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Europe, Référendum sur le traité constitutionnel : pourquoi le SFA prend position :

Publie le lundi 9 mai 2005 par Open-Publishing
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Suivant en cela un comportement qui tient à son histoire, il n’est pas très fréquent de voir le SFA prendre publiquement position sur une question « strictement politique ». Et, bien que notre syndicat professe l’idée que la lutte syndicale est nécessairement politique, ce n’est que rarement qu’il s’aventure hors du champ socio-économique.

Or, dès le premier article du projet de constitution qui est soumis à l’approbation des Français, il est écrit que l’Union repose sur « le respect du principe d’une économie de marché hautement compétitive où la concurrence est libre et non faussée ». Cette indication énonce le premier commandement qui subordonne l’ensemble du cadre juridique de l’Europe politique à une loi économique. On ne peut trouver invitation plus claire lancée aux syndicats et donc au SFA, à pénétrer sur un terrain que le patronat voudrait bien se réserver comme chasse gardée - ce dont le MEDEF (partenaire social) ne se prive pas !-

Dissoudre en quelque sorte le politique dans l’économique est en soi un projet suffisamment redoutable pour que le SFA fasse savoir ce qu’il en pense.

Le projet de constitution est un texte ardu, obscur et rebutant, difficile à pénétrer. Le rôle du syndicat est de nous éclairer, et de nous aider à le comprendre.

Ce texte interpelle chacun de nous spécifiquement en tant qu’artiste interprète. Que seront, que pourront être les œuvres, les films que nous interprèterons dans un monde gouverné par la seule loi du marché où la concurrence sera libre et non faussée, c’est-à-dire où les systèmes d’aides à la création et à la production relevant de fonds publics seront remis en cause ?

Le SFA peut-il rester silencieux ?

Quelle chance aurons-nous de jouer devant de nouveaux publics ? Que deviendront les habitants des campagnes réputées non rentables ? Que jouerons-nous devant qui ? C’est le sens même de nos métiers que nous sommes amenés à interroger.

Le SFA peut-il se taire ?

Le texte qui nous est proposé garantit les libertés fondamentales, les valeurs humanistes auxquelles nous sommes attachés sont énumérées à longueur de pages et elles seront respectées, nous assure-t-on sur toutes les antennes. Certes, mais dans la mesure où... car en vérité, elles sont soumises à condition, elles sont soumises aux lois du marché, et cette soumission est bien inscrite dans cette constitution-là, seulement ce n’est pas écrit en caractères gras. Et ce ne sont pas les médias - service public compris ! - qui vont attirer notre attention sur cette loi qui voudrait tout gouverner.

Le SFA est dans son rôle quand il défend les intérêts des artistes interprètes, il l’est aussi quand il s’inquiète de l’avenir et du sens de nos métiers et qu’il nous alerte. Ce n’est pas seulement son rôle, c’est son devoir le plus impérieux.

La position du SFA

Le conseil national du SFA, en date du 23 janvier 2005, a rejeté à l’unanimité l’ensemble du projet de constitution au vu des graves menaces qu’il contient, tant sur le plan social, environnemental, que sur le fonctionnement démocratique de l’Union. A la suite des débats, le conseil a décidé de mandater le bureau national afin qu’il sollicite l’avis des adhérents dans le cadre de réunions des sections régionales et qu’il détermine ensuite s’il était ou non opportun d’appeler l’ensemble de la profession à rejeter le texte lors du référendum du 29 mai prochain. Le 22 mars, le bureau national a pris connaissance du fort consensus des régions pour l’appel à voter non au traité constitutionnel et de la demande d’en préciser les implications politiques dans notre champ professionnel.

Avant toute chose, il convient d’affirmer haut et clair que dire non au référendum n’est pas dire non à l’Europe. Au contraire ! Le rejet du texte signifierait qu’une majorité d’électeurs aurait compris que ce texte est mauvais pour l’Europe qu’ils souhaitent - car ils la souhaitent - et qu’ils en ont perçu les dangers qu’ils veulent éviter pour eux et pour leurs enfants. Refuser le texte constitutionnel proposé n’entraînerait pas d’autre conséquence que de le remettre en chantier. Le sens d’un refus est en réalité une attitude constructive, c’est l’exigence adressée aux dirigeants politiques pour qu’ils travaillent et négocient le temps nécessaire pour élaborer un texte conforme aux intérêts des peuples européens. En attendant, les traités actuels continueraient de s’appliquer.

Le chantage à la peur et au chaos est indigne de gens qui se réclament de la démocratie. Cela révèle l’estime dans laquelle ils tiennent les citoyens. Loin d’être « irrationnelles » ainsi que le prétend M. Barrosa, président de la commission de Bruxelles, les craintes des salariés en général, et des artistes en particulier face au texte proposé, font appel au contraire à la raison et à l’examen attentif de ce que l’on nous demande d’approuver les yeux fermés.

Par la procédure électorale engagée -le référendum- le texte concerne chaque citoyenne et chaque citoyen de notre pays, et par voie de conséquence, les professionnels du spectacle et les adhérents du SFA. L’analyse du traité se situe donc à deux niveaux : global et professionnel.

Qu’en est-il d’abord globalement ?

A propos de démocratie, il est bon de rappeler que ce n’est pas une assemblée constituante élue qui a élaboré le texte, mais des personnes désignées par les gouvernements, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing. Ils ont travaillé sans publicité, sans débat public, en silence, sinon en secret.

Ensuite, une constitution soumise à l’approbation des citoyens se devrait d’être simple, concise, accessible à tous. Au lieu de cela nous avons un texte de plus de 200 pages, 453 articles, 39 protocoles, 36 déclarations, 2 annexes -d’une rédaction obscure, ardue qui résiste à une approche maîtrisée-. Une constitution ne devrait privilégier a priori aucun choix politique ou économique. Elle doit être ouverte et souple afin de laisser aux citoyens le soin de décider d’élections en élections. Une constitution fixe les règles.

Or, dès le premier article (art. I-3) il est précisé que l’Union repose sur « le respect du principe d’une économie de marché hautement compétitive où la concurrence est libre et non faussée ». Voilà qui est clair : ce ne sont pas les règles, c’est le jeu lui-même qui est fixé. La Commission de Bruxelles a la charge d’y veiller (art. III.184) afin de déceler « les erreurs manifestes des Etats dans leurs déficits budgétaires », c’est-à-dire ce qui concerne, en premier lieu, le financement des services publics. C’est l’affirmation du credo libéral qui consacre la prééminence de la compétition et la mise à bas de tous les systèmes de protections sociales bâtis depuis plus d’un siècle sur les valeurs de solidarité et de mutualisation, non seulement en France en 1936 et 45, mais dans presque tous les pays européens.

Mais le projet est bien plus radical. Dans son article I-7, il est prévu la création d’un espace juridique européen qui sera désormais LA référence, avec la Cour européenne de justice de Luxembourg chargée de condamner financièrement les Etats ne respectant pas les termes de la constitution. C’est l’anéantissement du pouvoir des parlements nationaux et des mandats que leur ont confiés leurs électeurs.

On comprend pourquoi le texte, qui mentionne 167 fois le mot banque, 78 fois celui de marché, et 27 fois celui de concurrence, n’évoque que 2 fois celui de service public. En revanche, il invoque, sans le préciser, le concept de « services d’intérêt économique général » (SIEG) (art. III-55-56-136) dans lesquels est compris un ensemble d’activités de services (santé, éducation, culture, etc.). D’aucuns font accroire que cela signifie « services publics ». Or il est dit clairement, mais ailleurs, dans le Livre blanc 2004 de la Commission : « le terme d’intérêt économique général ne doit pas être confondu avec l’expression service public. » Et, tout aussi clairement, il est précisé que les pouvoirs publics ne peuvent créer de SIEG qu’en respectant la concurrence ! On le voit, c’est l’impossibilité de créer un quelconque service public libéré des contraintes du marché et la programmation de la fin de ceux qui existent. Cela concerne tous les citoyens, et bien évidemment toutes les professions du spectacle.

Relevons encore ceci à quoi nous ne pouvons rester indifférents, amoureux des mots et du sens, gens de musique et de parole que nous sommes. Ceci qui concerne l’emploi : le texte affirme (art. II-75) « le droit de travailler et la liberté de rechercher un emploi (!) », alors que dans notre constitution, ainsi que dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, ratifiée par l’assemblée générale de l’ONU dès 1948, il est garanti « le droit au travail ». Voilà comment, par une petite manipulation, ce qui était un droit pour les salariés et un devoir pour l’Etat devient ici une liberté abstraite et sans fondement et comment la précarité s’inscrit dans le droit. En déclarant que « la main-d’œuvre doit s’adapter » (art. III-203), la flexibilité devient la norme du travail.

Et les artistes interprètes dans tout cela ?

Sur la culture, il est dit que « l’Union respecte la diversité culturelle » (art. III-82), mais le texte n’est pas très disert sur les moyens qui seront employés pour la préserver et la développer ni sur le sens de ce respect. Pire, ce respect est conditionnel, car (art. III-167-3-d) « peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur les aides destinées à promouvoir la culture et la conservation du patrimoine quand elles n’altèrent pas les conditions d’échanges et de la concurrence... »

On peut se faire une idée du cadre général dans lequel vont s’exercer nos métiers. La privatisation des services publics de la culture (télévision et radio nationale, théâtres et centres dramatiques nationaux, écoles nationales du cirque) est dans la logique évidente de cette constitution dans la mesure même où les subventions des Etats au secteur public sont considérées comme une distorsion du sacro-saint « principe d’une concurrence libre et non faussée » (art. lll-166-238).Les services publics de la culture et leur capacité créatrice sont donc exposés aux mêmes risques que les autres secteurs fondamentaux (santé, éducation...) (art. lll-148) car il faut savoir « que les Etats membres s’efforceront de procéder à la libéralisation des services au-delà de la mesure qui est obligatoire » !

Les soutiens au cinéma et à l’audiovisuel à travers le CNC, au théâtre privé, à la chanson-variété-jazz, sont bien évidemment exposés de la même manière. Et au service de quoi allons-nous mettre notre talent ? Concurrence, rentabilité, baisse des coûts, recherche de profits, audimat, scénarii calibrés : on peut imaginer ce que seront les productions soumises à de telles lois.

A aucun moment il n’est question dans le texte d’un droit à la retraite, à l’assurance chômage, droits pour lesquels le SFA et les artistes se sont toujours battus.

Sachant que le niveau social de notre pays est adossé à des services publics forts, à la Sécurité sociale, à un code du travail, acquis de haute lutte, c’est toute l’architecture de l’édifice social qui est remise en cause et dont les artistes interprètes, comme les autres salariés, auront à subir les conséquences.

Que dire enfin de la désormais célèbre directive Bolkestein qui participe de ce démantèlement et qui, rappelons-le, était près d’être adoptée sans publicité ? Les dernières évolutions laissent croire à sa révision, voire à son retrait pur et simple. Là encore il y a tromperie, car l’essentiel des mesures qu’elle préconise est contenu dans les articles III-209-210 du projet de constitution, y compris toutes les possibilités qu’elle offre. Ainsi, toute entreprise de spectacle vivant ou d’audiovisuel pourrait s’installer où elle veut, par exemple dans un pays où la législation sociale est faible, et engager des artistes interprètes ou des techniciens dans n’importe quel pays de l’Union, selon les règles en vigueur dans le pays de son siège (principe du pays d’origine) ! Pour les artistes interprètes, c’est une menace directe sur le salariat et les avantages sociaux qui y sont liés par la libre circulation des prestataires de service et le respect de « la libre concurrence non faussée ». Rappelons-nous à ce propos que la France est poursuivie devant la Cour européenne de justice au prétexte que la présomption de salariat des artistes interprètes est une entrave à la libre circulation de la prestation de services. Ce serait la fin du code du travail, des conventions collectives, des règles d’hygiène et de sécurité. Ce serait la mise en concurrence des salariés de l’Europe aboutissant à une « harmonie » par le bas (art. III-209), la planification du dumping social, du travail clandestin et la mort programmée des systèmes de Sécurité sociale.

Il faut avoir le courage de convenir des dangers du texte et obliger les responsables des Etats à se remettre au travail afin de proposer une constitution allant vers l’Europe sociale à laquelle aspirent les Européens.
Les peuples européens ont su conquérir des espaces de démocratie politique, économique et sociale. Nous nous devons de les défendre et d’en assurer la continuité et le développement.

Pour toutes ces raisons, le SFA, co-fondateur de la FIA et de son groupe européen (EUROFIA ), et qui œuvre pour la construction d’une Europe sociale depuis des années, appelle les artistes interprètes à voter NON lors du référendum du 29 mai 2005.

LE BUREAU NATIONAL DU SFA

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