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France - C.ED.H. -Strasbourg - Aujourd’hui : cinq condamnations (Turquie : 14, voir lien)

Publie le mardi 11 avril 2006 par Open-Publishing
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NuNuméro 210 11avril 2006

Communiqué du Greffier ARRÊT DE CHAMBRE BRASILIER c. FRANCE

La Cour européenne des Droits de l’Homme a communiqué aujourd’hui par
écrit son arrêt de chambre[1] dans l’affaire Brasilier c. France
(requête no 71343/01).

La Cour conclut, à l’unanimité, à la violation de l’article 10
(liberté d’_expression) de la Convention européenne des Droits de l’Homme.

Le requérant n’ayant formulé aucune demande de satisfaction
équitable, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui allouer de somme au titre
de l’article 41 (satisfaction équitable) de la Convention. (L’arrêt
n’existe qu’en français.)

1. Principaux faits

Benoît Brasilier est un ressortissant français âgé de 51 ans qui
réside à Paris.

En 1997, le requérant fut candidat aux élections législatives dans la
2e circonscription de Paris ; il avait notamment pour adversaire Jean
Tiberi, député sortant et maire de Paris.

Le jour du premier tour des élections, à savoir le 25 mai 1997, le
requérant dit avoir constaté qu’il n’y avait aucun bulletin de vote le
concernant dans les bureaux de vote, alors qu’il en avait fait imprimer
60 000 qu’il avait remis au Routeur de la République française, lesquels
auraient ensuite été remis aux services de la mairie de Paris en charge
de leur répartition dans les différents bureaux de vote. Le jour même,
le requérant déposa plainte pour vol de ses bulletins de vote. Le 10
juillet 1997, le procureur l’informa de sa décision de ne pas donner
suite à cette plainte.

Au cours des mois de juin et juillet 1997, le requérant participa à
plusieurs manifestations publiques, place du Panthéon, qui furent
autorisées par les autorités. A l’occasion de l’une d’elles, des tracts
appelant à l’invalidation de l’élection de M. Tiberi et l’accusant d’avoir
truqué les élections furent distribués ; par ailleurs, des banderoles
portant les inscriptions " TIBERI tu nous casses les URNES " ou encore "
EN FACE : BUREAU de la FRAUDE, VOLS ET MAGOUILLE " furent déployées en
face de la mairie.

M. Tiberi porta plainte contre X pour diffamation publique envers une
personne chargée d’un mandat public et publications d’imputations
diffamatoires. Ayant reconnu avoir rédigé tant le tract que les banderoles
et avoir distribué le tract et exhibé les banderoles, le requérant fut
mis en examen.

Dans l’intervalle, par une décision du 20 février 1998, le Conseil
constitutionnel rejeta la requête en annulation de l’élection. Il releva
notamment un cumul de faits graves et répétés de nature à accréditer
l’existence d’une manœuvre dans les conditions d’établissement des listes
électorales du 5e arrondissement, ainsi que des irrégularités dans
l’usage des procurations et des cartes électorales, mais jugea que ces
faits n’avaient pu inverser le résultat du scrutin. Concernant l’absence
des bulletins de vote pour le requérant et un second candidat dans les
bureaux de vote, le Conseil estima qu’ils avaient omis de fournir leurs
bulletins à la mairie avant la date limite fixée par le code électoral.

Le 19 mars 1999, M. Brasilier fut relaxé par le tribunal correctionnel de Paris, qui estima que les propos litigieux s’inscrivaient dans les limites de l’objet de la manifestation, laquelle avait été autorisée par les autorités. Statuant sur l’appel formé par M. Tiberi, la cour d’appel de Paris constata que, en l’absence d’appel du ministère public, la relaxe du requérant était devenue définitive. Cependant, la cour d’appel estima qu’en ne rapportant pas la preuve de ses affirmations, M. Brasilier avait commis une faute civile ; en conséquence, elle le condamna à payer à M. Tiberi un franc de dommages et intérêts. Le requérant se pourvut vainement en cassation.

2. Procédure et composition de la Cour

La requête a été introduite devant la Cour européenne des Droits de
l’Homme le 18 juin 2001 et déclarée en partie recevable le 7 juin 2005.
L’arrêt a été rendu par une chambre de 7 juges composée de :
Ireneu Cabral Barreto (Portugais), président,
Jean-Paul Costa (Français),
Karel Jungwiert (Tchèque),
Volodymyr Butkevych (Ukrainien),
Antonella Mularoni (Saint-Marinaise),
Danutė Jočienė (Lituanienne),
Dragoljub Popović (ressortissant de la Serbie-Monténégro), juges,

ainsi que de Sally Dollé, greffière de section.

3. Résumé de l’arrêt[2]

Grief

Le requérant soutenait que sa condamnation civile à verser à M. 
Tiberi un franc de dommages et intérêts avait emporté violation de l’article
10 de la Convention.

Décision de la Cour

Article 10

La Cour note que la condamnation du requérant s’analyse en une "
ingérence " dans l’exercice par celui-ci de sa liberté d’_expression,
ingérence qui était prévue par la loi et poursuivait des buts légitimes.
Sur le point de savoir si cette ingérence était " nécessaire dans une
société démocratique ", la Cour relève que les juridictions françaises
ont estimé que le requérant avait commis une faute civile car il
n’avait pas établi la véracité des propos lisibles sur les banderoles et le
tract. A cet égard, elle rappelle qu’il y a lieu de distinguer entre les
déclarations de fait, dont la matérialité peut être prouvée, et les
jugements de valeur qui ne se prêtent pas à une démonstration de leur
exactitude. La Cour rappelle en outre que, même lorsqu’une déclaration
équivaut à un jugement de valeur, la proportionnalité de l’ingérence dépend
de l’existence d’une base factuelle.

En l’espèce, et contrairement à la cour d’appel de Paris, la Cour
estime que les déclarations incriminées concernent des questions d’intérêt
public et constituent, compte tenu de la tonalité générale des
banderoles et du tract, davantage des jugements de valeur que de pures
déclarations de fait.

La Cour note que les juridictions françaises ont établi que les faits
s’inscrivaient " dans le cadre d’une polémique nourrie ", laquelle
impliquait d’autres adversaires du maire et faisait l’objet de nombreux
articles dans la presse nationale. Par ailleurs, l’ancien maire,
adversaire du requérant et partie civile contre lui, a finalement été mis en
examen par un juge d’instruction de Paris pour manœuvres frauduleuses de
nature à fausser le scrutin de 1997. Même si, compte tenu de la
présomption d’innocence, une personne mise en examen ne saurait être réputée coupable, la base factuelle n’était pas inexistante en l’espèce, alors
surtout qu’en tant que maire, la personne " diffamée " avait la
responsabilité de l’organisation du scrutin et de son bon déroulement.

Quant aux propos eux-mêmes, la Cour estime qu’ils avaient assurément
une connotation négative, mais qu’en dépit d’une certaine hostilité et
gravité, la question centrale des banderoles et du tract incriminés
concernaient le déroulement d’un scrutin électoral. Or le libre débat
politique est essentiel au fonctionnement démocratique.

La Cour accorde la plus haute importance à la liberté d’_expression
dans le contexte du débat politique et considère qu’on ne saurait
restreindre le discours politique sans raisons impérieuses. En l’espèce, les
propos litigieux visaient un député, maire de Paris et maire du Ve
arrondissement de Paris, qui était assurément une personnalité politique et
médiatique ; le requérant était lui-même candidat à l’élection
litigieuse. Or, des ingérences dans la liberté d’_expression d’un membre de
l’opposition, qui représente ses électeurs, signale leurs préoccupations et
défend leurs intérêts commandent à la Cour de se livrer à un contrôle
des plus strict. A cet égard, elle rappelle qu’un adversaire des idées
et positions officielles doit avoir la possibilité de discuter de la
régularité d’une élection et que dans le contexte d’une compétition
électorale, la vivacité des propos est plus tolérable qu’en d’autres
circonstances.

Quant à la peine infligée au requérant, bien que la condamnation au "
franc symbolique " soit la plus modérée possible, la Cour estime que
cela ne saurait suffire, en soi, à justifier l’ingérence dans le droit
d’_expression du requérant. Elle a d’ailleurs maintes fois souligné qu’une
atteinte à la liberté d’_expression peut risquer d’avoir un effet
dissuasif quant à l’exercice de cette liberté.

En conclusion, la Cour estime que la condamnation de M. Brasilier
s’analyse en une ingérence disproportionnée dans le droit à la liberté
d’_expression de l’intéressé.

méro 211

11 avril 2006

Communiqué du Greffier (extraits France seulement)

Arrêts de chambre concernant la France

Cabourdin c. France (requête no 60796/00) Violation de l’article 6 §
1 (équité)

Le requérant, Thierry Cabourdin, est un ressortissant français né en
1951 et résidant à Voisins-le-Bretonneux (France).

En 1996, le requérant et son épouse furent assignés par la BNP pour
défaut de paiement des mensualités correspondant au remboursement du
prêt immobilier que la banque leur avait consenti. Les intéressés
assignèrent à leur tour la banque afin d’obtenir la nullité du prêt consenti,
car ils n’avaient pas reçu, comme l’exigeait la loi à l’époque, de
tableau d’amortissement avec l’offre de prêt.

Alors que l’affaire était pendante, entra en vigueur la loi no 96-314
du 12 avril 1996 " portant diverses dispositions d’ordre économique et
financier " dont l’article 87-1 modifie, avec effet rétroactif, des
dispositions du code de la consommation relatives aux offres de prêt.
Faisant application de cette loi, le tribunal de grande instance de Paris
débouta le requérant et son épouse. Ces derniers se pourvurent vainement
en cassation.

Le requérant soutenait que l’application retroactive de la loi du 12
avril 1996 avait porté atteinte à son droit à un procès équitable. Il
invoquait les articles 6 § 1 (droit à un procès équitable) et 14
(interdiction de la discrimination) de la Convention européenne des Droits de
l’Homme.

La Cour européenne des Droits de l’Homme note que l’adoption de la
loi du 12 avril 1996 réglait en réalité le fond du litige et rendait
vaine toute continuation des procédures. L’on ne saurait donc parler
d’égalité des armes entre les deux parties privées, l’Etat ayant donné raison
à l’une d’elles en faisant adopter la loi litigieuse. En tout état de
cause, la Cour relève que si l’Etat français n’était pas, en tant que
tel, partie au litige, il était tout de même partie prenante en qualité
d’actionnaire indirect dans l’établissement bancaire concerné et n’était
donc pas " neutre " quant à l’issue de l’affaire.

Sur le point de savoir si cette ingérence poursuivait une cause
d’utilité publique, la Cour rappelle qu’en principe un motif financier ne
permet pas à lui seul de justifier une telle intervention législative. En
l’espèce, aucun élément ne vient étayer l’argument du gouvernement
français selon lequel sans l’adoption de la loi litigieuse, l’impact aurait
été d’une telle importance que l’équilibre du secteur bancaire et
l’activité économique en général auraient été mis en péril.
Selon la Cour, l’intervention législative litigieuse n’était pas
justifiée par d’impérieux motifs d’intérêt général. Dès lors, elle conclut,
à l’unanimité, à la violation de l’article 6 § 1 et estime qu’il n’est
pas nécessaire d’examiner aussi l’affaire sous l’angle de l’article 14.
La Cour alloue au requérant 10 000 euros (EUR) au titre des préjudices
matériel et moral, ainsi que 5 736,22 EUR pour frais et dépens.
(L’arrêt n’existe qu’en français.)

Dans les affaires suivantes, les requérants se plaignaient notamment
de la durée excessive de procédures civiles ou administratives. Ils
invoquaient l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable dans un délai
raisonnable). Dans les affaires Duhamel c. France et Oberling c. France,
les requérants invoquaient également l’article 13 (droit à un recours
effectif).

Société au Service du Développement c. France (no 40391/02) Violation
de l’article 6 § 1 (durée)

Duhamel c. France (no 15110/02) Deux violations de l’article 6
(durée) Violation de l’article 13

Oberling c. France (no 31520/02) Violation de l’article 6 § 1 (durée)
Violation de l’article 13

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A voir aussi, dans le communiqué complet, les 14 condamnations de la
Turquie pour la journée :

http://www.echr.coe.int/Fr/Press/20...