamais des grosses manifs de plus de 40 000 personnes en Allemagne de l’Est. On parle toujours des personnes qui se sont amassées devant le mur alléchées par les étalages remplis de produit issus du pillage colonialiste.
Quand on veut refabriquer l’histoire.
D’ailleurs encore aujourd’hui, une grosse majorité d’allemands de l’Est regrettent la RDA.
On nous a volé notre NON à l’Europe capitaliste. ON nous a trahi avec les privatisations. On a pillé Afrique et Amérique du SUd.
Cassons les TV ou alors prenons le pouvoir à la TV.
2. Débat sur le bilan du socialisme à l’Est à Calonne-Ricouart (62), 9 mai 2010, 09:12
" FRANC ET MASSIF
Les « oui » l’emportent avec des scores de 70 à 95% selon les républiques. Il s’agit d’un échec pour ceux qui ont incité les soviétiques à sanctionner la direction de la fédération. Boris Esltine se voit contraint de modifier la loi électorale pour faire entériner son projet d’élection du président de la Russie
De l’un de nos correspondants permanents en URSS.
Un « oui » franc et massif à l’union rénovée de républiques socialistes soviétiques souveraines. Avec des inégalités. Telle est la réponse donnée par les neuf républiques où le référendum a pu se dérouler dans des conditions normales. On aura beau chipoter, tenter d’amoindrir le résultat en s’appuyant sur Moscou, Léningrad, Sverdlovsk ou Kiev, le fait est là, indiscutable. Si le nombre encore limité de résultats connus commandait lundi la prudence dans les commentaires, cette fois l’hésitation n’est plus de saison. Demandé par Mikhaïl Gorbatchev, le « oui » s’impose largement dans les neuf républiques : Azerbaïdjan, Biélorussie, Kazakhstan, Kirghizie, Ouzbekistan, Russie, Tadjikistan, Turkmenistan et Ukraine. Sous bénéfice d’inventaire définitif en Russie, les suffrages positifs oscillent entre 70% en Ukraine et 95% au Tadjikistan.
D’ordinaire, lorsqu’ils arrêtent la date d’un référendum, les hommes politiques prennent le moment le plus propice à leurs voeux. Ici, tout se passe comme si l’on avait choisi la difficulté. Qu’on se représente l’état d’esprit de populations contraintes depuis des mois, alors que l’hiver se défait lentement, à d’interminables attentes pour de maigres achats. Les pénuries se multiplient ou jouent à saute-mouton. Aujourd’hui les allumettes manquent. Demain le sel. Après-demain le savon. Quant à l’alimentation... Avant même les augmentations officielles des prix, annoncées pour le 2 avril prochain, les étiquettes valsent ouvertement ou sous le comptoir. Ne parlons pas des conflits inter-ethniques latents.
Dans ce climat où la morosité est aux frontières de l’exaspération, la tentation était grande de « punir » le pouvoir en votant contre lui. Boris Eltsine et toute la droite regroupée autour du bloc « Russie démocratique » ont tenté de jouer cette carte en identifiant le « oui » au référendum à une approbation de la politique de Gorbatchev. Pour le président du Soviet suprême de Russie, l’échec est cinglant.
Dans les plus grandes confusions subsistent des idées simples, inaltérables. L’intégrité du pays, fut-il multinational comme l’URSS, est de celles-là. Cette notion avait même traversé le cuir épais de Boris Eltsine. Le président du Parlement de Russie rêvait certes de faire du référendum une condamnation du pouvoir central. En démagogue roué, il avait pris la précaution de ne pas appeler ouvertement au « non » à l’union rénovée. Mais il avait dressé une telle barricade d’arguties anti-fédératives qu’une conclusion négative allait de soi. Ces astuces subalternes ne peuvent masquer la réalité : le « non » pour lequel Boris Eltsine militait par des procédés obliques a été balayé dans neuf républiques. Dans les six républiques où le vote était interdit ou boycotté par les autorités, plusieurs millions de personnes ont voté tout de même, la quasi-totalité pour l’Union.
En Russie même, Moscou, Léningrad où la pression politique de la droite est la plus forte, où la mal-vie est des plus vivement ressentie, le « oui » l’emporte néanmoins. De peu, mais l’emporte. Le cas de Sverdlovsk, gros centre industriel de l’Oural, est encore moins surprenant. C’est la terre natale de Boris Eltsine et davantage encore une région où les problèmes d’approvisionnement en matières premières comme en produits alimentaires sont des plus angoissants.
Le leader de « Russie démocratique » entend trouver une compensation dans l’instauration du poste de président et la fédération de Russie élu au suffrage universel. Il escompte chausser ces bottes-là pour poursuivre sa « guerre des lois » contre le pouvoir central, guerre qui a déjà fait des dégâts dans le pays. Et à partir de là, s’emparer de tout le pouvoir. Mais il lui faudra désormais tenir compte du mandat confié à Mikhaïl Gorbatchev par le référendum de dimanche : réaliser la nouvelle union.
Boris Eltsine n’est d’ailleurs pas au bout de ses peines. Aiguillonné par un PCUS qui, petit à petit, reprend ses esprits et sa combativité, il a dû accepter la convocation, le 28 mars, d’une session extraordinaire du Soviet suprême de Russie. Son bilan et surtout ses prises de position anticonstitutionnelles, l’exigence de la démission immédiate de Mikhaïl Gorbatchev formulée à la télévision, ses incitations à la violence et à la confrontation - « Le temps est venu de retrousser les manches et de lever les poings » - lors de son discours du 9 mars dernier, seront sur la sellette.
L’homme s’est montré capable de tous les retournements, mensonges et manipulations. S’adressant par la radio aux électeurs, vendredi dernier, Boris Eltsine demandait aux Russes de « tenir compte d’une autre circonstance importante. La loi sur le référendum en Russie considère que la décision est adoptée si elle a reçu les voix, non pas de la moitié des citoyens ayant pris part au vote (comme dans le référendum de l’Union) mais de la moitié des voix des électeurs inscrits ».
Lundi, le vote passé, le Présidium du Soviet suprême de Russie s’empressait de rectifier le tir. La chose est coutumière après les interventions publiques de Boris Eltsine. On apprenait ainsi qu’en application d’une loi sur le référendum en Russie, l’emporte la réponse ayant obtenu la moitié des voix exprimées. Boris Eltsine a tout de même préféré laisser à son premier adjoint le soin de signer cette résolution. Ce tour de passe-passe laisse augurer ce qu’il pourrait advenir de la démocratie entre les mains de ce « démocrate » d’un genre particulier.
La publication de l’ensemble des résultats sera indispensable pour une analyse plus précise du vote de dimanche. Mais, d’ores et déjà, on peut dire que pour Mikhaïl Gorbatchev, pour le PCUS, la signification et la portée de ce référendum sont précieuses. La voie est ouverte, par la volonté populaire démocratiquement exprimée, pour avancer dans la mise en oeuvre de la nouvelle Union des républiques socialistes soviétiques, souveraines et égales en droit.
Serge Leyrac."
3. Débat sur le bilan du socialisme à l’Est à Calonne-Ricouart (62), 9 mai 2010, 09:15
"Boris Eltsine est arrivé au pouvoir grâce à un coup d’État soutenu par une minorité des citoyens ! Il faut appeler un chat un chat : les accords de Biélovej qui ont mis fin à l’URSS, en décembre 1991, ont été un coup d’État, tout simplement parce que les trois dirigeants républicains qui les ont signés (Eltsine au nom de la Russie, Kravtchouk au nom de l’Ukraine et Chouchkevitch pour la Biélorussie) n’avaient aucun mandat pour dissoudre l’Union (2). Qui plus est, en mars de la même année, soit seulement neuf mois avant les accords de Biélovej, les citoyens soviétiques s’étaient majoritairement prononcés par référendum en faveur du maintien d’une Union soviétique réformée...
G. A. - Vous parlez de coup d’État. Pourtant, Eltsine avait été démocratiquement élu à son poste de président de la République fédérative socialiste de Russie, à une époque où celle-ci faisait encore partie de l’URSS...
D. F. - Bien sûr, mais cette élection-là était comparable à celle de n’importe quel président d’un Conseil régional en France ! Imaginez que le président d’un Conseil régional proclame, sans aucune consultation populaire, l’indépendance de sa région et en devienne le dirigeant suprême : eh bien, c’est ce qui s’est produit en Russie. Pour la population russe comme pour celles de la plupart des ex-républiques soviétiques, les accords de Biélovej ont résonné comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu : les citoyens n’étaient nullement préparés à l’éclatement de l’URSS. De plus - je le répète -, ils y étaient majoritairement hostiles, comme ils venaient de le montrer lors du référendum de mars 1991. C’est pourquoi, après son coup d’État, Eltsine n’a pas eu le choix : il s’est trouvé obligé de se cramponner au pouvoir - ne serait-ce que parce que son départ aurait certainement donné lieu à des poursuites judiciaires ou à des règlements de comptes personnels. Dans le même temps, il souhaitait offrir à l’Occident et au monde entier une image positive de la nouvelle Russie. Pour y parvenir sans risquer de perdre le pouvoir, il ne lui restait qu’une seule chose à faire : imiter les processus démocratiques. Et c’est précisément ce qu’il a fait. Il a établi un semblant de démocratie... sans pour autant remettre en question sa propre présence au sommet de l’État.
G. A. - Son régime a donc été fondé sur une contradiction : le système était apparemment démocratique mais son chef ne pouvait être remplacé...
D. F. - Exactement. Ce paradoxe a été le paradigme du nouveau pouvoir russe dès le premier jour. La suite est parfaitement logique : les événements se sont enchaînés naturellement, tout à fait dans l’esprit de la formule consacrée du prix Nobel Douglas North sur la dépendance que vous impose le chemin choisi. Au fur et à mesure que l’on progresse sur un chemin, la possibilité d’en dévier est de plus en plus ténue. Or le chemin de Boris Eltsine le conduit rapidement à la fusillade de la Maison Blanche en 1993 : confronté à une opposition résolue du Soviet suprême, il n’avait pas d’autre issue pour demeurer au pouvoir (3). Dès lors, sa démission ou son départ suite à une non-réélection étaient devenus encore plus impensables : s’il avait quitté le Kremlin, il serait allé directement en prison pour avoir ordonné un massacre. En 1996, pour être reconduit dans ses fonctions (grâce à sa seule élection " légitime " !), il est obligé - étant donné son impopularité extrême - de chercher des appuis auprès des oligarques, ces nouveaux riches qui possèdent les médias les plus influents du pays. Il doit donc les " acheter ". Mais l’État n’en a ni la possibilité légale ni les moyens. Eltsine brade alors les richesses nationales au profit des oligarques en commettant des irrégularités monstrueuses, ce qui l’oblige désormais à aller jusqu’au bout de son second mandat, malgré sa santé défaillante. Et lorsque la fin de ce second mandat (1996-2000) approche, surgit un nouveau problème : le président doit se trouver un successeur qui lui garantira l’immunité..."
Dimitri Fourman. Journaliste au Courrier International.
4. Débat sur le bilan du socialisme à l’Est à Calonne-Ricouart (62), 9 mai 2010, 09:21
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22 octobre 2003
La Russie dans la mondialisation libérale
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par Éric Toussaint
Dans un discours prononcé le 18 juin 2003, à l’occasion du 7e Forum économique international de Saint-Pétersbourg, Anne Krueger, ex- économiste en chef de la Banque mondiale pendant le mandat présidentiel de R. Reagan, actuelle directrice générale adjointe en chef du FMI, a offert un remarquable condensé des arguments avancés par les tenants de la mondialisation néolibérale. L’orientation de son discours est bien dans la ligne du trio Banque mondiale / FMI / OMC. Contrairement à ceux qui affirment que le FMI a pris un virage plus respectueux des droits humains, on découvre dans son exposé une défense pure et dure de l’option néolibérale.
Au moment où Anne Krueger faisait ce discours, la Russie était secouée par les démêlés des nouveaux capitalistes russes, les oligarques comme on les appelle, avec la justice de leur pays. La justice russe les poursuivait pour assassinat, vol de biens publics, association de malfaiteurs, corruption... Les oligarques ont accumulé une fortune colossale en quelques années avec le soutien direct du FMI, de la Banque mondiale, des gouvernements de la Triade (à commencer par les gouvernants états-unien, britannique et allemand), de grandes banques privées et de société de clearing comme Clearstream [1].
Ces oligarques sont d’abord le fruit de l’implosion du système bureaucratique de l’Est et de la restauration capitaliste de la fin des années 1980 et des années 1990. Le gouvernement des Etats-Unis, le FMI et la Banque mondiale ont soutenu activement le président russe Boris Eltsine (et ont en partie dirigé ses pas) dans la vague de privatisation gigantesque et rapide qu’il a imposée à la Russie. Les privatisations ont constitué un pillage systématique des biens publics de la Russie au profit des oligarques et de quelques transnationales de la Triade.
Les oligarques russes ont utilisé des méthodes brutales et criminelles qui ressemblent à celles utilisées par les barons voleurs de la fin du XIXe - début XXe aux Etats-Unis. Une nouvelle fois dans l’histoire, l’accumulation capitaliste primitive s’est réalisée dans la violence et le chaos. Mais l’histoire ne se répète pas.
Cette fois, le pillage s’est fait sous la haute protection d’organismes multilatéraux internationaux qui ont multiplié les missions d’experts économiques et les prêts multilatéraux visant à faciliter "la transition d’une économie planifiée vers une économie de marché" (pour reprendre l’expression consacrée par les institutions de Bretton Woods).
Joseph Stiglitz analyse avec une plume acérée la transition en Russie. Dans les chapitres cinq et six de La grande désillusion, il dénonce la responsabilité du FMI et du Trésor américain qui ont soutenu, conseillé et orienté les bureaucrates russes convertis au capitalisme, notamment le président Boris Eltsine. Les méthodes employées n’avaient rien de démocratique.
"Ne nous étonnons pas si tant de chauds partisans du marché ont manifesté une remarquable affinité avec les vieilles méthodes : en Russie, le président Eltsine, muni de pouvoirs immensément supérieurs à ses homologues de n’importe quelle démocratie occidentale, a été incité à circonvenir la Douma (le parlement démocratiquement élu) et à promulguer les réformes par décrets" [2]. Les entreprises publiques ont été vendues pour une bouchée de pain. "Le gouvernement, soumis à une très forte pression de la part des Etats-Unis, de la Banque mondiale et du FMI pour privatiser vite, avait cédé les entreprises publiques pour une misère" [3].
La privatisation a constitué un vaste pillage au profit des oligarques qui ont placé une partie de leur larcin à l’Ouest afin qu’il soit blanchi et hors de portée de la justice. "La privatisation assortie de l’ouverture des marchés des capitaux n’a pas conduit à la création de richesses mais au pillage des actifs. C’était parfaitement logique. Un oligarque qui vient de réussir à user de son influence politique pour s’emparer de biens publics valant des milliards, en les payant une misère, va tout naturellement vouloir faire sortir l’argent du pays. S’il le garde en Russie, que se passera-t -il ? Il l’investira dans un pays en état de profonde dépression et risquera non seulement d’en tirer peu de profits, mais de tout se faire confisquer par le gouvernement suivant qui va inévitablement se plaindre - et à très juste titre - de "l’illégitimité" de la privatisation. Toute personne assez habile pour gagner à la loterie mirifique de la privatisation est assez habile aussi pour placer son argent à la Bourse américaine en plein essor, ou pour le mettre en lieu sûr dans les comptes secrets des paradis fiscaux. Il n’y avait pas la moindre chance que les choses se passent autrement et, bien évidemment, des milliards ont quitté le pays" [4].
Le FMI et la Banque mondiale ont endetté la Russie. Une grande partie de l’argent prêté a été détourné et est repassé à l’Ouest. Banquiers occidentaux, oligarques et gouvernants russes se sont enrichis tandis que les citoyens russes appauvris doivent payer la note. "Quand la crise frappa, le FMI prit la direction des opérations et il demanda à la Banque mondiale de contribuer au sauvetage. Le plan se montait au total à 22,6 milliards de dollars. Le FMI en fournirait 11,2 ; la Banque mondiale devait en prêter 6 ; le reste viendrait du gouvernement japonais.
A la Banque mondiale, le débat interne fut très vif. Parmi nous, beaucoup avaient toujours contesté les prêts à la Russie. (...) Mais en dépit de la forte opposition de son propre état-major, la Banque mondiale subissait une pression politique énorme de l’administration Clinton qui voulait absolument qu’elle prête à la Russie. (...) Quant au FMI, notons-le, il a montré qu’il pouvait ne s’inquiéter en rien de la corruption et des risques qu’elle impliquait pour l’utilisation de l’argent du prêt. (...) Quand on mit le FMI face à la réalité - les milliards qu’il avait donnés (prêtés) à la Russie étaient réapparus sur des comptes en banque chypriotes et suisses quelques jours seulement après le prêt -, il prétendit que ce n’étaient pas ses dollars. (...) En prêtant à la Russie pour une cause perdue, le FMI a endetté les Russes encore davantage. Avec l’argent emprunté, qu’ont-ils obtenu de concret ? Rien. Qui va payer les coûts de cette erreur ? Pas les hauts fonctionnaires du FMI qui ont accordé le prêt. Pas les Etats-Unis qui ont fait pression pour le prêt. Pas les banquiers occidentaux et les oligarques qui ont profité du prêt. Ce sera le contribuable russe." [5].
« Le Trésor et le FMI se sont ingérés dans la vie politique russe. En prenant si fermement parti pour ceux qui étaient aux commandes quand ce processus de privatisation corrompue a créé une inégalité colossale, les Etats-Unis, le FMI et la communauté internationale se sont associés de façon indélébile à des politiques qui, au mieux, ont favorisé les intérêts des riches aux dépens du Russe moyen. » [6]. Joseph Stiglitz ajoute que la direction de la Banque mondiale lui a interdit de rencontrer l’inspecteur général de la Douma en visite à Washington pour dénoncer l’ampleur de la corruption. « A la Banque mondiale, on m’avait donné l’instruction de ne pas le rencontrer : on avait peur que nous soyons convaincus par ses propos. » [7].
La dette odieuse de la Russie et des autres pays issus de l’ex-bloc soviétique
Le dossier de la dette russe, comme celui des autres Etats issus de l’implosion de l’ex-bloc soviétique, est trop peu discuté sur la scène internationale, y compris au sein des mouvements progressistes des pays concernés. Et pourtant, la dette contractée par la Russie dans les circonstances décrites plus haut entre de toute évidence dans la catégorie des dettes odieuses. Cette dette n’a pas été contractée pour mener à biendes politiques respectueuses des intérêts des citoyens, au contraire. Par ailleurs, une grande partie des prêts ont été détournés au vu et au su des créanciers. Les créanciers (FMI, Banque mondiale, membres du Club de Paris, créanciers privés) connaissaient les pratiques délictuelles, voire criminelles, des emprunteurs. Si les citoyens russes se dotaient à l’avenir d’un nouveau régime, ils seraient en droit de refuser de payer la dette odieuse contractée pour financer la transition. Ils seraient également en droit de refuser de payer la dette héritée de l’ancien régime bureaucratique dictatorial. Ce qui vient d’être dit est probablement valable également pour les autres Etats issus de l’ex-bloc soviétique.
Les oligarques russes bénéficient d’un avis favorable de la presse occidentale
Lorsqu’au cours de l’année 2003, la justice russe s’en est prise aux oligarques, la grande presse occidentale (les gouvernements occidentaux aussi mais plus discrètement) a réagi en demandant de la clémence à l’égard de ceux-ci. Non pas que ces médias considéraient que les oligarques étaient innocents, pas du tout. Ce qui était en jeu, c’était la pérennité des privatisations. Ces médias considèrent qu’il serait très dangereux de les remettre en cause même si Le Monde reconnaît que « Selon un sondage de l’institut Romir, 77% des Russes sont favorables à la révision des privatisations » [8]. Marie-Pierre Subtil, correspondante du Monde à Moscou, a écrit plusieurs articles critiquant l’offensive de la justice russe (« qui ouvre la porte à une révision des privatisations », Le Monde, 27-28 juillet 2003) contre les oligarques même si elle reconnaît qu’ils ont accumulé leur fortune sur l’escroquerie à grande échelle. Elle dit du principal oligarque visé, Mikhaïl Khodorkovski (né en 1963), patron de Ioukos [9], qu’il « n’est certes pas une oie blanche. Sa fortune - la plus grande de Russie, estimée à 7,2 milliards de dollars par le magazine Fortune - a été bâtie au milieu des années 1990, quand les plus ambitieux et les moins scrupuleux des russes, ont acquis pour une bouchée de pain les biens de l’Etat au moment de leur privatisation » [10]. Mais en même temps, la même journaliste dresse une liste d’initiatives positives de ce nouveau baron voleur parmi lesquelles la création d’une fondation philanthropique internationale qui compte Henry Kissinger parmi ses administrateurs.
Un autre oligarque mérite d’être mentionné. Il s’agit de Roman Abramovich (né en 1966). En 2003, il avait aussi des ennuis avec la justice russe. Il est le patron d’un empire qui comprend, entre autres, Sibneft, société pétrolière, RusAl, producteur d’aluminium, ICN Russia, entreprise pharmaceutique. En 2003, il a acheté le prestigieux club de football britannique Chelsea. La société holding qui lui permet d’être le propriétaire de cet empire a son siège dans la City de Londres. Pour échapper à la justice de son pays, Roman Abramovich s’est réfugié en 2003 en Grande-Bretagne où il a demandé l’asile politique. Selon le Financial Times, en 2003, il cherchait à vendre la plupart de ses actifs en Russie afin de placer le capital en lieu sûr... Le Financial Times écrit dans un édito que la Russie est une nouvelle fois à la croisée des chemins : ou bien consolider le capitalisme en amnistiant les oligarques qui ont commis des crimes économiques ce qui implique d’accepter une inégalité profonde ou bien faire une révolution. L’éditorialiste propose en se pinçant le nez d’opter pour le premier choix. « A la racine du problème, nous trouvons les dérapages du processus de privatisation en Russie. En raison du chaos - et de l’injustice profonde - qui ont présidé au partage du butin, les dirigeants russes auront toujours une arme puissante pointée sur les capitalistes installés dans le pays. En fin de compte, il n’y a guère que deux façons de sortir de cette impasse : soit accorder une amnistie officielle, du moins pour les délits économiques des oligarques, soit s’emparer de leurs biens, c’est-à-dire soit accepter de criantes inégalités, soit entamer une nouvelle révolution. Aucune des deux options n’est satisfaisante. Mais comme ils ont essayé la seconde en 1917, les Russes pourraient bien estimer plus sage de s’accommoder cette fois-ci d’un pouvoir oligarchique détestable " [11]
Le FMI, la Banque mondiale, le Trésor des Etats-Unis et les créanciers privés sont tout à fait favorables au choix proposé par le Financial Times et autres ténors de la presse internationale : une amnistie les concernerait aussi car ils ont été directement impliqués dans les crimes économiques en tant que complices et en tant que bénéficiaires. Quant aux transnationales de la Triade, celles des Etats-Unis en premier lieu, elles sont candidates à acquérir une grande partie de Ioukos, de Sibneft et d’autres. Des offres précises ont été rendues publiques au cours de l’année 2003. Les oligarques qui sont propriétaires de Ioukos et de Sibneft ont répondu très favorablement : ils veulent avoir du cash pour le placer hors de la Russie. Enfin, le Trésor des Etats-Unis [12], le FMI et la Banque mondiale en concertation avec la direction de l’OMC préparent l’adhésion de la Russie à cette institution. C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre le ton et le contenu du discours d’Anne Krueger prononcé le 18 juin à Saint-Pétersbourg.
L’ARTICLE EN PDF (PDF) 21 ko
Notes :
[1] voir Denis Robert et Ernest Backès, 2001 ; Denis Robert, 2002
[2] J. Stiglitz, 2002, p. 184
[3] ibidem, p. 194
[4] ibidem, p. 193
[5] ibidem, pp. 198, 199, 200, 201
[6] ibidem, p. 226
[7] ibidem, p. 226
[8] Le Monde, 23/07/2003
[9] Ioukos est la principale entreprise pétrolière russe qui a annoncé la fusion avec Sibneft, autre pétrolier russe. La fusion pourrait faire de la nouvelle entité la quatrième société pétrolière mondiale. Une autre journaliste du Monde, Sophie Shihab, sous-titre ainsi son article du 6 août 2003 : "Le groupe Ioukos, un des plus influents et des moins opaques (sic) du capitalisme à la russe, est la cible des attaques du parquet qui l’accuse de vol, meurtre et évasion fiscale. Vladimir Poutine joue sur la fibre populiste auprès d’une opinion qui réclame une révision des privatisations."
[10] ibidem
[11] Traduit du Financial Times, 21 juillet 2003.
[12] A propos de l’attitude du Trésor des Etats-Unis en matière de commerce international, Joseph Stiglitz mentionne un épisode piquant remontant à l’époque où il était conseiller du président W. Clinton. Il dénonce Paul O’Neil qui a été Secrétaire d’Etat au Trésor sous la présidence de G. W. Bush (P. O’Neil a été remplacé par J. Snow en décembre 2002).
En 1994, alors qu’il était directeur de la transnationale ALCOA, productrice d’aluminium, il a mis en place avec la Russie un cartel des producteurs d’aluminium afin de limiter la baisse du prix de ce produit sur le marché mondial (ibidem, p. 229 à 231).
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