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Fascisme ? suite

Publie le jeudi 15 décembre 2005 par Open-Publishing
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La fonction d’occultation du mécanisme d’identification du fascisme à une période et un régime politique donnés (voir texte précédent dans Bellaciao, dossiers, travail social, fascisme) vise aussi et peut-être surtout les pratiques de gestion des populations et des territoires expérimentées et développées par ces régimes et que l’on retrouve aujourd’hui : le travail forcé (quelle que soit sa forme : RMA, clandestin (sans papier), au « noir » (euphémisme qui tue),...), propagande (pub, marketting, émissions de télé ou de radio, opérations de masse basées sur la charité (téléthon, restos du coeur, etc..), manifestations de masse (grandes fêtes Jacklango-Saint-Simoniennes, mercantilo-vichystes, sportivo-militaro-patriotiques : de la musique, du Beaujolais nouveau, des mères, des grands-mères, du millénaire, du mOUndial, du Stade Toulousainchampiond’europe, de la sortie d’Harry Potter,...), technologies de contrôle et de surveillance (police politique et police des comportements : vidéosurveillance, écoutes, vigipirate, téléphone portable, drogues, délation, politique de la ville, culture des marques,...).

Le vocable « racisme » occupe une bonne place dans ces techniques d’occultation (de l’exploitation des êtres humains). Se justifiant de causes ethniques ou religieuses les génocides ne visent systématiquement que la captation des richesses (spoliation des biens des juifs, des protestants, des territoires et des ressources des arabes et des africains, etc., etc.) des autres (ce qui ne veut pas dire que la propriété de ces richesses soient légitimes, et ce qui est en cause là, c’est la propriété privée des ressources (≠ biens publics) de la planète).

Comme la notion de patrie, la notion de culture (ethnie, religion, coutume, moeurs) ne sert qu’à conduire le peuple à la tuerie (sans négliger la menace (marche ou crêve) et la biture, bien plus sûres). « Le peuple doit avoir peur du mensonge, disait la bonne Catherine de Médicis, pour le Prince, c’est un mode de gouvernement ». « Les grands hommes appellent honte le fait de perdre et non celui de tromper pour gagner » écrit ce bon Machiavel en écho. Qui en remet une couche : « Ajoutons à cela la nature changeante des peuples : s’il est facile de les persuader d’une certaine chose, il est difficile de les garder dans cette persuasion ; aussi faut-il prendre des dispositions telles que, quand ils ne croient plus, on puisse les faire croire par force. »

Fabre d’Eglantine ne veut pas être en reste : « Il faut se saisir de l’imagination des hommes et la gouverner ». Car c’est bien de gouvernement des hommes qu’il s’agit pour nos parvenus qui se prenaient pour des Lumières pendant que la populace crevait dans les fabriques et les campagnes et que se planifiait la traite des négres et l’extermination des peaux-rouges.

« Quelle est la vraie question idéologique du moment ? » demande plus tard André Malraux à JF Kennedy. « C’est le management d’une société industrielle, un probléme non pas d’idéologie, mais d’administration » répond ce dernier.
Même si dans ce processus le rassemblement des producteurs dans les fabriques a pu favoriser la constitution d’une certaine conscience de classe, il ne faut pas sousestimer le fait que cela n’a concerné qu’une minorité de la « classe productive » et que très vite la bourgeoisie a développé des techniques de limitation de plus en plus sophistiquées, dont le système social et la création de la classe moyenne d’encadrement des pauvres et des travailleurs ne sont pas les moindres avec la division syndicale.

Si les prolétaires sont peu dupes, quoi qu’en dise la propagande, du matraquage des discours de Le Pen et autre Sarkozy, par contre l’idéologie des pratiques quotidiennes y trouve son terreau. En permanence dévalorisés : les plus mal payés, les plus ma logés, les moins éduqués (bourgeoisement parlant), les plus accidentés du travail, avec le moins d’espérance de vie, les prolos ne peuvent que se réfugier dans ce qui leur reste, le culte, fantasmé ou non, de l’ardeur au travail, de la résistance à la fatigue, à la souffrance, du travail bien fait. Face à la rareté organisée de l’emploi, la menace du chômeur, du travailleur venu d’ailleurs, mettant les forçats de la terre en concurrence pour la survie, s’empare facilement de l’alibi culturel (l’autre est toujours le feignant, le malpropre, miroir de la condition de tous).

Chacun ne voit que sa peine, son effort, sa souffrance, imaginant être celui qui donne le plus. Ce qui explique que ce ne sont pas les immigrés qui sont le moins racistes. Les italiens, espagnols, portugais, polonais, yougoslaves, etc., première, deuxième, troisième générations de l’immigration, ne sont pas les moins anti-arabes, anti africains, anti-turcs, anti-asiatiques... pourquoi en serait-il autrement ? Déjà ils donnaient leurs héros symboliques à la France (Kopa,...) ce qui ne ne changeait pas grand chose au sort de la majorité d’entre eux qui ont connu les camps, les ghettos, les bidonvilles, les cités de transit, l’exploitation dans les « exploitations » agricoles ou les chantiers du bâtiment.

Ceux qui s’en sont « sortis » disent (parce qu’eux peuvent parler, oh ! Pas bien fort quand même, les autres sont morts) que c’est grâce à leur travail et leurs sacrifices. Pourquoi pas leur docilité ? Ils venaient de pays de très catholiques dictatures, et malgré les iconographies, peu étaient communistes ou anarchistes révolutionnaires. Pour se faire accepter, malgré les humiliations, ne faut-il pas se nier soi-même et dire au maître et ses larbins ce qu’ils veulent entendre : « je remercie la France terre d’accueil, mère de la démocratie et patrie des droits de l’Homme (n’oublions pas la majuscule), qui a osé couper la tête d’un roi ». C’est-à-dire le langage de la soumission.
Après les pratiques religieuses qui organisent tous les gestes de la vie quotienne, intime, domestique et sociale, la religion de la consommation (c’est-à-dire les annonceurs ! Ça ne vient pas du ciel !) a développé sa propagande à partir des objets et produits domestiques en visant les mêmes objectifs.

Il faut lire les revues dites féminines du début du XX° siécle pour mesurer comment nos grands-mères et nos mères ont été conditionnées dans leur vision du monde par la publicité et le marketting accompagnant l’arrivée des appareils électro-ménager et la médecine hygiéniste. Et donc nous aussi, avec les odeurs de maison propre, de lessive, ... et les comportements qui vont avec. La voiture (pas seulement la caisse mais aussi l’infrastructure qui va avec), la radio, la télé, le téléphone... Le progrés quoi ! Accompagnant les disciplines de l’école, de l’armée, de l’usine, du sport, pour compléter la panoplie du contrôle des corps. Et encore l’urbanisme, l’architecture, formatage de nos déplacements et de notre habitat. Que les années 70 aient amorcé la soi-disant libération des moeurs ne changent pas grand chose à l’affaire. Si tant est que les disciplines aient disparues (venez faire un tour à l’usine), la marchandisation des corps et des espaces, la boulimie consommatoire, forgent le même processus de conditionnement de la non vie.

Voilà le terreau sur lequel le fascisme banal met en oeuvre la technologie de manipulation majeure : la terreur. De la guerre totale à la bombe totale, du bombardement des villes (des civils) à l’utisation du terrorisme (loin d’être aveugle), du chômage à la misère, la peur sert à mater les peuples. Et génère les conduites qui éteignent la résistance : la délation et sa conséquence, la méfiance de l’autre, du voisin qui rend toute expression critique, même privée, impossible.

« A force d’avoir une athmosphère où on fait pression sur les gens de diverses manières, on arrive à ce que finalement on s’auto censure.[...]. » « Quand dans les couloirs de la mairie, je rencontre d’anciens élèves, avant ils s’arrêtaient, on discutait, maintenant ce sont des rats, ils rasent les murs, on s’arrête plus. Y’a quand même un malaise ! » Reportage Orange amer, le FN à Orange - La vie en face, 1998

Qui se transformera en bourreau demain, ce soir peut-être ? Mon voisin, ma voisine, mon frère, ma soeur, mon fils, ma fille, moi ? Comment, sans autres repères que sa conscience et sa peur, mesurer ce qui nous travaille au fond des tripes dans ces situations incroyables tant que nous n’y sommes pas confrontés personnellement ? Les tenants de la démocratie bourgeoise, qui ignorent les morts quotidiennes, nous disent que ce sont les institutions qui nous protègent du diable. Foutaises. Qui protégent les institutions qui n’ont de cesse de nous éloigner de l’intérêt général ? L’usager du train qui beugle contre les cheminots grévistes qui se battent pour une meilleure qualité du service (et les conditions de travail en font partie) dont il est le bénéficiaire ? L’armée démocratique (!) alors que les villes conquises par le FN sont des villes de garnison ? Nos élus bravaches au garde-à-vous devant les décisions du Parti ? Sed quis custodiet ipsos custodes ?

Nos compromissions quotidiennes ne sont pas garantes de notre courage futur. Quel est le seuil d’intolérance pour l’ouvrier de l’armement ou du nucléaire qui fabrique les bombes qui lui tomberont sur la gueule s’il lui vient la mauvaise idée de l’ouvrir (ou même pas !) ? Pour ceux qui travaillent dans les produits polluants ? Pour les caissières de supermarché perdant leurs journées dans un travail absurde (mais au moins elles en ont un de travail !) ?

Quelle est la limite de la complaisance puis de la complicité des « intervenants » sociaux de tout poil qui voient chaque jour les conditions de vie de leurs « clients » se dégrader en s’auto persuadant que s’ils n’étaient pas là, ça irait plus mal ? Des cadres publics et privés, des ingénieurs de tous acabits, qui se pâment en écoutant Daniel Mermet ( Là-bas si j’y suis France Inter. Daniel Mermet qui déclarait : « Pendant dix ans on fait ce que le patron demande. Après, on se rend compte qu’il y a des auditeurs : on leur donne la parole » - Au fil d’Inter - 22 septembre 2002), peuvent aller faucher le maïs OGM et pleurer sur toutes les grandes causes de la planète, mais continuent à aller bosser, avec leurs états d’âmes certes, mais en évitant de se poser les questions qui fâchent sur leur fonction dans le système et en fermant les yeux sur toutes les saloperies inévitables dans la gestion d’un sytème démocratiquement totalitaire.

Car c’est bien sûr dans les lieux de l’exploitation, du travail, que se joue toujours, forcément, la domination, même si ses effets s’exercent évidemment dans tous les domaines de l’existence (division du travail, des sexes, des peuples,...). C’est dans ces lieux que doivent se débattre les questions de qui produit ce qui est nécessaire à l’existence des êtres humains en société, comment et pour quoi il faut le produire. Le comment étant ce qui pose le plus de difficultés à concevoir collectivement. C’est cette difficulté qui explique certainement que ce comment est systématiquement évacué des alternatives comme celles des altermondialistes et des anti croissance et autres apôtres de la décroissance. Non pas qu’il ne soit pas nécessaire de supprimer ces outils de la domination que sont la croissance et le développement, durable ou non, qui bousillent la planète et asservissent les peuples. Mais fonder les ressorts de la lutte sur le concept de « nature » ou sur des valeurs, c’est-à-dire une morale des comportements, ne peut que déboucher sur les régimes autoritaires de ceux qui définissent la bonne morale. Aussi les solutions proposées sont-elles individuelles (le « vieux » thème du retour harmonieux à la terre mère) et culpabilisantes (et rejoignent les campagnes du développement durable des organismes mondiaux et nationaux visant à culpabiliser les individus en laissant polluer les entreprises et les Etats).

Mais ce n’est pas seulement cette difficulté à penser l’organisation collective qui explique ces positions (qui éclatent d’ailleurs rapidement en chapelles et en invectives : voir le dernier numéro (n°29) du journal des casseurs de pub La décroissance). Elles participent des théories sur les mouvements sociaux et de la défense des « causes » particularistes qui, dans le souci respectable et nécessaire de protéger de la repression des statuts et des comportements minoritaires ou jugés inférieurs ou déviants par l’ordre moral, générent la catégoriasation et la sectorisation des groupes sociaux constitués alors en isolats. Cela participant du déplacement des lieux de la lutte sociale qu’illustre le slogan de mai 68 : « de l’usine au quartier », qui ne doit pas être compris comme l’élargissement de la lutte dans l’entreprise (ainsi que voulaient le concevoir certains) mais bien comme le déplacement des luttes vers la « société civile », d’abord les quartiers pour permettre aux sociaux démocrates de la gôche unie de prendre le pouvoir municipal puis les élections nationales en 81, ensuite la promotion de la parole du « citoyen » dans les « débats publics » au début des années 90. C’est pourquoi ce n’est pas par une divine illumination que Daniel Mermet découvre en 1989 qu’il y a des auditeurs à l’autre bout son micro. Mais bien parce qu’il participe de la mise en place d’un nouvel artifice idéologique qui est l’interactivité médiatique ou d’internet (pseudo expression « citoyenne » des individus dé-socialisés dans un non espace social) formalisée entre autre par l’OCDE (note de synthèse n°10, juillet 2001 : Impliquer les citoyens : l’information, la consultation et la participation du public dans le processus de prise de décision.). Leurre auquel je n’hésite pas à participer en publiant ce texte de cette manière. Mais peut-on résister au plaisir de dire des vilénies sur ses copains de Classe ?
Que dire alors des « militants » des luttes actuelles dont l’activisme est la caractéristique (le fantasme) commune qu’aucune réalité ne vient ébranler dans leurs certitudes sur leurs modèles d’action ?

Que la France d’aujourd’hui se retrouve dans une situation préfasciste (au sens historique basique) ne les fait pas se remettre en question une seconde. Au contraire, leur grande peur du fascisme dictatorial les poussent encore plus dans la fuite en avant dans leur modèle (et produira au mieux l’appel au recours aux techno-fascistes sociaux démocrates de droite ou de gauche, même mafieux, voir 2002). Leur modèle ? L’information ! L’information ! Toujours plus d’informations ! Et leurs sites et autres listes de diffusion sont engorgées au point qu’eux-même n’en peuvent mais. Pour eux, l’accumulation d’informations factuelles serait ce qui finirait par réveiller le bon peuple endormi par la Propagande. Alors que nous savons, et ils savent, que tout fait est toujours pré-interprété et décodé en fonction de la vision du monde de l’observateur. Hormi quelques « révélations », plus du registre de Lourdes que de la prise de conscience, l’agitation militante (je parle toujours de celle de « gôche », celle de droite et d’extrême droite ne fonctionne pas sur les mêmes schèmes) renforce en fait l’ordinaire de la réaction car elle ne peut être que manichéenne. C’est pourquoi ces militants sont facilement manipulables, ignorants qu’ils sont ou veulent être des ressorts de leurs pratiques. Même nos bons défenseurs des Droits de l’Homme et des Libertés ne sont-ils pas les premiers à dénoncer comme théorie du complot toute critique radicale qui analyse leur intérêt de classe ?

Leurs cris semblent servir à masquer leur absence de radicalité et empêchent la compréhension de ce qu’est notre société, pain béni pour les chroniqueurs de droite qui se targuent d’appeler un chat un chat. « Qui d’autre qu’un con de gauche peut s’étonner que des prolétaires se battent entre eux pour s’amuser ?! Les prolétaires ne sont unis en rien. Ils sont absolument séparés. La misère réelle des gens, c’est cet isolement absolu organisé dans leur vie de tous les jours : ça s’exprime d’habitude sous forme d’indifférence et parfois sous forme d’hostilité. » disaient des situs il n’y a pas si longtemps. La réalité, c’est que les banlieues pauvres sont plus un vivier d’élevage de vigiles qui grossissent les rangs d’entreprises de surveillance tenues par l’extrême droite, y compris le service sécurité de la RATP, que de jeunes loups dynamiques ambitieux et prêts à tout dans les pépinières d’entreprises.

La réalité c’est la jeunesse anti autoritaire (!) préfèrant un chef mafieux plutôt qu’un facho notoire sans que les scandales et mensonges d’Etat n’égratignent un tant soit peu leur « croyance » désespérée dans le vote citoyen.

La réalité, c’est que des ouvriers licenciés pleurant sur eux-mêmes en découvrant (!?) « l’hypocrisie de leur papa-patron qui leur avait promis il y a vingt ans qu’ils fairaient partie de l’entreprise jusqu’à leur mort et qui les jette comme des kleenex » se tourneront plus vers Le Peine qu’autre chose.

La réalité, c’est les raisons de l’impact des idéologies totalitaires qu’il est facile de jeter aux orties de l’histoire alors que les pratiques que l’on veut nous empêcher de nommer fascistes se banalisent. Un texte parmi d’autres daté de 1929, période dont il est difficile de dire si les choses étaient plus claires ou moins claires qu’aujourd’hui, illustre ses raisons. Il émane, ce n’est pas anodin, d’un de ces personnages du planisme gaulliste qui, en particulier, a très « fascistement » bousillé la côte languedocienne dans les années soixante.

« Lénine et Mussolini. Nous leur devons une reconnaissance égale. Eux seuls ont osé, eux seuls ont profité du catalyseur d’énergies que fut la guerre pour créer un ordre nouveau, un ordre moderne. [...] Révolution malheureusement sanglante de Lénine ou révolution pacifique de Mussolini, qu’est cette différence en face de l’avenir et des forces nouvelles ainsi libérées ? [...] Sans Lénine, il n’y a pas de Mussolini. [...] Bolchévisme et fascisme sont fondées sur des collectivités laborieuses qui font la prospérité de la nation. Ils font appel aux élites nouvelles, à la jeunesse du monde. Tous deux créent la République des producteurs. [...] Ils ont sans doute, malgré leur origine commune, d’importantes divergences, mais ils ont une ressemblance : c’est qu’ils éliminent définitivement les régimes dont vivent grassement ces messieurs « de droite » et de « gauche » éperdus d’indignation. »
Philippe Lamour - Entretiens sous la Tour Eiffel, Paris, 1929.

A bon entendeur,...

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